UFC: le MMA Factory, la petite salle devenue centre du monde avec Ngannou-Gane

Les yeux du monde seront rivés sur leur combat. Mais tout a débuté pour eux dans une petite salle sur deux étages, boulevard Poniatowski dans le XIIe arrondissement de Paris, à quelques encablures de la Porte Dorée, du périphérique et du bois de Vincennes, qui sera le centre de la planète MMA pour une soirée. Bienvenue au MMA Factory, là où sont "nés" au MMA Ciryl Gane (qui avait commencé les sports de combat par le muay-thaï au Puteaux Scorp’Thaï) et Francis Ngannou (qui avait boxé dans son Cameroun natal), les deux protagonistes d’un choc historique pour le titre des lourds de l’UFC ce week-end en Californie.
Au-dessus de la grande cage d’une vingtaine de mètres carrés du rez-de-chaussée, leurs portraits accompagnent ceux des autres grands combattants passés par le Factory. Comme un rappel du côté usine à champions de la salle née en 2012 de l’imagination de Fernand Lopez, ancien entraîneur de Ngannou et actuel coach de Gane, directeur sportif et fondateur de ce qui est devenu le centre névralgique du MMA français. "Ça me rend vraiment fier pour le MMA Factory car tout s’est passé ici, à Paris, avec la pédagogie française", sourit l’intéressé à l’évocation de ce "complexe sportif autour des arts martiaux".
Quatre de ses membres, Ciryl Gane, Nassourdine Imavov, Alan Baudot et la Vénézuelienne Veronica Macedo, sont dans l’effectif de la grande UFC. Et un cinquième pourrait les rejoindre, Taylor Lapilus, également consultant RMC Sport, dont le retour dans la principale organisation de MMA à travers la planète est dans les tuyaux pour les prochaines semaines ou les prochains mois. Le MMA Factory, c’est avant tout le bébé de son "King" (son surnom), son "mâle alpha" (autre surnom), Fernand Lopez Owonyebe. Né au Cameroun dans une famille de la classe moyenne, avec ses deux parents profs, il pratique le "messing", une lutte tribale de sa région, le taekwondo et la lutte libre pour apprendre à se défendre, mais aussi le rugby où il finira par devenir international dans son pays qui est aussi celui de Ngannou.
Après ses études d’ingénierie en électrotechnique bouclées aux Etats-Unis, où il travaille à l’accueil d’une salle de musculation et tâte différents styles de combat, il débarque en France pour travailler dans la programmation d’ascenseurs et d’automates. Il le fera à Disneyland Paris, en Seine-et-Marne. En parallèle, il poursuit la lutte et le rugby, à plutôt bon niveau pour ce dernier, et commence des cours à l’INSEP, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, d’où il sortira titulaire de plusieurs diplômes d’Etat qui le muent en véritable théoricien de la bagarre, une intellectualisation du combat qu’on entend dès qu’on discute de ce thème avec lui.
Mais une blessure sur un disque cervical va changer son destin. Les spécialistes sont formels: ce sera arrêter le sport ou risquer la chaise roulante. Déterminé, Lopez finit par convaincre un chirurgien de réaliser une opération jugée trop dangereuse par beaucoup d’autres. La rééducation est longue, très longue, cou coincé. Mais il finit par voir le bout du tunnel et par pouvoir reprendre le sport. Ce sera le grappling et le jiu-jitsu brésilien, deux disciplines où on peut combattre sur son dos et "taper" (abandonner) si une trop grande pression est mise sur le cou, du côté de la Free Fight Academy avec coach Mathieu Nicourt. De mieux en mieux physiquement, il reprend la lutte et se met à la boxe. Autant de sports qui vont le mener sur le chemin d’un autre, où il peut tous les mixer: le MMA.
Lopez va débuter une courte carrière dans cette discipline, de 2006 à 2010, qui le voit faire dix-sept combats (dix victoires, sept défaites) dans des petites organisations à travers l’Europe et même le Moyen-Orient, de la France – en pancrace, car le pur MMA en compétition n'y a été légalisé qu'au printemps 2020 – à Abu Dhabi en passant par l’Allemagne, la Russie, les Pays-Bas, l’Angleterre, la Suisse ou la Belgique. Pas une carrière folle mais une immense victoire sur la vie après ce qu’il avait vécu. Un parcours qui lui a surtout permis de commencer à coacher à la Free Fight Academy et de se découvrir une fibre pédagogique. Qui le pousse, après avoir quitté la salle suite à une situation difficile avec un combattant dont il était proche mais qui ne le voulait plus dans son coin, à se lancer dans l’aventure en solo avec le MMA Factory.
