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"J'espère que ça ne va pas tuer des gens", les craintes de Guillaume Martin sur l'utilisation du monoxyde de carbone

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Guillaume Martin (31 ans), qui s'est engagé avec la formation Groupama-FDJ cet hiver, s'est longuement confié à RMC Sport sur ses objectifs de l'année à venir, ses ambitions face aux cadors et les sujets qui font réagir comme l'utilisation du monoxyde de carbone.

A 31 ans, Guillaume Martin est arrivé cet hiver dans les rangs de la Groupama-FDJ après cinq saisons passées chez Cofidis. Le Normand espère y passer un nouveau cap lui qui est un abonné aux places d'honneur sur le Tour de France ces dernières années, ayant notamment terminé deux fois dans le Top 10 du classement général. Devant la quiétude de la mer Méditerranée, il s'est longuement confié à RMC Sport sur le début de sa préparation d'avant saison entamée lundi à Calp en Espagne. Ambiance de rentrée des classes, objectifs à venir, regrets passés, polémique sur le monoxyde de carbone, espoirs de pouvoir battre les cadors, la parole du sage est comme toujours, très instructive.

Guillaume Martin, on se retrouve ici à Calp dans le sud de l'Espagne où c'est un peu la rentrée pour les cyclistes. La vue sur la mer depuis le salon de votre hôtel où nous nous trouvons pour cet entretien, c'est plutôt sympathique...

Ah oui et puis là on va assister au coucher de soleil en live, donc il y a pire effectivement.

Comment s'est passée votre intersaison?

Ça a été la plus longue coupure de ma carrière. Pendant cinq semaines, je n'ai pas fait de vélo. Je suis un peu du genre hyperactif donc je suis resté à faire des activités physiques. Je suis parti en vacances pas très loin. J'étais en Écosse, donc c'est forcément du tourisme un peu vert avec de la rando et des choses comme ça. Et puis là, depuis mi-novembre, c'est l'heure de la reprise avec une reprise progressive. Un programme studieux et assez chargé et tous points de vue.

Quand vous dites que vous avez coupé cinq semaines, ça veut dire que vous n'avez pas du tout fait de vélo? Cela vous a manqué?

Non, j'en fais assez toute l'année pour ne pas avoir ce manque. C'est vrai que les premières années pro je pouvais avoir un petit peu un manque pendant les semaines de coupure. Mais maintenant, les années aidant, je vis très bien sans faire de vélo pendant cinq semaines.

Racontez nous cette reprise en Espagne, la rentrée des cyclistes avec un programme chargé sur et en dehors du vélo...

Oui alors le cœur, ça reste de faire du vélo et de faire surtout du volume, du foncier. Mais c'est vrai qu'il y a toute une partie de shooting photo notamment. On profite des bonnes conditions, des jolis paysages, du soleil, et c'est aussi un peu le seul moment dans l'année où on retrouve tous ses équipiers, tout le staff. Mardi, on était 140 pour la grande réunion de présentation du stage et de l'année. Donc voilà, ce sont des moments comme ça aussi de planification de la saison de manière générale pour l'équipe et de manière aussi un peu plus individualisée pour chacun. Il y a aussi un travail spécifique pour chacun sur les semelles, les réglages du vélo, sur du renforcement musculaire, etc. On essaie de balayer tous les aspects de la performance.

"Un nouveau départ dont j'avais besoin"

Il n'y a donc pas trop de stress à ce moment-là de la saison?

Non, il y a la saison en ligne de mire mais il n’y a pas encore la pression des courses et c'est un luxe aussi que de pouvoir prendre un peu plus de temps, prendre un café avec ses coéquipiers où discuter sans se "timer", sans ce stress de la course.

On sent pourtant que la saison est de retour. Il suffit d'aller se balader vers Benidorm ou Altea pour croiser tous les plus grands noms du peloton, comme Pogacar par exemple...

C'est sûr que si on voulait faire une course ici demain, il ne faudrait pas chercher très loin pour trouver des coureurs. D'ailleurs, à titre personnel, c'est quelque chose que je n’apprécie pas particulièrement. Je préfère faire mon truc dans mon coin, je préfère les stages en altitude en comité plus restreint. Mais c'est aussi sympa de voir des coureurs qu'on a quasiment jamais l'occasion de revoir dans l'année. On est une équipe, c'est quand même bien de se connaître.

Racontez-nous pourquoi le terrain ici est idéal pour rouler. Pourquoi toutes les équipes viennent?

