
Boxe: Wilder, les excuses comme source d’espoir
Il n’a pas pu s’en empêcher. Jamais le dernier à saisir une perche tendue, Tyson Fury a profité de la dernière conférence de presse avant sa trilogie contre Deontay Wilder pour s’amuser de l’état d’esprit de son rival depuis sa défaite de février 2020: "Si je n’ai gagné que parce que j’ai triché, pourquoi tout changer? Quelqu’un peut-il répondre à cette question? Je sais qu’il ne le peut pas parce qu’il n’a pas le cerveau pour le faire." L’acceptation de la défaite se révèle souvent plus difficile en boxe que dans d’autres disciplines tant l’esprit de duel d’un sport de combat joue sur l’ego. L’histoire du noble art est ainsi parsemée d’excuses qui auraient leur place au panthéon des justifications les plus bizarres de l’histoire.
On ne les citera pas toutes, l’article tournerait au roman, mais certaines sont vraiment gratinées: George Foreman perturbé par la vue d’un ami encourageant Muhammad Ali dans les tribunes de Kinshasa lors du "Rumble in the Jungle" en 1974, Herol Graham troublé par le triangle amoureux dans sa vie privée avant d’affronter Sumbu Kalambay en 1989, Mike Tyson qui avait trop partagé de nuits avec des fans japonaises avant sa défaite surprise contre James "Buster" Douglas en 1990, les chaussettes trop serrées de Manny Pacquiao pour justifier son nul contre Juan Manuel Marquez en 2004, le gel et la mousse dans les cheveux de Sergio Martinez qui auraient perturbé Kermit Cintron en 2009 ou encore l’odeur corporelle trop gênante de Marco Huck pointée par Alexander Povetkin pour expliquer une performance pas au niveau où on l’attendait contre lui en 2012.
Mais avec Deontay Wilder, on touche au sublime dans le ridicule. Après la leçon de boxe infligée par Fury il y a près de vingt mois pour lui prendre la ceinture WBC des lourds, deuxième choc qui faisait suite au nul controversé (le Britannique avait dominé le combat mais avait été mis à terre lors de la neuvième et de la douzième reprise) de décembre 2018, le "Bronze Bomber" n’a pas simplement cherché une excuse. Pas habitué à perdre (première défaite en pro), touché dans son image de machine à KO inarrêtable (42-1-1 en carrière, 41 KO), il a sorti tout le catalogue. On a eu droit à son costume pour monter sur le ring, trop lourd et qui lui avait coupé les jambes (personne ne l’avait obligé à le porter, au passage). Il a aussi affirmé que les gants du "Gypsy King" n’avaient pas été bandés correctement, lui permettant de faire plus mal en frappant avec ses jointures, et qu’ils avaient peut-être même été lestés.
"Il aurait dû être viré aussi!"
Il a rajouté que son eau avait été trafiqué avec un produit relaxant pour les muscles et avait accusé Mark Breland, le coach qui a jeté la serviette au septième round et qui a été remercié depuis, d’avoir été de mèche avec le camp adverse pour tout ça. Des preuves? Il n’en a jamais fourni. Ce qui prouve qu’elles n’existent pas. Malin, Fury sait en jouer pour s’amuser en pointant l’autre coach de Wilder déjà présent à l’époque mais qui n’a pas été écarté: "Qu’est-ce que Jay Deas fait là? Il aurait dû être viré aussi! Si Mark Breland faisait partie d’une conspiration, il en était aussi car il était dans le vestiaire quand on m’a mis mes gants! Qu’est-ce que tu as à dire là-dessus Jay?"
On aurait pu croire à un simple déni de la défaite. Mais la chose persiste. Wilder continue d’affirmer que Fury a triché pour le battre, et n’hésite pas à s’appuyer sur une comparaison très osée pour appuyer ses dires. "Les hommes et les femmes peuvent mentir, mais pas vos yeux, a expliqué l’Américain au micro du Last Stand Podcast. Quand on voit les images, les vidéos, quand on voit les gants se tordre dans certains angles inhabituels… C’est comme pour l’affaire OJ Simpson. La taille des gants ne correspondait pas mais on sait tous quelle était la vérité." Contre toutes les évidences, contre la logique, le "Bronze Bomber" se dit persuadé d’avoir été blousé. "Il n’est pas ce que les gens pensent, c’est juste un putain de tricheur", lance-t-il dans un clip d’une séance d’entraînement diffusé par son promoteur Premier Boxing Champions (PBC). "J'irai dans ma tombe en croyant à ce que je crois, a-t-il rajouté en conférence de presse. Je sais des choses avec certitude. Beaucoup de choses sont claires à mes yeux et j'en ai eu la confirmation."
