Boxe: Tyson Fury, le "roi des gitans" à la personnalité torturée

Oubliez tout de suite ce que vous aviez prévu pour samedi soir. A partir de 20h30, il faudra se brancher sur RMC Sport 1 pour suivre en exclusivité le choc de titans entre Tyson Fury (33 ans, 31 victoires, dont 22 par KO, un nul), champion du monde WBC et actuel roi de la boxe, et son compatriote britannique Dillian Whyte (34 ans, 28 victoires dont 19 par KO pour deux défaites). A Wembley, l’ambiance s’annonce électrique pour ce championnat du monde des lourds prévu devant près de 94.000 spectateurs. Une affluence dingue pour le premier combat de Fury dans son pays depuis 2018 et, à l'en croire, le dernier de sa carrière, puisqu'il a annoncé vouloir prendre sa retraite.
"Je suis double champion du monde invaincu, j’ai 150 millions de dollars sur mon compte en banque et je n’ai plus rien à prouver à qui que ce soit", a-t-il répété ces dernières semaines. Avec déjà une idée précise pour son après-carrière : "Ce que je veux faire, c'est lézarder sur une plage, boire des pina colada, conduire des Ferrari et vivre sur un bateau." Tout un programme. Le monde de la boxe rêvait pourtant, en cas de victoire contre Whyte, d'un combat de réunification des titres contre le vainqueur de la revanche entre Anthony Joshua et l'Ukrainien Oleksander Usyk qui lui a ravi ses ceintures WBA, IBF et WBO en septembre dernier. Mais le "Gypsy King" (Roi des Gitans) n’est pas du genre à se faire dicter sa conduite.
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Né grand prématuré
Imprévisible et fantasque, il a toujours brisé les codes. En luttant depuis ses débuts contre l’adversité. Il faut dire que son histoire est peu banale. Fils de travellers irlandais (nomades du Royaume-Uni), celui qui doit son prénom à un certain Mike Tyson naît le 12 août 1988 prématurément de trois mois. "Je pesais 700 grammes à ma naissance. Sur les quinze grossesses de ma mère, nous ne sommes que quatre mômes à avoir survécu. Onze fausses couches, ce n'est pas un super palmarès. Alors j'estime que j'ai de la chance de me trouver là", confiait le géant de 2,06m pour 124 kilos dans les colonnes de L’Equipe en 2016. Ses premiers jours sur terre sont une bataille. Les médecins lui donnent seulement quelques semaines à vivre mais en matière d’agressivité, le jeune Tyson a de qui tenir.
Son père John, ancien combattant de rue et boxeur poids lourd professionnel, est notamment passé derrière les barreaux pour avoir arraché l'oeil d’un type lors d’une rixe. La cogne, une histoire de familles. Sa mère, issue d'une famille de voyageurs, était la fille d'un champion de boxe à poings nus qu'on appelait déjà le "Gypsy King". Le poids lourd a aussi comme cousin éloigné Bartley Gorman, maître des tripots clandestins et invaincu entre 1972 et 1992. Son surnom ? Le "Gypsy King", forcément. S’il s’essaie d’abord au foot à l’école communale, Tyson est vite rattrapé par ses gènes. Son frère Shane fait office de premier adversaire dans la cuisine familiale. Puis c’est son propre père qui essuie ses coups.
"J’habiterai toujours dans une caravane"
"Je lui ai décoché un crochet gauche. On a senti ses côtes se briser. Il n'a pas bronché et m'a remisé un bon coup derrière. On s'est arrêtés. Il valait mieux qu'il s'assoie. Il m'a avoué qu'on ne l'avait jamais frappé de la sorte. Ce moment clé a boosté ma confiance", racontait-il, toujours auprès de L’Equipe. Exister et se faire respecter, voilà pourquoi Fury décide de se battre. C’est en 2008 qu’il passe professionnel. Il n’a pas encore la gueule rasée à la Jason Statham, mais déjà la langue bien pendue et cette forfanterie qui ne l’a jamais quitté. Pas surprenant que ses idoles se nomment Roy Keane et Eric Cantona. Sur les rings, Fury est aussi chambreur que destructeur. Il baisse sa garde, se colle des claques, nargue public et rivaux, provoque encore et encore avec un culot fabuleux. Tout en assommant la concurrence. Sans jamais renier ses origines.
"Je suis un gitan, ça signifie que je ne refuse jamais la bagarre, disait-il en 2011 dans les colonnes de The Independent. Pas avec un abruti sur un terrain vague. Des gars bourrés qui te provoquent en balançant les poings, j’aurais adoré en étaler quelques-uns dans nos rassemblements. Appartenir à cette communauté, c’est indélébile. Comme un noir ne peut pas faire partir sa couleur. C’est ma vie, c’est ce que je suis et même richissime, j’habiterai toujours dans une caravane." Son destin est hors-normes. Et rien ne l’arrête. Le 28 novembre 2015, il devient un véritable phénomène en réussissant l'exploit de détrôner Vladimir Klitschko, en douze reprises, devant 55.000 spectateurs à Düsseldorf. L’Ukrainien, qui était invaincu depuis 2004, se fait arracher ses trois ceintures WBA-WBO-IBF. Un séisme.
