Mondial de volley: six choses à savoir sur le Japon avant le 8e contre les Bleus

Une équipe qui monte, qui monte, qui monte…
Le passeur des Bleus Benjamin Toniutti s’est un peu étranglé, la semaine passée, lorsqu’un journaliste a insinué que le chemin vers le dernier carré était déjà tout tracé. Le volley-ball en France n’a pas la même audience que dans d’autres pays du monde. Ainsi, l’évocation du Japon comme prochain adversaire des Bleus ne suscite pas autant de crainte chez nous que s’il s’agissait du Brésil et des Etats-Unis. Question d’habitude. Mais tout de même, le Japon est un grand pays de volley (médaillé dans les années 70), qui investit des sommes d’argent colossales dans ce sport, et commence à en récolter les fruits. 7e au classement mondial, la sélection masculine (re)prend goût aux phases finales des grandes compétitions (quarts aux JO 2021 et à la VNL 2022), même si elle peine encore à performer face au top 5.
"Techniquement, elle est quasiment parfaite, très difficile à bouger en réception. C’est une équipe qui manque peut-être un peu de physique, mais elle compense cela par beaucoup de précision, dans tous les contacts, de réception, de passe", détaillait Benjamin Toniutti en conférence de presse la semaine passée. Depuis le Japon, où il prépare la saison des Panasonic Panthers, l’ancien sélectionneur des Bleus Laurent Tillie s’enthousiasme lui pour une affiche entre deux équipes qui affichent "les mêmes valeurs": "La France est favorite, mais les Japonais n’ont rien à perdre, et quand ils n’ont rien perdre, c’est là qu’ils sont le plus dangereux, ça risque d’être plus chaud que prévu."
Avec une équipe jeune, le Japon a progressé dans bien des domaines, notamment le contre, un secteur de jeu où il ma nque de centimètres par rapport à la majorité des équipes. Pour compenser ce déficit de gabarits, la sélection nippone a entrepris un travail spécifique sur la technique de contre et la lecture des trajectoires: "L’un des enseignements des Jeux de Tokyo, c’est qu’on était capables d’avoir une très bonne qualité de service, mais qu’on n’était pas très efficaces, raconte le sélectionneur du Japon Philippe Blain. On avait une très bonne arrière défense mais on manquait d’efficacité au contre. Je dirais qu’on a rejoint le bas du top 8. Maintenant, je sais que si on veut passer le niveau supérieur, il faut qu’on élève notre capacité à contrer, pas juste à ralentir les ballons, mais aussi à marquer des points au contre."
Coïncidence ou pas, le meilleur contreur de la compétition à l’issue de la phase de poules est Japonais: Taishi Onodera, "petit" central de 2,01m. "Ils ont sans doute progressé dans tous les aspects techniques, mais ils s’appuient surtout sur une qualité de service intéressante face aux équipes qui ont une réception un peu moins stable. Ils ont une meilleure lecture, une meilleure agressivité, ils sont beaucoup plus agressifs que ce qu’ils pouvaient être avant", constate Laurent Tillie.
Le capitaine est de retour
La bonne tenue du contre japonais peut aussi s’expliquer par le retour de leur meilleur joueur (absent lors des deux derniers matches contre la France, en VNL), le réceptionneur-attaquant Yuki Ishikawa, installé depuis plusieurs années en Italie. La présence du capitaine de cette équipe sur le terrain permet de rehausser le niveau de performance au contre.
S’il n’était pas forcément prêt à débuter contre le Brésil (défaite des Japonais 3-0), Blain lui a quand même donné du temps de jeu, pour accélérer son retour: "C’était important pour le reste de la compétition." Le réceptionneur-attaquant a vite retrouvé le rythme et réalisé un bien meilleur match contre Cuba (victoire 3-0).
"Il leur donne un peu plus de sécurité, d’assurance. Il leur donne de la confiance et de l’allant. C’est un joueur talentueux. Il a le service, il a l’attaque. Il n’est peut-être pas aussi stable que les Français en réception, mais c’est un excellent joueur", analyse Laurent Tillie. Si le passeur Sekita, qui distribue à merveille depuis le début du Mondial, maintient en plus son niveau de jeu, le Japon n’en sera que plus redoutable.
