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Boxe: Pourquoi le choc Fury-Usyk pour désigner le roi des lourds est un événement historique

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Les poids lourds vont enfin retrouver un seul et unique roi. Tyson Fury (champion WBC) et Oleksandr Usyk (WBA-IBF-WBO-The Ring) se disputent toutes les ceintures de la catégorie reine ce samedi en Arabie saoudite. RMC Sport vous explique pourquoi cet événement très attendu est historique pour la boxe.

Car la boxe attend ça depuis 25 ans

Jesse "Bam" Rodriguez, futur champion du monde dans deux catégories, allait naître deux mois plus tard. En France, on ne payait pas encore en euros. Il y a un peu moins de 25 ans, le 13 novembre 1999, le Britannique Lennox Lewis battait l’Américain Evander Holyfield sur décision unanime – leur deuxième combat après un nul huit mois avant – pour ajouter les titres IBF et WBA à sa ceinture WBC des lourds et devenir le champion incontesté de la catégorie. Problème? La catégorie reine n’a plus jamais connu un seul roi depuis cette date. Mais ça va changer avec le choc tant attendu entre Tyson Fury (34-0, 24 KO, 35 ans) et Oleksandr Usyk (21-0, 14 KO, 37 ans) ce samedi à Riyad.

A l’époque, en 1999, il faut les trois couronnes WBC-WBA-IBF pour revendiquer ce statut. Un chiffre porté à quatre depuis le milieu des années 2000 et la reconnaissance de la WBO par les trois autres organisations. Mais cet ajout n’est pas la raison de cette longue attente. Elles sont plutôt multiples. Il y a d’abord eu le long règne des frères Vitali et Wladimir Klitschko. Si on cumule leurs différents règnes, les deux Ukrainiens ont porté toutes les ceintures de la catégorie. Mais l’idée de s’affronter pour réunir les quatre titres – ce qui aurait pu être fait entre 2011 et 2013 – n’a jamais été sur la table (maman Klitscho aurait mis son veto même si ses fils le voulaient, ce qui n’était pas le cas).

La victoire de Fury sur Wladimir Klitschko en novembre 2015 va changer la donne. Nouveau champion WBA-IBF-WBO, le "Gypsy King" compte se rendre à New York deux mois plus tard – ce qu’il fera – pour assister à la défense du titre WBC de l’Américain Deontay Wilder face au polonais Artur Szpilka. Mais avant même son voyage aux Etats-Unis, l’IBF destitue Fury en raison de sa décision de zapper son challenger obligatoire Vyacheslav Glazkov pour signer un deuxième rendez-vous dans le ring (qui n’aura jamais lieu) avec Klitscho. La descente aux enfers personnelle de Fury entre drogue, alcool, kilos en trop et dépression éclate tous ses titres, qui vont tous finir par revenir autour de la taille de son compatriote Anthony Joshua.

En 2018, tout le monde rêve de l’unification totale de la catégorie entre Joshua et Wilder, alors tous les deux invaincus. Mais les deux camps ne tomberont jamais d’accord. Et le Britannique perdra ses trois titres face à Andy Ruiz Jr en 2019 avant de les récupérer quelques mois plus tard puis de les reperdre contre Usyk en 2021. Entretemps, la planète boxe a cru à un combat pour désigner un champion incontesté des lourds entre Fury et Joshua. Le premier avait même annoncé un accord, permis entre autres par le mafieux irlandais Daniel Kinahan, mais rien ne se matérialisera.

Et il aura fallu attendre 2024 – le combat devait avoir lieu en février avant un report en raison d’une grosse coupure au-dessus de l’œil subie par Fury à l’entraînement – pour enfin avoir droit au choc tant attendu. Qui opposera deux invaincus, Fury et Usyk, comme Joe Frazier et Muhammad Ali l’étaient au moment de s’affronter pour la couronne incontestée des lourds en 1971. Depuis 1921, où le champion incontesté était reconnu s’il détenait les titres NYSAC (commission athlétique de New York) et NBA (ancêtre de la WBA), 23 poids lourds ont pu revendiquer ce prestigieux statut. Le vainqueur du choc Fury-Usyk sera le vingt-quatrième.

