Élection américaine: comment l’UFC s’est transformée en instrument de propagande pour Donald Trump

Ce 18 juillet 2024, les milliers de spectateurs réunis au Fiserv Forum de Milwaukee (Wisconsin), dans le midwest américain, trépignent d’impatience. Cinq jours après la tentative d’assassinat de Donald Trump à Butler (Pennsylvanie) qui a secoué le pays, et trois jours après le début de la convention républicaine qui a vu le parti officiellement investir l’ancien président dans la course à la Maison-Blanche, l’assemblée attend de voir son héros miraculé monter sur scène. Le concert de Kid Rock vient de s’achever, place maintenant au discours "d’introduction", le dernier speech avant l’apparition du fauve Donald Trump, celui qui doit chauffer le public à blanc.
En 2016, comme en 2020, c’est Ivanka Trump, la fille aînée du milliardaire, qui avait eu droit à cet honneur. Mais cette année, la tradition touche à sa fin. Ce n’est pas un membre de la famille qui prend place derrière le pupitre, ni même un cadre du parti. L’heureux élu, l’homme qui se présente face à la foule, n’est autre que Dana White, le patron de l’UFC, la plus puissante organisation de MMA au monde.
Crâne rasé, costume marine et chemise ouverte, l’entrepreneur se livre pendant plus de cinq minutes à une allocution enflammée à la gloire du candidat républicain. "Je travaille dans l’industrie des durs à cuire, et cet homme est le plus dur de tous, c’est l’être humain le plus résilient que j’ai rencontré dans ma vie. (…) Je vais vous dire ce que je sais: je sais que l’Amérique a besoin d’un leader fort, et que le monde a besoin d’une Amérique forte. Je sais que Donald J. Trump est le meilleur choix pour notre pays", lance White, avant que Trump – pansement sur l’oreille droite – ne fasse son apparition sous les hourras et les "USA, USA".
Donald Trump, un habitué de l'UFC
Ce mélange des genres, moins fréquent de ce côté de l’Atlantique, n’a interpellé personne aux États-Unis, où le soutien des célébrités, artistes, ou sportifs de haut niveau est un enjeu majeur de la campagne présidentielle. Mais alors que la NBA et ses basketteurs – on se souvient que les Golden State Warriors avaient boycotté en 2017 la traditionnelle réception à la Maison-Blanche – roulent massivement pour le camp démocrate et pour Kamala Harris, le monde des sports de combats, et l’UFC tout particulièrement, n’a d’yeux que pour le magnat de l’immobilier.
Le phénomène n’est pas nouveau. Spectateur régulier de l’UFC, Donald Trump y est acclamé à chacune de ses apparitions depuis des années. Au Madison Square Garden de New York, en novembre 2023 pour l’UFC 295, son apparition dans la salle – entre Dana White et Tucker Carlson, l’éditorialiste chouchou de l’extrême droite – avait soigneusement été mise en scène, telle l’entrée d’un combattant dans l’octogone. Rebelote en mars 2024 pour l’UFC 299 à Miami, ou en juin pour l’UFC 302 à Newark, dans le New Jersey. À chaque fois, les mêmes images: un public qui exulte, et des combattants presque énamourés qui passent par-dessus la cage sitôt la victoire décrochée pour aller saluer au premier rang l’ancien chef d’État, puis lui rendre hommage micro en main. Ou quand l’événement sportif devient meeting.
Du sulfureux Colby Covington - l’homme qui ne quitte jamais sa casquette rouge "Make America Great Again" - au poids lourd Derrick Lewis, en passant par Jorge Masvidal, Kevin Holland ou Dustin Poirier, la liste des athlètes qui ont ainsi exprimé leur soutien (ou du moins leur sympathie) à Donald Trump ces dernières années est longue comme le bras. Elle dépasse même les frontières des États-Unis, puisque Conor McGregor, irlandais, avait par exemple confié son soulagement après la tentative d’assassinat manquée de juillet.
Cejudo, Gaethje et Dariush ont parlé lors d'un meeting
Ces dernières semaines, à l’image du discours de Dana White à Milwaukee, la proximité entre Trump et l’UFC s’est pourtant accentuée. La chose a même pris un tournant inédit, avec des combattants devenus de véritables acteurs de la campagne. Il y a quelques jours, Henry Cejudo, Justin Gaethje et Beneil Dariush, trois des meilleurs fighters de l’organisation, se sont ainsi rendus avec leur manager Ali Abdelaziz à une réunion publique dans le Michigan – un état pivot que se disputent démocrates et républicains – pour convaincre l’électorat arabo-américain de voter en faveur de leur poulain, le seul capable d’apporter la paix au Moyen-Orient et dans le monde.
La semaine passée, sur X, c’est l’American Top Team, l’une des salles de MMA les plus prestigieuses des États-Unis, où s’entraînent un bon paquet de champions (Alexandre Pantoja, Dustin Poirier, Arman Tsarukyan, Jairzinho Rozenstruik…), qui a clairement pris position en demandant au rappeur Drake – le spécialiste des paris perdus – de miser sur Kamala Harris… pour ainsi faire gagner Trump.
Un Trump qui a depuis longtemps compris l’intérêt de transformer la cage en arène politique, et qui lui aussi joue le jeu sur les réseaux sociaux, diffusant par exemple ses conversations téléphoniques, depuis son jet privé, avec son grand copain Dana White.