A force, car la répétition fait toujours son œuvre, il a mis une partie du public dans sa poche. Certains comptes sur les réseaux sociaux, à l’image du dénommé ArtmanBoxing sur Twitter, se sont lancés dans une croisade – à base de vidéos interminables où ils décortiquent toutes les images trouvables du deuxième combat – pour prouver la tricherie du camp britannique et affirmer que la revanche allait arriver dans ce troisième choc qui aura mis longtemps à se matérialiser. De l’autre côté, où l'avantage psychologique réside désormais suite au TKO du deuxième combat, la réponse tient en une arme: l’ironie. "On l’a fait, c’était juste un énorme complot, sourit Fury au micro de la chaîne YouTube Behind The Gloves. Moi, Jay Deas, Mark Breland, tout le reste de son équipe, on était tous dedans. Tu n’es en sécurité nulle part. On peut t’avoir n’importe où espèce d’enfoiré. Toute ton équipe est payée par moi."
Et d’enfoncer le clou pour le site MMA Fighting avec une subtile référence à une série: "Je vais encore tricher car je vais encore lui enfoncer la tête… C’est de la triche selon lui car dans son esprit, il n’est pas censé perdre. Je suis gitan, comme vous le savez. Vous connaissez Peaky Blinders? J’avais rempli les gants avec des fers à cheval et de la dynamite. Cette fois, je vais mettre encore plus de métal dedans. Ces gars qui se cherchent des excuses n’auraient pas pu faire face aux champions du passé, le moule sur lequel je suis fabriqué." La conférence de presse de ce mercredi lui aura permis d’en remettre plusieurs couches: "Peut-être que s'il n'avait mentionné qu'une de ces excuses, on aurait pu y croire. Mais quinze? Allons! Ce que ça me dit, c'est que c'est une personne faible mentalement, que je vais encore assommer."
Même John Fury, papa de Tyson (le même en plus vieux, pour résumer), y est allé de sa punchline pour talkSPORT: "Wilder a laissé tomber les fans américains avec ce comportement. Ce n’est pas un homme. Regardez comment Anthony Joshua réagit après sa faite face à Oleksandr Usyk et comparez ça à Wilder…" Impossible, tout bien réfléchi, de ne pas comprendre pourquoi l’Américain persiste et signe sur ses théories du complot. Elles sont sa source de motivation mais aussi d’espoir, la dernière chose à laquelle il peut s'accrocher. S’il refuse de voir sa défaite de février 2020 comme un TKO et préfère le mot "arrêt" car seulement dû à "un individu faible de (s)on équipe" (Mark Breland, donc), Wilder avait bien été dominé ce soir-là à Las Vegas. Ultra dominé, témoin les cinquante-huit "coups puissants" encaissés (quatre-vingt-deux en tout) contre seulement… trente-quatre coups au total qui ont touché pour lui (dix-huit "coups puissants").
"Revanche par le sang"
Fury est le meilleur boxeur des deux, impossible de ne pas le voir si on connaît un minimum le noble art, et après deux combats où il a maîtrisé malgré deux styles différents, en "danse" je viens-je touche-je sors au premier, en bulldozer plus lourd et qui avance encore et encore au deuxième, cette trilogie ne vaut que par la capacité de l’Américain à éteindre la lumière de n’importe qui sur un seul coup grâce à sa puissance hors normes. Croire à la triche du "Gypsy King", c’est donc aussi croire au fait que le scénario de ce deuxième combat ne se reproduira pas, au contraire de ce que pensent beaucoup d’observateurs. Il suffit d’écouter Malik Scott, ancien boxeur mis KO au premier round par… Wilder en mars 2014 et venu remplacer Breland, pour comprendre: "Il a eu l’impression qu’on lui a mise à l’envers sur tellement de choses. Et j’ai le sentiment qu’il a le droit de ressentir cela. J’aime l’état d’esprit violent qu’il arbore. J’aime qu’il veuille sa revanche par le sang."