Mais il pourrait y avoir un hic. Alors qu’une clause de revanche peut être activée par le perdant, l’IBF a annoncé qu’elle rendrait sa ceinture vacante après le premier combat pour refus d’affronter son challenger obligatoire Filip Hrgovic. En cas de nul ce samedi, la revanche n’aurait donc en jeu que les titres WBC, WBA et WBO. Et il faudra peut-être encore attendre quelques années pour avoir un champion incontesté dans la catégorie reine même si l’argent presque infini de l’Arabie saoudite pourrait accélérer l’affaire.

Car les deux hommes jouent gros sur leur "héritage"

"Si les ceintures étaient la chose qui m’intéressait, j’irais en acheter 50 dans un magasin. C’est l’argent qui m’anime…" Tyson Fury a beau manier l’art de la punchline, il ne trompera personne. Prénommé comme ça par son père en hommage au destructeur Mike Tyson, le "Gypsy King" est un amoureux de l’histoire de la boxe et des grands noms de sa catégorie et l’a déjà prouvé à de nombreuses reprises avec des références hyper précises. Bref, impossible pour lui de ne pas savoir ce qu’il joue ce samedi à Riyad contre Oleksandr Usyk. Et il joue gros.

Considéré par la majorité des spécialistes comme le meilleur poids lourd de cette génération après ses victoires sur Wladimir Klitschko et Deontay Wilder (x2), et même classé par certains parmi les meilleurs de l’histoire dans cette catégorie, Fury perdra ce statut s’il s’incline face à celui qu’il appelle "un poids moyen" depuis des années. Mais en cas de victoire, le Britannique récupérera pour la troisième fois la prestigieuse ceinture du magazine The Ring (la plus légitime pour beaucoup), ce qui égalerait le record d’un certain Muhammad Ali. Fury a clairement le plus à perdre des deux. De l’autre côté, Usyk a beaucoup à gagner. Et une place à prendre parmi les plus grands de l’histoire du noble art.

Champion olympique en 2012 chez les amateurs, champion du monde à sa dixième sortie sur le ring chez les pros, l’Ukrainien unifie tous les titres des lourds-légers cinq combats plus tard en remportant le tournoi World Boxing Super Series. Le tout en allant chercher chaque ceinture dans le pays de son adversaire (Krysztof Glowacki en Pologne, Mairis Briedis en Lettonie, Murat Gassiev en Russie, tout en battant Michael Hunter aux Etats-Unis et Marco Huck en Allemagne entre tout ça). Passé chez les lourds après une défense de ses quatre ceintures chez le Britannique Tony Bellew, Usyk devra seulement attendre son troisième combat dans la catégorie reine pour aller prendre trois de ses ceintures (WBA, IBF, WBO) en battant Anthony Joshua… en Angleterre.

Il ajoutera ensuite la couronne The Ring (vacant après la "retraite" de Fury après son TKO sur Dillian Whyte en avril 2022) à sa collection lors de la revanche contre "AJ". S’il bat Fury, qui détient le dernier titre qui lui manque chez les lourds, l’Ukrainien rejoindra Terence Crawford et Naoya Inoue dans la caste des champions incontestés dans deux catégories depuis le début de l’ère à quatre ceintures. Il rejoindra aussi l’Américain Evander Holyfield comme seuls champions incontestés chez les lourds-légers puis chez les lourds toutes ères confondues. Le tout en seulement 22 combats pros. De quoi lui offrir un siège à la table quand il s’agit de discuter des meilleurs de l’histoire dans ce sport.

Celui qui a écarté ces dernières heures l’idée de retraite – qu’il avait lui-même semée – en cas de victoire aura également beaucoup d’arguments pour prendre la place de Crawford ou Inoue (selon vos préférences) sur le trône du subjectif classement actuel toutes catégories confondues. Entre les deux invaincus, 34-0 et 24 KO pour Fury, 21-0 et 14 KO pour, un des deux zéros de la colonne défaite va tomber. Et l’homme qui le gardera en verra les conséquences sur son héritage sportif. Usyk saura-t-il faire triompher sa technique de magicien? Fury saura-t-il imposer sa carrure (15 centimètres de plus sous la toise, 18 centimètres d’allonge en plus et sans doute une vingtaine de kilos de plus dans le ring même si les dernières photos) pour imposer une équation physique impossible à résoudre pour l’Ukrainien? Vu par beaucoup comme un 50-50, ce combat fascine. Vingt-cinq ans que la boxe attendait ça. On y est.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport