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Boxe: Fury, le chasseur devenu chassé

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Champion WBC des lourds depuis sa victoire sur Deontay Wilder en février 2020, et plus monté sur le ring depuis, Tyson Fury retrouve l’Américain ce samedi soir à Las Vegas pour un troisième combat entre les deux (5h30, heure française). Pour la première fois de sa carrière, le "Gypsy King" va remettre une ceinture mondiale en jeu. De quoi le perturber ? C’est mal connaître le personnage. Focus.

Il ne garde jamais sa langue dans sa poche. Mais quand il faut faire passer un message, Tyson Fury n’utilise pas seulement sa bouche. Il sait aussi se servir de… ses habits. Spécialiste du costume sur mesure, le champion WBC des lourds – qui remet son titre en jeu ce samedi soir lors d’un troisième combat en moins de trois ans contre Deontay Wilder – en a arboré un du plus bel effet ce mercredi en conférence de presse. Au programme de son défilé de la Fashion Week à lui? La reproduction de ses ceintures WBC et The Ring sur la veste, le pantalon et même les chaussures. L’occasion de rappeler qui est le champion à l’heure de la trilogie. Mais aussi de faire un constat: le "Gypsy King" va défendre un titre mondial pour la première fois de sa carrière!

Cela peut paraître dingue pour un homme de trente-trois ans considéré par la majorité des observateurs et des fans comme le meilleur lourd de la planète et qui a remporté toutes les ceintures qui comptent au fil de son parcours pro. Mais c’est une réalité. Après avoir détrôné Wladimir Klitschko et pris les titres IBF-WBO-WBA en novembre 2015, le Britannique aurait dû retrouver l’Ukrainien entre les cordes quelques mois plus tard pour les défendre. Mais sa vie avait basculé dans l’enfer entre alcool, drogue et dépression et il avait fini par les perdre sans combattre. Et depuis qu’il a détruit Wilder pour sa parer des prestigieuses ceintures WBC-The Ring, il y a près de vingt mois, il n’est plus remonté sur le ring pour combattre tant la mise en place de cette trilogie a traîné (d’abord mis de côté par le clan Fury qui pensait la date limite contractuelle dépassée avant de vor un arbitrage judiciaire obliger ce combat à se faire).

Les plus pointilleux auront beau jeu de préciser qu’il a déjà défendu six fois le titre "linéaire", honorifique statut de "champion qui a battu le champion qui a battu le champion" qu’il détient (si on peut dire ça puisqu’il n’existe pas vraiment) depuis sa victoire sur Klitschko et jusqu’à ce que quelqu’un le batte. Mais pour les titres connus du grand public, les ceintures "alphabet" comme on dit parfois, ce sera bien une première. Qui n’a pas l’air de changer ses bonnes vieilles habitudes. Spécialiste du jeu mental, à l’image du tabouret à l’effigie de son rival (avec sa célèbre insulte "Big Dosser" inscrite dessus) qu’il a fait fabriquer pour ce samedi, Fury s’amuse depuis des semaines à moquer les excuses un peu (ok, beaucoup) ubuesques trouvées par Wilder pour expliquer sa défaite de février 2020.

Grande gueule mais pas inconscient

Il y a trouvé son angle d’attaque: l’Américain a peur de revivre le même scénario, ce qui peut s’entendre, et utilise tout ça pour se donner de l’espoir et des raisons d’y croire. Que le Britannique compte bien saborder. "Au fond de son âme, il sait qu’il a perdu, a-t-il lancé en conférence de presse. Il a perdu la première fois, il a perdu la deuxième fois et il va perdre la troisième fois. Il s’est fait éclater la dernière fois et pour une raison que j’ignore, il en veut encore. Je vais devoir encore le coucher." Et de s’adresser directement à son adversaire pour fracasser sa carrière: "Tu n’as affronté qu’un seul bon boxeur, moi, et je t’ai battu. Même la première fois, quand j’étais à 50%, tout le monde sait que je t’ai battu." Fury, qui s’amuse à souligner combien il "vi(t) dans la tête de Wilder sans payer de loyer" depuis leur dernier combat, promet un nouveau KO.

Champion, roi de la catégorie malgré l’émergence du brillant Oleksandr Usyk qui a détrôné Anthony Joshua pour les titres IBF-WBO-WBA il y a deux semaines, celui qui se définit comme "un combattant à l’ancienne" pourrait arriver à Vegas avec une confiance trop gonflée vu son statut et le scénario du dernier combat. Mais il répète craindre la puissance dévastatrice de son rival et de le considérer comme "le lourd le plus dangereux" grâce à ce punch. Grande gueule, quoi, mais pas inconscient. Le garçon reste favori des bookmakers et des spécialistes, et de loin, mais difficile de se dire que ça peut le perturber. Le "Gypsy King" adore être l’outsider et déjouer les pronostics, comme quand il va défier Klitschko "chez lui" en Allemagne ou qu’il vient affronter Wilder à Los Angeles la première fois alors qu’on considère déjà comme un miracle qu’il ait repris sa carrière.

