Clones numériques, gains marginaux... comment le data-analyste français Joseph Mestrallet a conseillé les deux vainqueurs de l'UTMB 2025

C'était un des objectifs de sa carrière: "aider un athlète à gagner l'UTMB". Le 30 août dernier à Chamonix, Joseph Mestrallet l'a fait deux fois. À 28 ans, le data-analyste français - qui se définit comme un "performance scientist" - a accompagné la préparation de Tom Evans et Ruth Croft, les vainqueurs homme et femme de l'Ultra Trail du Mont Blanc, l'une des courses les plus prestigieuses au monde.
Un mois après avoir ravitaillé le coureur britannique tout au long du parcours de 174 kilomètres de long pour 9.900m de dénivelé positif, le Haut-Savoyard est revenu sur ce moment "extraordinaire à vivre" dans le podcast "RMC Running", dont l'épisode sera disponible dès ce samedi.
Une stratégie de course ultra-précise
Même s'il répète que "ce sont les athlètes qui courent" et qu'il n'est à l'origine que d'une "petite part de la performance", les résultats parlent pour Joseph Mestrallet. Ils sont l'aboutissement de près de trois ans de travail avec la Néo-Zélandaise Ruth Croft, qui a fait confiance à sa méthode novatrice.
Diplômé de HEC, ce passionné de course à pied a écrit sa thèse sur l'usage de la donnée dans le sport avant de se lancer dans l'accompagnement d'athlètes de haut niveau. Pour ce faire, il collecte les données les plus précises possibles pendant plusieurs mois et fait des tests physiologiques. Puis, grâce à ses connaissances en code informatique, il regroupe une cinquantaine de champs de paramètres pour développer des "digital twins" (jumeaux numériques, en anglais), qui ont chacun leur propre poids, stratégie de nutrition, allure, etc.
Après avoir modélisé le parcours et ajusté les paramètres de la course (température, vent...), il fait courir ces "clones numériques" et observe qui va le plus vite. Derrière, le data-analyste soumet une stratégie de course ultra-précise aux différents coachs (quand manger pendant la course, utiliser ses batons, marcher...). C'est comme cela que Ruth Croft est arrivée deuxième de l'UTMB 2024 en partant très lentement par rapport à ses concurrentes. Et que Joseph Mestrallet a attiré l'attention de Tom Evans qui l'a contacté deux jours après son abandon lors de la même édition.
Cette approche scientifique est nouvelle dans le trail, certains coureurs y étant encore farouchement opposés. "On peut vraiment aller loin", assure-t-il au micro de 'RMC Running'. "Le vélo et la Formule 1 ont déjà beaucoup d'avance. Ils ont une démarche de professionnalisation avancée depuis de nombreuses années. En trail, il y a beaucoup de choses à faire, notamment avec ce qu'on vient de montrer. On réussit encore à aller chercher des gains marginaux."
Des gains pas si marginaux que cela: "Sur marathon, l'allure est très linéaire. Alors que sur l'UTMB on peut gagner 25 à 30 minutes en étant intelligent sur l'allure." C'est pourquoi il estime que la barrière des 19 heures sera très bientôt franchie sur la course (Tom Evans a l'a emporté en 19h18'58" sur un parcours légèrement raccourci).
Courir "plus intelligemment"
Pour Joseph Mestrallet, les données sont cruciales pour la compréhension du sport. Si bon nombre de coureurs professionnels ou amateurs ne s'y intéressent pas, le spécialiste a un objectif pour les prochaines années: "Rendre les datas et les maths cools". En insistant sur l'importance de "trouver du plaisir" dans sa pratique, Joseph Mestrallet ne croit "pas du tout au plafond de verre" des coureurs.
"Je pense que cela dépend uniquement de l'effort que l'athlète est prêt à mettre dans son entraînement", commente-t-il. "Comme dans un jeu vidéo, on vient débloquer des paliers et le dernier niveau est la data. Mais cela demande énormément d'investissement personnel." Il mentionne des leviers comme le sommeil, les habitudes alimentaires (dont la consommation d'alcool) et la qualité des entraînements, qu'il faut pondérer avec les contraintes de sa vie privée et professionnelle.
"Il faut s'entraîner bien, plus intelligemment, en réduisant la charge", poursuit-il, mentionnant la problématique du trop grand volume de course à l'origine de blessures. "Chez les athlètes élites, tout le monde s'entraîne trop. On est trop gourmands sur l'entraînement. C'est trop facile de s'entraîner 200-250 kilomètres par semaine. C'est une erreur." Même constat chez les amateurs: "Pour rappel, on met trois ans au moins pour atteindre 70 kilomètres d'entraînement par semaine afin que le corps réussisse à le gérer." C'est pourquoi "il faut bien faire attention à la récupération et à la progressivité" que la data peut peaufiner selon chaque profil. Car courir c'est bien, mais s'entraîner en connaissant ses données, c'est mieux.