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"Comme un repas où tu ne prends pas le dessert", Bestaven se confie après son abandon du Vendée Globe

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Tenant du titre du Vendée Globe, Yannick Bestaven a été contraint à l'abandon ce lundi après quasiment 50 jours en mer. Le skipper de Maître Coq V, qui ne parvenait pas à réparer les dégâts sur son bateau, s'est confié à RMC Sport.

Yannick Bestaven, comment et pourquoi avoir pris la décision d'arrêter?

Il y a le problème de barre et le problème de la coque du bateau. Sur la coque, on pensait que c'était uniquement sur le bordé donc avec mon équipe technique, on avait fait le choix que je m'arrête dans un endroit calme. Quand j'ai eu l'avarie de barre, je me suis rendu compte que ça allait être très compliqué de réparer puisqu'il faut le faire en atelier. Je n'avais pas les pièces à bord. Avec mon système de ficelles, ça m'a permis de ramener le bateau jusqu'au Cap Horn. Mais jusqu'aux Sables-d'Olonne, je ne suis pas sûr que c'était possible. Je n'avais pas d'autre solution que de faire un système de poulie-textile, ce qui est un peu limite quand on voit la puissance de nos Imoca.

Où êtes-vous et dans quelles conditions? Dans combien de temps allez-vous atteindre Ushuaïa?

Un bateau français (Peau d'Orange) est venu à ma rencontre. Un équipier est monté à bord avec moi parce que cette nuit, ça n'a pas été évident. Je me suis à moitié endormi. C'est un peu chaud en solo avec un bateau peu manoeuvrant et il y a des cailloux partout. On a 10 heures de route pour rejoindre Ushuaïa. Le problème, c'est que ce n'est pas un port en façade de mer. Mais je ne perds plus rien puisque la course s'est arrêtée pour moi.

On vous a vu passer par différents états, quels ont été vos soutiens depuis votre décision?

J'ai eu plein de messages de ma famille, mes amis et mon équipe, qui s'est battue à terre pour trouver des solutions techniques. Quand ils me disent qu'il n'y a pas de solution, c'est qu'il faut activer le plan C. Les messages des autres skippers me font chaud au coeur, qu'ils soient devant ou derrière. On me dit "quel courage d'avoir remis ton titre en jeu." C'était juste l'envie de me faire plaisir en mer, j'en ai pris même si la fin est bizarre. J'ai couru toute ma vie après ça, c'était plutôt une chance. Ils comprennent aussi ma perte de vitesse et pourquoi je ne communiquais pas trop. Mes problèmes de barre, je les avais depuis les Açores mais je ne pensais pas que ça allait casser. C'est pour ça que j'avais des soucis de trajectoire aussi, ça n'a pas simplifié le tour de l'Antarctique.

"J'ai envie de finir"

Vous étiez le tenant du titre, quel était votre objectif cette fois?

L'objectif que j'avais, c'était de pousser la machine et après, pourquoi pas, faire un podium voire une place d'honneur. Il y avait moyen de le faire, surtout quand je vois le resserrement au classement. Tous les marins autour de moi ont gagné une grande course, il y avait un super niveau dans le groupe de tête.

Quel est votre sentiment après cet abandon?

Il y a de la déception d'abandonner après autant de chemins. C'est comme un repas où tu ne prends pas le dessert. Le dessert, c'était la remontée de l'Atlantique avec beaucoup de stratégies. C'était plus de la stratégie que de la souffrance comme on a eu dans les mers du Sud, où c'était très dur et éprouvant. On a souffert de ces instabilités.

Quelles sont vos chances de faire une réparation pour faire une remontée seul?

Je ne sais pas du tout... S'il n'y avait que le problème de barre, ce n'est que de la mécanique, on aurait trouvé après plusieurs jours. C'était le plan. Maintenant, sur la partie composite, ça a l'air plus grave. Ce qui est sûr, c'est que je ne vais pas prendre de risques au niveau du matériel, ça serait inconscient. Je ne sais pas si on pourra sortir le bateau à Ushuaïa.

Vous avez exprimé le fait de pouvoir terminer la boucle seul, quel sens vous lui donneriez?