Pareil pour le deuxième choc contre l’Américain, le knowkdown infligé par ce dernier lors du douzième round du premier combat – Fury s’était relevé et affirme que c’est ce qui a "brisé" mentalement Wilder, qui pense de son côté que le champion se rejoue cette scène dans la tête encore et encore – ayant poussé beaucoup à se dire que la chose allait se reproduire. Et même là, tous les éléments ne sont pas en sa faveur. Mais pas de souci. "A chaque fois, pour ces gros combats, il va chez son adversaire, a pointé son promoteur britannique Frank Warren dans l’émission Good Morning Britain. Wilder est un Américain et il est à Las Vegas pour l’affronter. Rien de tout ça ne le dérange. La boxe est sa vie, son boulot, et c’est comme ça qu’il voit les choses. Il a tellement un bon état d’esprit par rapport à ce qu’il fait. On n’a pas l’impression que la pression le touche, ou alors il le cache bien."

L’homme a trop traversé l’enfer mental pour se liquéfier devant la pression – il préfère celle de la bière, il en avait même consommé une avant le premier duel contre Wilder – d’un combat. Porte-parole permanent de la lutte contre les difficultés mentales, ce qui s’entend chaque fois qu’on lui tend un micro et qu’on lui pose une question là-dessus, il s’était même inquiété des conséquences sur le bien-être du "Bronze Bomber" quand il lui avait infligé sa première défaite en carrière. Il en a presque philosophé en conférence de presse en tirant un parallèle avec l’Américain, qui a plusieurs fois répété son envie de "tuer quelqu’un" (dont lui) dans un ring: "Je ne veux pas te tuer, je veux juste te battre. S’accrocher à la colère est comme de s’accrocher à un charbon chaud car tu veux me le jeter. Tu te brûles." "C’est une bataille qui continue, quotidienne, confie l’intéressé à Boxing News. Ce sera toujours le challenge le plus difficile de ma vie."

"Même dans ma plus mauvaise soirée..."

Ces derniers temps, il aurait pu encore sombrer. Avec le confinement, d’abord, qui a mis les nerfs de beaucoup à rude épreuve mais qu’il a passé à régaler ses "suiveurs" sur les réseaux sociaux avec des vidéos de ses séances de gym familiales (il en a notamment publié une où il fait répéter à sa femme et un de ses enfants les mouvements qui lui ont permis de mettre Wilder KO en février 2020). Avec le long timing pour débroussailler la situation sportive, ensuite, et cet arbitrage judiciaire qui l’a privé du plus gros combat de l’histoire de la boxe britannique, le très attendu – et très lucratif – combat d’unification totale de la catégorie contre Anthony Joshua. Avec aussi et surtout les problèmes de santé de sa dernière fille, restée longtemps en soins intensifs après sa naissance.

A le voir se pavaner dans les casinos de Las Vegas en robe de chambre Versace quand Wilder publiait des vidéos d’entraînement, au printemps dernier, on aurait aussi pu s’inquiéter de son sérieux à l’approche de cette trilogie. Même son père, "Big" John Fury, s’était un temps inquiété. Mais désormais, ce dernier affiche un discours inverse: Tyson est prêt, motivé, et rien ne l’empêchera de rouler encore sur son rival. Reste à savoir à quel Fury le monde de la boxe aura droit ce samedi. La version coachée par Ben Davison qui avait dansé autour de Wilder façon "je rentre-je touche-je sors" lors du premier combat ou celle coachée par Sugar Hill Steward qui était rentrée dans l’Américain et l’avait pris à son propre jeu de la puissance lors du deuxième?

Seule certitude: Tyson restera Fury, le plus pur talent des lourds avec Usyk (leur duel pour une unification totale serait immense, même si l’Ukrainien devra d’abord franchir la revanche contre Joshua, qui ne compte pas se mettre de côté pour les laisser, pour laquelle il a même proposé d’entraîner son compatriote pour l’aider à gagner). "Parfois, dans le ring, je suis presque en pilotage automatique tellement tout se fait tout seul, détaille-t-il. Je suis très difficile à battre. Les attributs que j’ai combinés sont très difficiles à surmonter. Non seulement je suis le plus grand et gros des lourds mais j’ai aussi la plus grosse allonge et le style le plus compliqué pour les autres. Je peux changer de garde, avancer ou reculer, aller à la guerre ou plus contrôler. J’ai un gros moteur, de l’endurance, et l’idée d’abandonner n’existe pas en moi. Avec tout ça, même dans ma plus mauvaise soirée, il est très difficile de me battre. J’aime la boxe, le combat, l’entraînement, le sparring. Je vis pour faire ça. C’est tout ce que j’ai."

En grande forme à l’écouter, ce dont on ne doute pas, l’homme qui va prendre au moins cinquante-cinq millions de dollars pour ce combat selon les estimations (la bourse est à 60-40 en sa faveur) et qui devrait se retrouver obligé d’affronter son compatriote Dillian Whyte (challenger obligatoire pour la WBC) s’il bat une nouvelle fois Wilder promet de prendre du plaisir dans le ring de Vegas. Mais pour le même résultat final. "Deontay Wilder est qui il est: une grosse merde, lance-t-il juste après avoir annoncé… qu’il ne voulait pas mal parler de lui. Personne ne me fera changer d’avis. La première fois que je l’ai affronté, je pensais que c’était un homme décent, qui faisait ça pour sa famille et ses enfants, mais je me rends compte que c’est juste un déchet. Je vais encore le coucher et je suis impatient de le faire. Je vais peut-être même prendre mon temps, le punir et lui faire dire 'No Mas' ("pas plus", référence célèbre dans la boxe pour évoquer un abandon depuis le deuxième combat Leonard-Duran dans les années 80, ndlr)." Le chasseur est devenu le chassé. Mais dans le ring, son appétit reste énorme.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport