Boxe: Caleb Plant, vivre et combattre après l’horreur

Il répète que son rival est "peut-être aussi bon qu’on le dit" mais "pas meilleur que (lui)". Qu’il va prouver "que les gens ont tort" et choquer le monde du noble art à Las Vegas. Comment aborder le combat de votre vie quand personne ou presque ne vous imagine déjouer les pronostics? Cette question a accompagné la préparation de Caleb Plant, boxeur américain de vingt-neuf ans invaincu chez les pros (21-0; 12 KO) et actuel champion IBF des super-moyens qui va tenter d’empêcher Saul "Canelo" Alvarez (56-1-1; 38 KO) de devenir le premier champion unifié et incontesté à quatre ceintures de l’histoire de cette catégorie.
>> A écouter: le RMC Fighter Club présente le choc Canelo-Plant
Face à celui que la plupart des observateurs considèrent (à raison) comme le meilleur boxeur de la planète toutes catégories confondues, ils sont peu à donner une chance de s’imposer à "Sweethands" (son surnom), pourtant jamais envoyé au tapis dans sa carrière. Même son préparateur physique, Larry Wade, n’a pas osé prédire une victoire mais juste "une tâche difficile" pour Canelo. Pas grave. Le garçon se dit "prêt", "concentré", "dans (s)a bulle". Pas perturbé par l’importance du rendez-vous, le plus gros de son parcours sportif, qui ne lui "semble pas trop gros". Il faut dire qu’il en a vu d’autres.
"Ils n'ont pas traversé ce que j'ai traversé"
Canelo en face ou pas, Plant a déjà connu le plus gros combat de son existence. Il portait un prénom: Alia, sa fille née en mai 2013 avec une anomalie au cerveau qui lui provoquait des convulsions, parfois plusieurs centaines par jour, et décédée tragiquement en janvier 2015. L’histoire fait frémir d’effroi et rappelle pourquoi le sport de haut niveau n’est pas le plus important dans une vie. Quatre fois, les médecins ont annoncé à Caleb Plant la mort imminente de sa fille placée sous aide respiratoire en soins intensifs. Quatre fois, il a refusé leur diagnostic et s’est battu pour la maintenir en vie. La cinquième sera celle de trop.
Le boxeur américain raconte avoir alors compris. Il a alors pris le temps de venir une dernière fois au chevet de sa fille pour lui demander "si elle était fatiguée de tout ça" et lui dire que personne ne lui en voudrait de s’envoler vers le ciel. Il demandera ensuite aux médecins d’enlever les tuyaux reliés à Alia presque toute sa trop courte vie pour garder un dernier souvenir "normal" d’elle. Si son ancienne compagne mère d'Alia a pris la parole dans un article publié sur le site NYFights pour rétablir ses vérités sur le récit du boxeur, qu'elle estime "tourné à son avantage par rapport à la réalité" et "utilisé pour raconter une histoire qui met en lumière son caractère", les détails de l'intime ne changent pas les sentiments. Caleb Plant a vécu le pire. L’horreur absolue. Transformée en rage de vaincre tant plus rien ne peut vraiment être négatif après ça.
"J’ai connu les pires cauchemars possibles mais j’en suis sorti, confiait-il à Yahoo Sports en janvier 2019, quelques jours avant de conquérir son titre IBF des super-moyens en battant le Vénézuélien Jose Uzcategui, pourtant favori. J’ai connu beaucoup de défaites dans ma vie. Pas sur le ring mais dans la vie. Et je me suis toujours relevé. Je n’abandonne pas. Je m’en fous de qui sont ces gars ou qui ils ont affronté. Je ne m’incline pour personne. Ils n’ont pas traversé ce que j’ai traversé. Ils ne pourraient pas. J’ai enterré ma fille un jeudi et j’étais à la salle le jeudi suivant. J’ai survécu et je suis plus fort que tous ces gars à cause de ces trucs sombres que j’ai vécus. Je sais que ça peut me porter loin."
Il ne parle pas seulement du drame avec sa fille. Né dans la pauvreté, le gamin d’Ashland City (Tennessee) a vu des violences et à la maison. Il raconte qu’on lui a appris très tôt à dealer. Une vie qu’il a vite voulu fuir et pour laquelle il trouvera une échappatoire avec la boxe, commencée à neuf ans dans le sillage de son père qui avait créé une petite salle (un sac de frappe et un miroir mais pas de ring, représenté par du scotch au sol sur lequel les enfants se serraient par les bras pour imiter des cordes lors des sessions de sparring). Passionné, il passe sa jeunesse à se rendre dans sa salle direct après l’école et jusqu’à tard. Enfin heureux qu’on le considère comme quelqu’un de spécial avec une identité propre.
Son parcours pugilistique passera par la case amateurs, vainqueur des Golden Gloves – grande compétition américaine – en 2011, remplaçant dans l’équipe US aux JO de Londres en 2012, pour un bilan global de 97-20 en boxe olympique. Les débuts professionnels se font en 2014, moins de cinq ans avant la conquête de son premier titre mondial. Il reste aujourd’hui invaincu mais avec une nuance: la liste de ses adversaires, avec Uzcategui en plus belle victoire, est loin la profondeur et de la qualité de celle de Canelo. Plus grand et avec plus d’allonge que le Mexicain, ce qui ne perturbe pas ce dernier comme il l’a prouvé en décembre dernier en explosant un Callum Smith encore plus imposant physiquement, Caleb Plant est loin d’un boxeur lambda.

"Il a trois grosses qualités: la puissance de sa gauche, ses mouvements et sa défense", annonce Eddy Reynoso, coach historique de Canelo, qui le compare au Cubain Erislandy Lara, battu par le Mexicain sur décision partagée en juillet 2014 dans un combat qui aurait pu tourner en sa faveur sans scandale. Problème? Depuis, Canelo a progressé et continue de le faire. Mais l’homme marié à Jordan Plant, journaliste-reporter pour FOX Sports, n’a rien à perdre, et ça le rend d’autant plus dangereux. Pour la première fois depuis Uzcategui, il ne sera pas favori.
Andre Ward, ancien champion unifié chez les super-moyens et les mi-lourds qui a terminé sa carrière invaincu, a pourtant prédit sa victoire. Mais le légendaire Mike Tyson, plus jeune champion du monde de l’histoire des lourds, résume la pensée majoritaire en annonçant que son compatriote "va se faire tuer par Canelo et ses coups au corps": "Si vous êtes son ami, vous allez aller voir son enterrement". Le mot choisi par "Iron Mike" est malheureux, pour ne pas dire plus. Surtout quand on sait que l’horreur a encore accompagné Plant ces dernières années.
Quelques semaines après la conquête du titre IBF des super-moyens, en mars 2019, "Sweethands" a perdu sa mère, Beth (avec qui la relation avait parfois été tumultueuse), tuée par les balles d’un policier devant qui elle avait sorti un couteau. Un nouveau cauchemar qui ne l’a pas détruit mais a encore un peu plus nourri son feu intérieur. Avec tout ce qu’il a vécu, le pire succédant au pire, même le tout-puissant Canelo ne peut pas faire peur à Caleb Plant. "Dans mille ans, quand ils parleront de boxe, je veux que mon nom vienne dans la conversation", lance-t-il comme une prophétie. L’éternité pugilistique passe par Canelo. Poussé, de là-haut, par ses anges gardiens Alia et Beth.