Deux décennies d'amitié... et de fidélité
Difficile de comprendre comment l’UFC en est arrivée là, comment l’organisation s’est transformée en instrument de propagande, sans s’attarder un peu sur la relation entre les deux hommes, liés depuis maintenant deux décennies et le début des années 2000. Souffrant à l’époque d’une image déplorable (le sénateur John McCain avait qualifié le MMA de "combat de coqs humain"), ostracisée et cantonnée à de modestes salles dans des états comme le Mississippi, l’Iowa ou l’Alabama, l’UFC avait reçu un coup de pouce salvateur de Donald Trump, qui avait ouvert en 2001 les portes du Taj Mahal, son célèbre casino d’Atlantic City, à l’organisation.
De quoi soulager ses finances, de quoi aussi lui donner de la légitimité. Et de quoi, pour Donald Trump, s’assurer la reconnaissance éternelle de Dana White. Resté fidèle à l’homme d’affaires, le promoteur n’a pas hésité à faire de généreux dons et prendre la parole dès 2016, quand Trump a brigué pour la première fois le Bureau ovale. "Donald a défendu l'UFC avant qu'elle ne soit populaire, avant qu'elle ne devienne une entreprise prospère, et je lui serai toujours reconnaissant de nous avoir soutenus à nos débuts", lançait White lors de la convention républicaine précédant l’élection de Trump il y a huit ans. Un premier renvoi d’ascenseur. Pas le dernier.
"Après 2020, et surtout après l'insurrection du 6 janvier (l’assaut du Capitole début 2021, NDLR), Donald Trump s'est servi de l'UFC comme d'une plateforme pour réhabiliter son image", explique auprès de la radio NPR Karim Zidan, auteur d’un podcast documentant justement les liens étroits entre Trump et l’UFC. "Six mois après, l'UFC accueillait de nouveau Donald Trump à ses événements. Et cela s'est poursuivi au cours des dernières années, au point de normaliser sa présence."
Une audience et des valeurs communes
Ce qui n’est pas pour déplaire au public américain de l’UFC, bien au contraire. Car aux États-Unis, le fan type des combats dans l’octogone est plutôt du genre masculin, jeune, conservateur, pro-armes. Souvent redneck. Aux valeurs bien plus compatibles avec la politique et les discours de Donald Trump que ceux de la vice-présidente sortante.
"Il faut remonter à la création de l'UFC, à l'histoire des arts martiaux mixtes, et comprendre qu'il s'agit d'un sport de niche qui, à un moment donné, a été relégué hors de la société, n'a pas été pris au sérieux", développe Karim Zidan. "Beaucoup de combattants et de fans ont développé cette mentalité 'nous contre eux' qui a fini par profiter à quelqu'un comme Donald Trump, qui s'est vraiment connecté avec ces groupes de personnes qui se sentaient exclues de l'espace politique et de la société en général. (…) Le MMA a également été l'un des premiers sports à être réellement un sport en ligne. Les fans se sont rassemblés sur des forums et différents espaces sur Internet. Il se trouve que ce sont ces mêmes espaces où de nombreuses théories conspirationnistes d'extrême droite finissent par se répandre, proliférer et radicaliser ces mêmes jeunes hommes qui regardent l'UFC."
En convoquant la figure de Donald Trump dès qu’il le peut, Dana White s’assure donc de contenter et de fidéliser un peu plus sa fanbase. En s’affichant à l’UFC, Donald Trump récolte, ou fidélise là encore, des électeurs.
"Soit vous êtes avec Dana, soit vous ne faites pas partie du jeu"
Un deal gagnant-gagnant, auquel viennent donc se mêler les combattants. Par volonté de s’assurer l’amour du public, par conviction aussi, puisque beaucoup d’athlètes sont issus de milieux difficiles (pauvreté, violence, manque d’instruction) où le vote Trump prédomine, et parfois parce qu’ils suivent l’exemple du boss. "Dana White a une véritable mainmise sur ces combattants", observe Solomon Lennox, chercheur spécialisé dans les relations entre la droite et les sports de combats, dans les colonnes du magazine américain The New Republic. "Soit vous êtes avec Dana et vous faites ce qu’il veut, soit vous ne faites pas partie du jeu... Si vous n'entrez pas dans le moule et que vous n'êtes pas prêt à suivre la ligne, il n'y a pas de place pour vous à l'UFC."
Ce qui inciterait certains à faire un peu de zèle. "Comme les dirigeants de l'UFC se sentent de plus en plus à l'aise pour exprimer des opinions politiques d'extrême droite, on verra des combattants exprimer des opinions politiques encore plus à droite", ajoute Brian Hugues, codirecteur du Polarization and Extremism Research and Innovation Lab, toujours auprès de The New Republic.
De quoi donner lieu à des séquences régulièrement embarrassantes, voire à des outrances, comme en janvier 2024, lorsque Sean Strickland – combattant adepte des sorties controversées – a versé dans la diatribe anti-LGBT en pleine conférence de presse. Nate Quarry, ancien combattant de l’UFC, considère d’ailleurs que l’élection de Trump en 2016 a marqué un virage conservateur dans l’organisation. "Par le passé, les combattants étaient dans le placard avec leurs croyances et leurs idées", témoignait-il récemment. "Mais maintenant, Trump leur donne la permission d'être aussi grossiers et aussi cons qu'ils le veulent."