La période de battement entre le dernier match de poules et ce huitième de finale face à la France, compliquée à gérer pour les joueurs, impatients de jouer pour la plupart, aura sans doute permis à Ishikawa de retrouver le niveau qu’il avait avant blessure. Ce qui changerait immanquablement la donne pour ce match face aux Bleus.
Portée par un boys band
Ne soyez pas étonnés ce soir si, au détour d’un challenge vidéo, ou d’un "time out", des cris d’hystérie retentissent dans la salle. Encore moins si les caméras s’attardent sur le visage de Yuji Nishida ou Ran Takahashi. Ceci pouvant expliquer cela. Avec le capitaine Yuki Ishikawa, ces deux joueurs stars du Japon sont adulés dans leur pays. Extrêmement sollicités partout où ils se déplacent, les trois stars déchaînent les passions de leurs groupies, en majorité de sexe féminin.
"95% du public au Japon, ce sont des femmes ou des jeunes filles, c’est vrai que ça fait un peu boys band, sourit Philippe Blain. J’ai mis du temps à comprendre, mais quand on faisait un challenge, tout le monde regardait les écrans, et je ne comprenais pas pourquoi tout à coup les gens se mettaient à crier. On pensait que c’était la vidéo pour le challenge qui suscitait cette réaction, mais en fait, ils montraient le visage de Nishida ou celui d’Ishikawa, c’est amusant."
Le phénomène est tel que les joueurs se voient offrir des cadeaux comme on fait don d’une offrande à une divinité. Une forme de vénération pour des joueurs que les Japonais idolâtrent. "C’est assez extrême, à la limite du fanatisme", nous a-t-on confié. Ce qui se vérifie sur les réseaux sociaux ou les trois battent des records de popularité. Yuji Nishida (941.000) et Yuki Ishikawa (775.000) revendiquent deux fois plus d’abonnés sur Instagram que la star des Bleus Earvin Ngapeth (419.000). Ran Takahashi fait encore plus fort et dépasse le million d’abonnés (1,1M) !
Nishida, le gaucher bondissant
Les Bleus auront du boulot ce soir pour freiner le fer de lance de l’attaque japonaise, le petit pointu Yuji Nishida, qui semble jaillir d’un manga quand il explose à l’attaque. Un joueur hors norme et atypique à plus d’un titre. Sa taille - il mesure 1,87m - est loin de constituer une anomalie au Japon. Mais au très haut niveau, là où les spécialistes du poste culminent généralement à plus de 2m, les équipes ne font pas trop confiance à ce type de gabarit. Sauf que Yuji Nishida n’est pas tout à fait un joueur comme les autres.
"L’entraîneur qui aurait dit, avec la détente qu’il a, et la puissance qui est la sienne, tu n’y arriveras pas, il aurait pris un gros risque quand même, parie Philippe Blain. Il a une puissance au niveau de son swing qui est assez exceptionnelle, c’est un joueur spectaculaire." Le gaucher bondissant associe des qualités naturelles de saut à une grande puissance de frappe qui en font d’ores et déjà l’un des meilleurs attaquants de la planète, bien qu’il soit perfectible.
Façonné par la culture japonaise du travail, qui veut qu’un joueur s’entraîne cinq heures par jour, sept jours sur sept, tout au long de l’année, Nishida a développé d’autres qualités d’ouverture. Et ce n’est pas un hasard s’il a pris la direction de Vibo Valentia, en Italie, l’année dernière, sur les conseils de son sélectionneur.
Philippe Blain voulait le voir se confronter à des équipes extrêmement bien organisées: "En tant que pointu quand tu veux jouer au plus haut niveau, il faut apprendre à gérer le contre adverse dans des situations minimales, frapper haut, frapper la ligne, faire block out. Le championnat italien est un endroit parfait, ça l’a poussé." Si sa première saison n’a peut-être pas été aussi bonne qu’espérée, parce qu’il est arrivé blessé et a connu une autre blessure, Nishida a aussi connu des moments très hauts, avec des matches à plus de 30 points marqués.