L’idée se développe en quelques semaines. La salle se nomme d’abord "CrossFight" avant d’être rebaptisée. Les débuts sont anonymes, avec une poignée d’élèves. Moins de dix ans plus tard, ils sont plusieurs centaines pour des cours de tous niveaux et pour tout âge mais aussi plusieurs dizaines de combattants professionnels (certains donnent aussi des cours) et d’encadrants, tous réunis dans une structure dont le logo est un dessin représentant Lopez. Patron, coach, manager (via la structure Management Factory qui naîtra plus tard), businessman, désormais promoteur avec l’organisation Ares Championship: Fernand a très peu pris de vacances et s’est démultiplié tout au long de ces années pour développer sa salle placée sous les signes de l’excellence et de l’exigence, que ce soit dans son coaching ou dans l’approche de ses élèves, mais aussi de l’esprit de famille avec des instructions qui se mélangent souvent aux sourires.
Et le travail de cet homme souvent moins grand que ses combattants mais dont la voix porte a payé. La salle est "sur le point de fermer en 2013 ou 2014", raconte Lopez, mais des personnes vont lui venir en aide pour lui permettre de sortir la tête de l’eau. C’est aussi l’époque où ce passionné de cinéma fan de Jean-Claude Van Damme et qui a pris quelques leçons au cours Florent prend sous son aile celui qui va "apporter beaucoup de lumière au MMA Factory", Francis Ngannou, migrant camerounais sans le sou mais qui rêve de boxe avant d’être réorienté vers le MMA et de terminer à l’UFC. Et dont l’histoire résume une partie de l’état d’esprit du Factory de Lopez.

"Je l’ai pris sous le projet de la 'fiche zéro', qui donne accès gratuitement à la salle, rappelle ce dernier. Il en a bénéficié pendant trois ans et demi, en recevant des tenues des sponsors et de l’argent de la salle. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il y a une cinquantaine de gens en situation de précarité qui en bénéficient tous les ans. C’est ma manière à moi de faire de la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises, et de rendre au monde et à la France ce qu’ils m’ont apporté." L’histoire d’amour entre les deux Camerounais finira par une séparation qui laissera des rancœurs, on le voit bien dans l’approche du choc Ngannou-Gane, mais avoir mener le "Predator" à un combat pour le titre des lourds de l’UFC en janvier 2018 – perdu contre Stipe Miocic, contre lequel il prendra sa revanche pour la ceinture en mars 2021 – a encore un peu plus crédibilisé la salle parisienne.
Le Factory, qui deviendra une des rares salles de MMA au monde sponsorisées par Reebok (alors sponsor de l’UFC) avec les célèbres AKA (Etats-Unis, où s’entraînait notamment Khabib Nurmagomedov) et SBG (Irlande, celle de Conor McGregor), propose aujourd’hui à ses athlètes de haut niveau un programme à 360°. Il y a le sportif, bien sûr, avec au fil du temps des coaches spécialisés recrutés parmi les meilleurs de leurs disciplines respectives à l’image le membre de la MKTeam Olivier "Mako" Michailesco en jiu-jitsu brésilien ou de l’ancien membre de l’équipe de France Zelimkhan Khadjiev en lutte, mais aussi un accompagnement sur tout le reste : management, cours d’anglais pour répondre aux sollicitations médiatiques ou de business, media training, suivi psychologique, pôle médical, etc.
Avec la réussite de ses troupes, elle est même devenue une franchise: on trouve par exemple une présence du MMA Factory dans une salle de fitness à Stains, en Seine-Saint-Denis, ou à Urruque, dans le Pays basque. La marque s’est également associée avec l’équipementier Venum, sponsor de l’UFC à la place de Reebok depuis le printemps 2021, pour renommer à son nom (et l’utiliser pour ses combattants) le grand centre d’entraînement présent dans les locaux de la marque à la tête de serpent, à Rungis (Val-de-Marne), où Gane a récemment préparé son choc pour le titre à l’UFC 270. Un événement qui pourrait définitivement consacrer la réussite de la structure montée par Fernand Lopez dix ans auparavant. La petite salle parisienne est bien devenue un énorme acteur du MMA mondial.