Il y a plusieurs raisons. Aujourd'hui, on a eu un peu de pluie à l'entraînement, mais c'est quand même les conditions climatiques qui sont la première raison. Ici il fait beau, il fait bon. Je pense aussi qu'il y a des considérations budgétaires. Déplacer autant de coureurs, de personnes, ça fait des gros budgets pour les stages. Par rapport au sud de la France par exemple, je pense que les les tarifs hôteliers sont moins chers, donc je pense qu'il y a vraiment cette considération. Et puis les parcours ici sont intéressants. On peut varier entre le plat du bord de mer et des zones plus montagneuses.

2025 pour vous, ça va être une saison particulière, déjà parce que vous allez porter ce nouveau maillot de la Groupama FDJ. Après cinq ans passés chez chez Cofidis, comment vivez-vous cette nouvelle aventure?

C'est le genre de nouveau départ dont j'avais besoin dans ma carrière après 5 ans chez chez Cofidis et quatre ans auparavant dans l'équipe Wanty Gobert. Je suis heureux, je me sens rajeunir.

Ce nouveau départ était nécessaire?

Oui, à un moment donné, quand on enchaîne les saisons dans une équipe, dans un cadre, il y a une forme de lassitude qui peut s'installer et je pense que c'est bien de ne pas s'enfermer là-dedans et de savoir sortir aussi de sa zone de confort pour essayer de progresser.

Cela veut-il dire que vous imaginez encore passer un cap à 31 ans?

Oui, je sens que j'ai encore en moi des marges de progression. Donc j'ai envie de tirer le meilleur parti de moi-même via l'entraînement et une meilleure planification de la saison. Et puis aussi via tous les autres aspects de la performance, le matériel, l'accompagnement qui pourraient encore me faire progresser.

Vous ne progressiez plus chez Cofidis?

J'ai pas spécialement envie de me lancer dans le jeu des comparaisons, ça n'a pas d'utilité et je ne veux pas être dans le ressentiment ou le regret. J'ai apprécié mes années chez Cofidis, mais il y a eu des des hauts et des bas, des points négatifs et des points positifs. Je pense que c'est le cas un peu dans toutes les équipes. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de faire quelque chose de différent. Je suis heureux en tout cas aujourd'hui de me lancer dans ce nouveau challenge.

"Une équipe étrangère? Je me suis posé la question"

Qu'elle sera rôle votre dans cette équipe Groupama FDJ en 2025 et 2026? Un rôle de leader a priori?

Oui notamment sur les flandriennes, je vous annonce officiellement que je me lance. Non, c'est une blague (rires). Je n'irais pas faire Paris-Roubaix, je n'irai pas faire le Tour des Flandres. Mon programme de course, je ne le connais pas encore. Tout ça va être discuté un peu plus tard dans le stage. Mais oui a priori on m'attendra sur les courses par étapes, sur les courses pour grimpeurs, c'est mon profil, et c'est là où j'ai envie de performer à nouveau.

Vous parliez avec sourire et ironie de Paris-Roubaix, mais quand on est amoureux de vélo comme vous, on n'a pas envie de le faire un jour dans la vie quand même?

J'ai un grand plaisir à regarder à la télé tous les ans et je pense que je vois plus de détails sur ce qui se passe aux avants-postes que si j'étais dans la course.

Donc vous ne le ferez jamais?

J'ai quand même eu la chance entre guillemets - parce que sur le jour même je ne l'ai pas vécu comme tel - de participer aux deux étapes pavées sur le Tour de France ces dernières années. Donc je peux dire que j'ai mis mes roues sur les routes de Paris-Roubaix en conditions de course. Ça ne c'était pas si mal passé que ça d'ailleurs, mais moi je suis quand même un compétiteur et si je prends le départ d'une course c'est pour essayer de faire un résultat. Là avec mes 57 kilos au départ de Paris-Roubaix, mes chances de briller seraient assez faibles.

Avez-vous pensé à partir dans une grande structure étrangère comme l'ont fait deux de vos anciens coéquipiers de Cofidis, Christophe Laporte et Axel Zingle partis chez Visma Lease A Bike?

C'est vrai que ce cette question d'aller dans les plus grandes équipes étrangères, elle s'est posée. En tout cas, je me la suis posée à quelques reprises dans ma carrière. En vérité, je n’ai jamais non plus été confronté à une situation où j'avais les propositions en face au même moment et où je devais vraiment faire un choix. Donc je ne sais pas quelle décision j'aurais prise dans ces circonstances.