Des Français pour bousculer la tradition
Philippe Blain dirige la sélection du Japon depuis un an, après avoir débuté comme adjoint, en 2017. A la tête de l’équipe de France, qu’il a guidée sur les podiums internationaux (bronze au Mondial 2002, argent aux Euros 2003 et 2009), pendant onze ans, Blain est devenu un pionnier dans l’archipel. Le Japon n’avait jamais fait confiance à un entraîneur étranger avant lui.
Il a depuis été rejoint par un autre Français, Bruno Chateau. Cet ex-joueur professionnel, marié à une ancienne joueuse américaine, a accompagné son épouse aux Etats-Unis, puis à Okinawa, au Japon, où elle était mutée. Un concours de circonstances provoque alors les retrouvailles entre Philippe Blain et Bruno Chateau, deux hommes qui s’étaient croisés sur les terrains du championnat de France mais ne se connaissaient pas personnellement.
Investi sur la partie entraînement, Bruno Chateau est recruté dans cette optique par Philippe Blain, pour sa capacité à frapper des ballons, une caractéristique obligatoire pour faire travailler les joueurs. "Je suis quatrième assistant, j’ai des responsabilités qui sont très limitées. Il y deux assistants statisticiens devant moi, et deux autres gars devant moi sur la structuration des plans de matches, c'est normal. Il faut faire ses preuves et montrer à son head coach qu’on est performant."
Un système cloisonné
Les joueurs français ne le savent que trop bien, s’expatrier pour se frotter aux meilleurs et se confronter à de nouvelles méthodes d'entraînement, dans les meilleurs championnats (Russie, Italie, Pologne…), leur a permis de progresser. Petit à petit, le volley japonais semble vouloir emprunter ce chemin, même si, au pays du Soleil-levant, le changement prend du temps. Ancré dans ses traditions, le Japon fut longtemps réticent à s’ouvrir aux autres, préférant vivre en vase clos. Philippe Blain et Laurent Tillie, chacun à leur niveau, œuvrent pour abattre ces barrières culturelles.
Dans l’optique de la qualification pour les Jeux de Paris 2024, le sélectionneur du Japon s’est d’abord fixé un objectif de performance, mais pour rivaliser, il aimerait aussi pouvoir combler ce manque de taille. "J’essaie de leur expliquer qu’il faut travailler sur des athlètes plus grands, car la morphologie dans le futur va devenir de plus en plus importante. C’est déjà flagrant", s'impatiente Philippe Blain.
Malheureusement, la formation au Japon est ainsi faite qu’elle n’aide pas forcément les plus grands à se développer. "Les universités ont un énorme pouvoir sur la formation et le développement des joueurs", confirme Laurent Tillie. Les meilleurs joueurs du monde jouent déjà chez les pros à 17-18 ans, à un âge où les Japonais, eux, végètent encore dans le championnat universitaire, dont ils ne sortent qu'à 22 ou 23 ans, à l'issue de leur cursus.
"Le joueur évolue et avance s'il est confronté à meilleur que lui. C’est le concept que j’ai mis en place l’an dernier, et pour lequel je me suis fait taper sur les doigts, explique Laurent Tillie. On essaie d’accélérer mais c’est très politique, très hiérarchisé. Il est très compliqué de faire bouger les lignes." Et les difficultés ne s’arrêtent pas à l’université, tant s’en faut. Certains optent très tôt pour une carrière de joueur professionnel, mais la très grande majorité des joueurs intègrent des grandes entreprises, qu’il est souvent difficile de quitter, parfois même pour rejoindre la sélection.
"Même pour recruter d’un club à un autre club, il faut l’autorisation de l’entreprise. Panasonic demande à Toyota l’autorisation de libérer tel employé, mais s’ils ne veulent pas, on ne peut pas recruter, ou alors des conditions financières peu avantageuses, donc c’est très compliqué. Les joueurs changent très peu de clubs, mais ça commence à bouger un peu car ils veulent être professionnels. Il y a quand même trois ou quatre clubs qui vont sur cette voie du professionnalisme pur et dur. Je pense que le volley japonais est à un tournant."