J'ai dit que c'était ma dernière en solo donc ça me permettrait de terminer sur une note de plaisir, avec le sens du partage. Il y a beaucoup de monde qui m'attend à l'arrivée. Les collaborateurs de Maître Coq, qui n'ont pas pu fêter mon arrivée il y a quatre ans avec le Covid, ont envie de le faire là. Pour tout ça, je me dois et j'ai envie de finir mais je ne vais pas prendre de risques. Je suis hyper motivé, je me souviens de ce que Sam Davies a fait il y a quatre ans et elle m'a dit que ça avait sauvé son Vendée Globe. Et elle était en Afrique du Sud, elle avait tout le tour à faire.

Vous avez fait une course remarquable malgré vos problèmes de barre. Est-ce que ça explique le fait que vous perdiez du terrain ces derniers temps?

J'ai dû m'arrêter plusieurs fois quand les premiers faisaient des records de vitesse. J'avais déjà des soucis de barre et depuis Bonne Espérance, j'avais du mal à tenir le rythme. Je ne pouvais pas charger le bateau avec la grand-voile sinon ça faisait des bruits assez inquiétants.

J'en ressors avec des maux de dos mais c'est l'âge! J'ai une dent cassée aussi

Par rapport à la précédente édition, quelles sont les difficultés rencontrées et les améliorations notées?

J'avais un bateau plus rapide qu'il y a quatre ans donc plus exigeant et plus dur. J'ai trouvé le niveau de compétition et de difficulté bien plus élévé. Les bateaux sont difficiles. La haute vitesse, c'est bien mais c'est difficile à tenir. Personne n'a levé le pied. Je suis impressionné par ça. Il y a des marins qui donnaient l'impression de lever le pied mais à un moment donné, on tire fort sur le bateau et il faut réagir en bon marin pour éviter de tout casser. Ça allait très vite, quand on fait 20 noeuds de moyenne dans trois à cinq mètres de mer, je ne raconte pas à bord... Tout doit être attaché, on prend des chocs monstrueux. Le moinde déplacement est dangereuex. Dans ces moments-là, on ne peut pas se reposer. C'est un gros changement.

Vous avez donc senti une vraie différence physique?

J'en ressors avec des maux de dos mais c'est l'âge (rires) ! J'ai une dent cassée aussi. Physiquement, je n'ai pas ramassé autant que le bateau mais j'ai pris un peu.

La vitesse a joué forcément...

Les bateaux volants rebondissent sur l'eau et ricochent. Ils sont lancés à plus de 20 noeufs et font neufs tonnes, les structures prennent cher. Tous les Imoca ont eu des soucis. Quand on pète l'arrière du bateau, c'est à cause de la vitesse quand on saute de vague en vague. Il faut renforcer encore plus nos composites. Je ne sais pas dans quel état sont les autres bateaux mais il risque d'y avoir des surprises aux Sables-d'Olonne.

Ça risque d'être compliqué de continuer à organiser de telles courses avec ces vitesses...

On y arrivera la prochaine fois, c'est l'expérience qui fait que le matériel s'améliore. L'être humain s'adapte à tout, vivre dans des conditions comme ça, ce n'est pas évident et pourtant j'en ai fait des nuits en mer. Ce qui est top, au niveau stratégique, c'est que j'ai surfé sur un front dépressionnaire pendant quatre jours. C'est magique. Mais c'est au prix de stress et de dureté mécanique. On met des casques, on a des sièges en suspension, on s'adapte à la haute vitesse.

Vous avez vu ce que les plus jeunes ont fait, quel est votre avis?

C'est génial, du premier au dernier. Nous ne sommes que 40 à faire cette course, elle n'a rien à voir avec les autres. Ce que fait Violette Dorange, c'est impressionnant, même le dernier. Je m'amusais à regarder de temps en temps leurs vidéos et leurs histoires, tout le monde garde la pêche. Etre au départ du Vendée Globe à l'âge de VIolette, c'est génial. Il faut se motiver à se dépasser, je trouve ça courageux.

Cette course reste une belle leçon de vie...

Il y a plein de leçons de vie mais aussi d'humilité. J'ai gagné il y a quatre ans et là je me retrouve arrêté en Patagonie, on en prend plein la gueule. On n'est jamais champion du monde dans notre sport.

Propos recueillis par Domitille Cortes