"Yannick Noah était le joueur le plus gentil avec les ramasseurs", raconte un ramasseur de balle de 1983

Quand on vous annonce, à l’époque, que vous allez officier en tant que ramasseur de balle pour la finale de Yannick Noah, comment réagissez-vous?
En 1983, c'est ma troisième année en tant que ramasseur de balles à Roland-Garros. Je fais partie des anciens. Mon anniversaire est le 2 juin et la finale le 5 juin, donc c’est un joli cadeau d’anniversaire. À ce moment-là, c’est la montée en puissance de Yannick Noah. Il arrive en finale, il n’a pas perdu un seul set. Je vais avoir 12 ans pendant cette édition puisque la finale a lieu le 5 juin. Moi je suis du 2 juin, donc c'est un joli cadeau d'anniversaire et j'ai pris l'habitude, sans être du tout blasé, bien au contraire.
Mais depuis 82 je j'ouvre sur le central donc 83 je suis à nouveau sur le central depuis le début donc je sais. Il monte en puissance et on se met à croire de plus en plus que quelque chose de grand est possible. Donc cette finale, c'est à la fois beaucoup d'excitation et beaucoup d’enthousiasme. Noah est devenu au fur et à mesure mon idole, après Bjorn Borg. Il y a une atmosphère très particulière qui se passe ce jour-là sur le court.
Quelle était cette atmosphère?
Il y a quelque chose de particulier. Les joueurs entrent sur le court, Yannick arrive, c’est un peu comme l’entrée en scène d’une Rockstar. Le public est debout. Il y a déjà une ambiance électrique. Rien que d’en parler j’ai les poils qui se dressent, j’ai des frissons. Parce que ça fait partie d’un de mes plus beaux souvenirs, un des événements très forts que j’ai vécu. Sur le court, je crois que tout le monde se met à croire que c’est possible et qu’il peut se passer quelque chose d’énorme. Yannick est extrêmement charismatique. Il arrive en finale, il est frais. Dans le stade, il se passe quelque chose de fort. Il a cette capacité à embarquer tout le monde derrière lui. Noah s’est servi de cette énergie.
Pour vous aujourd’hui, c’est une fierté d’avoir été témoin du sacre de Yannick Noah?
Je dirais que c'est une chance. Honnêtement, je le prends vraiment comme un cadeau. Je le prends comme une chance d'avoir été si près de de mon idole.
Comment était Yannick avec les ramasseurs de balles?
Yannick était vraiment le joueur le plus gentil avec les ramasseurs, avec tout le monde. Il parle avec une voix très douce. Il est très grand, très baraque, très charismatique, on le regarde honnêtement avec des yeux d'enfant. Et il nous reconnaît. Moi je sais que j'avais cette chance, comme j'étais au filet, à chaque changement de côté, d'être à côté de lui et comme on savait que c'était mon idole, on me laissait justement gentiment cette place. Donc souvent, j'étais à côté de lui.
Je ne vous dis pas qu'il savait comment je m'appelais, mais en tout cas, il nous reconnaissait quand il nous demandait quelque chose: une serviette, une boisson. C’était toujours gentiment dit. Et avec un s’il te plait. C'était toujours agréable, il disait Bonjour, il disait un petit mot.
Est-ce que vous avez des anecdotes à nous raconter entre Noah et vous sur le court?
Une fois où il transpire beaucoup sur le court, il se penche, il enlève son t-shirt. Et évidemment, il est grand, avec des tablettes de chocolat donc tout le public siffle pour dire "wouah quelle bête quoi, quel athlète". Et là, il me regarde et il me dit: "Ah, ils sont bêtes hein ?". Donc il y avait cette complicité, cette gentillesse. Il y a aussi un autre souvenir après la demi-finale de cette même année. On n'avait pas le droit, normalement, en tant que ramasseur de balle, de s'adresser aux joueurs, mais j’ose lui demander un qu’il me donne son poignet. C’était un poignet rasta avec écrit Bob Marley. Et il me le donne.
Et pendant la finale, est-ce que vous avez eu des échanges avec lui, des regards?
Non, pas vraiment. En fait, il est vraiment dans son match. Il est extrêmement concentré. Moi je le regarde avec beaucoup d'admiration. J'observe tous ses faits et gestes. Je l'observe au changement de côté, on est vraiment aux premières loges. J'essaie d'en prendre plein les mirettes. Mais pour Yannick, plus rien n’existe autour. Il est dans une énergie extrêmement positive. Mais sur cette finale aussi il est très gentil avec les ramasseurs. Il garde cette gentillesse et ce lien avec nous durant tout le match. Il n’a jamais un geste ni un mot de travers. J’en ai connu pourtant. Comme John McEnroe qui s’énerve, balance une balle et arrive dans ma cuisse. A peine il s’excuse. Alors que Noah, on se reconnaissait en lui. Il était un peu comme un grand frère.
Et au moment de sa victoire, comment vivez-vous ce moment?
C’est son jour et on sent cette ferveur monter, le stade est juste hystérique. Et surtout à la fin. Ça devient un peu du grand n'importe quoi. Le service d'ordre est totalement débordé. On nous demande, nous ramasseurs, de faire une haie d’honneur pour que Yannick puisse monter en tribune. Il y a les caméras, les photographes, c'est un truc de fou. Les journalistes commencent à l'assaillir, à vouloir une réaction. Il dit: "Laissez-moi je veux de l'air". Il est épuisé. Le public veut l’entendre faire un discours. Et là c'est très rigolo puisqu’à l'époque il n’y a pas de micro, il n’y a pas toute cette organisation, il a un pauvre petit micro-cravate avec un fil. Puis Yannick remercie la Fédération, ses coaches, la famille du tennis.
Vous vous souvenez de chaque minute, de chaque instant…
C'est un truc de dingue. J'ai des frissons en le racontant. C’est un moment super fort de ma vie. J’étais sur le terrain, un enfant de 12 ans à l’époque. J'ai eu la chance de le recroiser bien des années plus tard. Je suis allé me présenter à lui. Il a été très sympa et on a discuté. Je connais assez peu de gens qui sont capables de faire ça donc c'était très chouette. On a reparlé de tous ces moments-là et il a pris le temps.