Roland-Garros: Clara Burel, l'espoir qui monte pour le tennis féminin français

Quand il est question de Clara Burel, qualifiée pour le 3e tour de Roland-Garros, Georges Paysant hésite rarement à décrocher son téléphone. Ce professeur de tennis ne conserve pas trace de tous ses élèves, sa carrière a débuté il y a fort longtemps, mais le souvenir de la petite Clara et de sa découverte du tennis à Louannec est encore bien vivace.
"Elle est arrivée à sept ou huit ans, à un âge où c’est assez ludique, se remémore-t-il pour RMC Sport. Elle arrivait parfois en jean en sortant de l’école, alors je la rabrouais un peu: 'Clara, on ne joue pas au tennis en jean'. C’était vraiment la petite débutante qui n’avait jamais touché une raquette (sourire). Je me rappelle toujours de son regard, énigmatique, profond. Il y avait plein de choses derrière ce regard, la volonté... Cela m’avait frappé, parce qu’à cet âge-là, on voit rarement un regard comme le sien. C’est beaucoup plus frais, léger, avec les enfants de cet âge-là. Mais elle, il y avait déjà une profondeur dans ce regard, quelque chose de curieux dont je me rappelle toujours."
On pouvait y lire cette semaine la détermination d’une jeune femme galvanisée par le frisson de la compétition, plus impatiente qu’indécise à l’idée de se confronter aux meilleurs, elle qui découvre pourtant à peine le circuit principal (elle a été freinée par une grosse blessure au poignet pour laquelle elle a été opérée). Inutile de se fier à un langage corporel quelque peu nonchalant pour décrypter le phénomène - la Bretonne de 19 ans ne parle pas davantage à la presse -, son attitude ne trahit aucune faiblesse. La force mentale dont elle a fait preuve pour dominer Arantxa Rus à la belle étoile et ranger la Slovène Kaja Juvan, qui l’avait battue en finale des JO de la Jeunesse, au rayon des mauvais souvenirs, ne surprend guère ceux qui ont observé de près l’éclosion de la jeune championne.
Clara Burel, c'est du granit
"La compétition, ça lui permet de sortir en elle toute cette force mentale, cette maturité qu’elle a toujours eue, très tôt par rapport à d’autres athlètes", confie Norbert Palmier, qui a entraîné Clara Burel pendant deux ans, jusqu’à l’édition 2018 des Internationaux de France de tennis. "J’en ai vu des enfants doués, mais elle n’en faisait pas partie, jure pour sa part Georges Paysant. Elle était adroite mais pas très déliée quand elle a commencé, avec des déplacements moyens. En revanche, je me rappelle encore de son mental. C’est quelque chose qui m’a vraiment frappé. Je me suis dit: 'elle a vraiment quelque chose d’un peu hors norme'." Si la pression semble glisser sur elle, c’est que Burel a d’autres atouts.
La Française dispose dans son arsenal d’une intelligence de jeu exceptionnelle, avec une maîtrise des variations au service d’une main fabuleuse. "Elle est capable de trouver des réponses justes dans des moments de stress important", complète Norbert Palmier. "Ce qu’elle faisait souvent à l’époque, chez les juniors, alors qu’elle n’avait pas un très bon service, c’est qu’elle cherchait un ace sur seconde balle, sur un point très important, ajoute-t-il. Elle était capable aussi de tenter un coup impossible, là où d’autres joueurs ou joueuses auraient peut-être cherché à faire jouer, construire le point, assurer. Elle va mettre beaucoup plus d’intensité que les autres sur les points importants."
Capable d’accélérations subites des deux côtés, coup droit comme revers, ou d’habiles variations pour casser le rythme, Clara Burel a certes tous les coups du tennis dans sa raquette, mais également - et c’est bien normal à son âge -une marge de progression conséquente dans certains secteurs techniques, comme le service. "Au niveau bras, c’est mieux, elle va chercher plus haut, mais ce qui me choque c’est son jeu de jambes, confie Georges Paysant. Elle n'a pas du tout d’utilisation de jambes, c’est assez curieux de la voir avec des poteaux au sol. Sur le travail de bassin, de passage de poids de corps arrière-avant, de flexion-extension… Elle a de la marge de progression technique et c’est intéressant."
Palmier: "Je la vois vraiment arriver dans le top 10 sans problème"
Norbert Palmier souhaitait développer ce secteur de jeu, mais il se sera heurté aux réticences de la joueuse du temps où il était son entraîneur. "Elle avait subi plusieurs déchirures abdominales, rappelle-t-il. Quelque part, à la suite de ça, elle s’est un peu protégée. Elle avait peur de se blesser, du coup on ne pouvait jamais le travailler. Elle n’était pas prête dans sa tête. Elle n’en voyait pas l’importance parce qu’elle faisait un service très slicée, très court, qui faisait des miracles en juniors. Les filles n’arrivaient pas du tout à la jouer. Du coup, elle n’en voyait pas l’intérêt. Parce qu’elle trouvait qu’elle ne se faisait pas vraiment attaquer. Sauf que, quand on passe chez les adultes, c’est un autre registre, forcément."
Le coach d'Alizé Lim ne désespère pas pour autant de voir Clara Burel progresser encore, et abattre les barrières mentales qu’elle a peut-être hissé entre son potentiel, indéniable, et la carrière qu’elle pourrait embrasser. "Elle n’a pas conscience qu’elle peut devenir très, très forte, regrette-t-il cependant. Je la vois vraiment arriver dans le top 10 sans problème, si elle continue de travailler dur, si elle met l’intensité qu’il faut, qu’elle ne se met pas des barrages comme au service. Elle a tous les coups du tennis, le mental. Le physique est là, mais globalement, c’est là qu’il faut qu’elle progresse. Si le physique tient la route, je ne vois pas qui peut l’embêter, parce qu’elle va toujours surprendre ses adversaires, réussir à casser le rythme."
Parce que c’est la nature de son jeu que de faire déjouer, de manger le cerveau, Clara Burel est désarmante. "En demi-finales de l’Open d’Australie, quand je suis allé voir son quart de finale, je me suis dit: 'ça va être dur pour Clara, la fille en face joue vraiment très vite'. Dans ma tête, je me disais que ça allait être compliqué. Clara est arrivée sur le court. Il y a eu un premier set très accroché, mais après, c’était terminé. Elle lui est rentrée dans le cerveau, lui a détruit son jeu, la fille n’arrivait plus à taper une balle. Elle la mettait dehors ou dans le filet. Elle a cette intelligence de jeu qui est assez impressionnante. Sur son prochain match (contre Shuai Zhang), on peut avoir l’espoir de se dire qu’elle va lui rentrer dans le cerveau, qu’elle va commencer à la déstabiliser avec son jeu en variation." Et continuer d'illuminer un ciel pour l'instant très gris.