Dans les vidéos d’entraînement publiées sur Instagram, le camp Wilder tente de faire passer l’idée d’un Deontay qui a ouvert son jeu pour le rendre plus complet, moins unidimensionnel sur sa puissance. Scott explique lui avoir refait travailler les fondamentaux, encore et encore. Mais comment rattraper des années de lacunes techniques en quelques mois? Son coach tente d’appuyer les actes par les paroles, mais ces dernières reviennent vite à sa seule véritable qualité: la capacité à vous détruire en une seconde. Il faut dire que cultiver l’idée d’une triche en face n’aide pas à se bouger l’arrière-train pour progresser et vraiment changer les choses…
"Il a fait des progrès de géant, tente tout de même Scott. Je le vois faire des choses que je n’avais jamais vues chez lui dans les exercices d’entraînement. Ce n’est pas juste une question d’espoir de mettre un KO. Mais quad vous le voyez sparrer, vous pouvez voir que c’est violent. Et si ce n’est pas le cas, s’il appuie sur la pédale de freins, je fais en sorte qu’il garde cet état d’esprit qui consiste à 'tuer, tuer, tuer'. Quand Deontay frappe quelqu’un, il l’envoie dans une autre dimension." Progrès ailleurs ou pas, l’intéressé comptera toujours sur sa grande force pour s’en sortir. "Les gens parlent des qualités techniques mais c’est un disque rayé, explique-t-il à BT Sport. On a bu beaucoup de boxeurs en avoir des immenses mais perdre quand même. Mais si vous avez ma puissance, vous restez toujours dans le combat."
Avec cette trilogie, Deontay Wilder dispute sans doute le combat le plus important d’une carrière qu’il dit "proche" de la fin même s’il compte d’abord unifier les quatre ceintures de la catégorie (Usyk a les trois autres). En cas de victoire, ce rêve de champion incontesté restera viable. En cas de défaite, qu’on lui promet, rebondir sera compliqué. L’homme qui n’est pas placé dans le top 4 des lourds par Eddie Hearn (promoteur de Joshua) pourra viser un combat contre Andy Ruiz Jr, autre boxeur de PBC qui s’est fait un nom en détrônant "AJ" (avant de perdre la revanche) en 2019. Si Joshua s’incline dans la deuxième manche contre Usyk, qui devrait avoir lieu dans les prochains mois, il y aurait aussi la possibilité d’un intriguant Wilder-Joshua qui n’aurait plus le cachet qu’il aurait pu présenter il y a quelques années mais qui permettrait au vainqueur de revenir dans la course.
Malik Scott, lui, veut croire que cette trilogie est le début d’un retour au sommet: "S’il continue d’être aussi concentré, avec un état d’esprit similaire, et de travailler aussi dur, il ne perdra plus jamais un combat". Cela passera d'abord par une victoire sur Fury. Un combat qu’il devra sans doute aborder sans frein s’il veut s’imposer à en croire les conseils d’un certain Mike Tyson. "Il devrait tout donner sur cinq ou six rounds, estime le plus jeune champion du monde de l’histoire des lourds pour la chaîne YouTube EsNews. Et si tu l’attrapes, tu l’attrapes. Il faut tout mettre, que cela donne une victoire ou une défaite."
"Iron Mike" a même des doutes sur la véritable motivation de celui qui était venu à la boxe pour aider à traiter sa première fille, atteinte d’une maladie génétique et qui va aujourd’hui bien mieux que ce que les médecins avaient prédit, et qui va toucher au moins quarante millions de dollars ce samedi selon les estimations des spécialistes (la bourse est à 60-40 en faveur de Fury grâce à sa victoire dans le deuxième combat): "J’aime Wilder et ses chances dans ce combat mais est-ce qu’il vient gagner ou juste prendre un gros chèque? Est-ce qu’il veut vraiment gagner?"
A trente-cinq ans, un âge avancé mais dans une catégorie où le temps joue moins sur les performances, Wilder a encore du temps devant lui mais plus tellement non plus. Le défi est là, face à lui. Mais le pic à gravir monte très haut. "Au fond de son âme, il sait qu'il a perdu, a souri Fury en conférence de presse. Il a perdu la première fois, il a perdu la deuxième fois et il va perdre la troisième fois. Et après, il retournera travailler dans cette chaîne de fast-food où il travaillait avant de faire carrière dans la boxe. Jusqu'à la retraite. (...) Ça fait deux que je vis dans sa tête sans payer de loyer. Chaque fois qu’il regarde dans le miroir, il voit Tyson Fury. Quand il va se coucher et qu’il ferme les yeux, il voit le 'Gypsy King'. Quand il se réveille, la première chose à laquelle il pense, c’est Tyson Fury. Pareil quand il va se coucher avec sa femme. Ça doit être fou d’être à ce point obsédé par moi." Plus que deux jours et l’obsession deviendra la réalité d’un ring partagé. Avec beaucoup en jeu pour Deontay le complotiste qui compte redevenir Wilder le champion.