Cela vous rassure-t-il d'être dans un cocon français? Surtout chez Groupama-FDJ qui est vraiment l'archétype de la formation française?

Oui, mais qui est néanmoins en train de s'ouvrir à l'international. Il n'y a pas que des francophones dans l'équipe et après, honnêtement, c'est plutôt le côté cosmopolite qui me plaît. Je trouve qu'on s'enrichit de la découverte d'autres cultures, d'autres manières de penser, travailler. La question de la nationalité n'est pas vraiment celle qui m'occupe. On m'a souvent répété 'est-ce que t'es content de faire premier français du Tour de France?" A ce moment-là honnêtement ça ne me préoccupait pas. La nationalité d'une équipe ou de ses membres c'est pas ce que je regarde.

"Ne pas donner de mauvaises idées aux jeunes avec le monoxyde de carbone"

Pour revenir sur la saison qui vient de s'écouler en 2024, quel bilan tirez-vous?

Un bilan plutôt plutôt mitigé pour être tout à fait honnête. J'ai pas gagné, ma saison a commencé en avril car j'ai eu le COVID en début d'année et je n'étais pas très performant. Et puis il y a eu des chutes, une fracture et je réalise finalement un Tour correct (13e du classement général, NDLR). Après, on évolue aussi dans un cyclisme qui a beaucoup changé en termes de performance. En termes de résultats bruts, je ne peux pas me satisfaire de la saison précédente pour autant. Mais sur les chiffres à l'entraînement, je continue à progresser, donc c'est bien le signe aussi que j'ai encore de la marge en moi. Donc je ne jetterais pas tout non plus.

Le cyclisme a changé et semble devenu trop dur avec les Pogacar, Vingegaard, Van Der Poel, etc. Est-ce effrayant?

Non, on peut surtout le voir comme quelque chose de challengeant. Se dire qu'au moins ponctuellement on peut essayer de rivaliser, déjouer les évidences. On a aussi la chance de faire un sport qui ne se réduit pas à des chiffres, même s'ils comptent, même si la science est de plus en plus importante dans le cyclisme aujourd'hui. Grâce à des stratégies de course, on peut encore parfois renverser des schémas préétablis. Donc donc je pense qu'il faut toujours garder cet espoir en tête de pouvoir battre les meilleurs.

En parlant de science et de performances, quel regard portez-vous sur la polémique autour de l'utilisation du monoxyde de carbone par les équipes de Pogacar et de Vingegaard dont certains détracteurs disent qu'elle améliorerait leurs performances?

Honnêtement, je regarde ça de très loin. Je ne me suis pas trop renseigné sur le sujet.

Marc Madiot, votre patron a récemment poussé un énorme coup de gueule sur RMC en disant en substance que de telles dérives finiraient par tuer le vélo...

J'espère surtout que ça ne va pas tuer des gens parce que le monoxyde de carbone c'est quand même quelque chose qui peut être dangereux. Alors j'imagine que chez Visma et chez UAE c'est encadré et contrôlé, mais il faut pas que ça donne des idées à des jeunes juniors par exemple qui pourraient faire n'importe quoi de leur côté, n'importe comment. Moi ce n'est pas ma vision du vélo, ça ne me serait sans doute pas venu à l'esprit d'essayer de détourner certaines méthodes.

C'est quand même dingue d'assister à des choses pareilles, non?

C'est vrai. Après en sport, il s'agit aussi d'explorer de nouvelles choses et de progresser en développant par exemple de nouvelles méthodes d'entraînement. Là où je suis un peu plus dans une situation de gêne et de malaise, c'est quand on fait appel à des méthodes exogènes, qu'on détourne des médicaments, qu'on détourne des méthodes. Donc voilà pour moi c'est la limite de l'éthique que je me fixe. Mais en même temps visiblement, cette méthode jusqu'à présent n'était pas interdite et elle ne l'est toujours pas. Une fois que les choses sont avérées, c'est aux instances de faire les recherches nécessaires avec des comités d'éthique et de se positionner. Mais cette histoire a évacué la question des cétones. Je crois qu'on attend toujours là aussi le positionnement de l'UCI.

Un dernier petit mot; Guillaume, sur la saison 2025 à venir. Qu'est ce qu’on peut vous souhaiter?

Déjà une saison sans avarie médicale où problème mécanique. Et puis d'essayer de progresser et tirer le meilleur parti de moi même. C'est en tout cas mon envie en 2025.

Propos recueillis par Arnaud SOUQUE, à Calp (Espagne)