Une longue dépression
Fury avait pourtant prévenu. Lors de la conférence de presse de présentation du combat, il s’était ramené en Batman, allant même jusqu'à mettre à terre un homme déguisé en Joker. Le tout sous le regard médusé de Klitschko. "Je me fous des titres en jeu, de l’argent, de la postérité. Je veux juste écraser ta vieille gueule et je me fous de ce que les gens pensent", avait-il lâché à l’attention de sa future victime. Fury est comme ça. Un esprit bravache, le goût du défi et cette faculté à semer la confusion dans l’esprit de ses adversaires. Un boxeur complet, aussi coordonné que précis. Si ses bourrelets peuvent faire sourire ceux qui ne le connaissent pas, ses esquives et sa puissance en font un virtuose. Mais après l’éclair face à Klitschko, son côté obscur prend le dessus sur tout le reste. Sa plongée dans la dépression est terrible. Entre alcoolisme, consommation de cocaïne, prise de poids et idées suicidaires, il n’échappe à aucun tourment.
"Je ne m’entraîne plus, je suis dépressif, j’en ai assez de la vie, confesse-t-il en octobre 2016 dans un entretien au magazine Rolling Stone. Je ne mens pas, je n’ai pas besoin de mentir. J’ai pris de la cocaïne à de nombreuses occasions au cours des six derniers mois, et pas pour améliorer mes performances. Honnêtement, je ne sais pas si je vais passer l’année. J’espère juste que quelqu’un me tue, avant que je me tue moi-même." Parfois, il reste plusieurs jours sans rentrer chez lui. Il se met des murges tous les soirs, souffre de crises d’angoisse et se réveille en larmes, perdu. "J'ai commencé à avoir des idées folles, expliquait-il il y a quatre ans après s'être sorti de cette très mauvaise passe. Lors de l'été 2016, j'ai acheté une nouvelle Ferrari. Un jour j'étais sur l'autoroute et j'ai poussé la voiture jusqu'à 300 km/h en me dirigeant vers un pont. Je n'en avais plus rien à foutre. Je voulais tellement mourir. En finir avec cette vie. Mais sur ce pont, j'ai entendu une petite voix : "Ne fais pas ça Tyson, pense à tes enfants, ta famille, à tes fils et ta fille qui vont grandir sans leur père." Ces idées noires venaient d'un homme qui avait tout : l'argent, la célébrité, la gloire, les titres, une femme et des enfants."
Une fabuleuse trilogie contre Wilder
Il lui faut fournir de gros efforts pour se relever. Perdre une cinquantaine de kilos et assumer sa part de folie, entre autres. Après une pause de deux ans et demi, marquée également par une suspension à la suite d'un contrôle positif à la nandrolone (un stéroïde anabolisant) et à la cocaïne, il reprend sa carrière en 2018, en devenant en parallèle ambassadeur pour des associations luttant contre la dépression. Ses succès face à l'Albanais Sefer Seferi et le modeste italien Francesco Pianeta lui donnent confiance. Rien de comparable toutefois avec ce qui l’attend en décembre 2018 face à l’Américain Deontay Wilder, alors champion WBC des lourds. Dans un choc entre grandes gueules et droites surpuissantes, personne ne parvient à prendre le dessus et malgré une grande intensité, le choc se termine sur un nul.
Un an et trois mois plus tard, le public de Las Vegas assiste à un tout autre scénario. Arrivé sur le ring avec une couronne sur la tête et son sourire le plus carnassier, Fury en repart, sept rounds et une démonstration de force plus tard, avec la ceinture WBC des lourds. Une sacrée renaissance pour se rappeler au monde du noble art et retrouver le trône de la catégorie en remportant la seule ceinture majeure qui manquait à son palmarès en carrière. Pour une des plus belles histoires de la boxe. En octobre 2021, Fury terrasse à nouveau Wilder au terme d’un duel magistral. Tombé deux fois, il s’en sort par KO au onzième round en ayant été repoussé dans ses derniers retranchements. La confirmation qu’il est bien le meilleur poids lourd de son époque.
Grand favori contre Whyte
"Il est le meilleur techniquement, et de loin. C'est le meilleur boxeur dans le pur sens du terme, notait en 2019 le Britannique Tony Bellew, ancien champion WBC des lourds-légers. Il n'a pas ni la puissance brute et la force de Wilder, le puncheur le plus destructeur depuis Mike Tyson, ou de Joshua mais ça peut être battu par le timing et la variété des coups." L'arsenal de Fury est complet. Il a la mobilité, l'aisance et la vista qui donnent l'impression qu'il boxe comme un léger. "Il est de loin le meilleur boxeur poids lourds actuel, a récemment déclaré la légende américaine Oscar de la Hoya. C'est un puissant puncheur, il est rapide, insaisissable et léger sur ses pieds. Il se déplace littéralement comme un boxeur poids plume sur le ring. Il est discipliné, il est dévoué, il est concentré. Le talent qu'il possède est de loin supérieur aux autres."
Même s'il est le grand favori de ce combat contre Whyte qui peut lui permettre de porter son record d'invincibilité à 33 succès, Fury préfère la jouer modeste. "Je vois les cotes (des paris en sa faveur) et je ris un peu parce qu'elles viennent de personnes qui ne connaissent rien à la boxe, a-t-il asséné. C'est de la boxe poids lourd, n'importe qui peut gagner avec un seul coup de poing. Si je ne suis pas au top de ma forme, ce type va me faire tomber la tête des épaules." Tout en précisant : "J'ai fait tout ce que je pouvais pour me préparer. Je me suis entraîné aussi dur pour affronter Dillian que pour Wilder ou Klitschko. Il va affronter le meilleur Tyson Fury."