Paris-Nice: comment le contre-la-montre par équipes a retrouvé ses lettres de noblesse

À 14h30, ce mardi après-midi, Julian Alaphilippe et ses coéquipiers de la formation Tudor seront les premiers sur la ligne de départ du circuit de Magny-Cours. Puis une équipe s’élancera toutes les quatre minutes, jusqu'à la Soudal Quick-Step du maillot jaune Tim Merlier. Depuis son édition 2023, Paris-Nice a introduit le contre-la-montre par équipes à son parcours. "Sur cette course, on aime bien qu’il y ait très peu d'écart au classement général et que le dernier jour tout soit encore possible", explique Yannick Talabardon, l’un des directeurs de Paris-Nice. "Avec un 'chrono' individuel, l'écart était vraiment important. Et en analysant le règlement, on a lu que l’organisateur choisissait quel coureur était pris en compte pour le temps à l’arrivée sur un par équipes, donc on a opté pour le temps du premier. On rend cet exercice très technique encore plus spectaculaire parce que le final est beaucoup plus dynamique, et on se rend compte que les écarts ne sont pas très importants. Alors que l’an dernier par exemple, si on avait eu un contre-la-montre individuel, Remco Evenepoel aurait été leader rapidement et aurait contrôlé le reste de la semaine. Là, au contraire, il avait du temps à rattraper, il devait attaquer et cela a complètement changé la physionomie de la course."
Et pour donner encore plus d’incertitude à la course, le parcours de cet exercice chronométré est aussi une donnée importante. Ce mardi, l’étape de 28,4km débute ainsi par 4,3km sur un circuit automobile, avec les virages inhérents à cet environnement, et la côte de la Pisserotte a été placée à moins de 5km de l’arrivée, une bosse d’un kilomètre à 5,4% de moyenne: "Ce qui est vraiment intéressant, c'est de trouver la bosse, plutôt dans le final, qui oblige les équipes à avoir une stratégie", détaille Yannick Talabardon. "Mais sur Paris-Nice, vu la contrainte de mettre ce contre-la-montre dans les trois premiers jours, ce n’est pas facile de trouver des bosses qui correspondent à ce type d'exercice."
Un CLM par équipes comme départ du Tour de France 2026
Les organisateurs d’ASO, communs à Paris-Nice et au Tour de France, semblent avoir été convaincus puisqu’ils ont décidé de réintroduire désormais le contre-la-montre par équipes sur la Grande Boucle. Il s’agira même de la première étape de l’édition 2026 à Barcelone (Espagne), sur un parcours de 19,7km assez similaire à celui tracé par la Vuelta pour son grand départ en 2023, avec du dénivelé sur la colline de Montjuïc. "Personnellement, je trouve dommage que chaque ''chrono'' maintenant finisse en côte parce que l'organisateur veut déjà voir les leaders pour le classement général dans le maillot jaune", estime Stefan Küng, le spécialiste du contre-la-montre dans l’équipe Groupama-FDJ. C’est en tout cas un retour en grâce pour la spécialité, qui avait disparu du parcours du Tour depuis 2019, et qui n’a pas lancé une Grande Boucle depuis 1971.
"J’ai connu de grands succès par le passé avec l'équipe BMC sur cette discipline, on était champions du monde, on a gagné sur le Tour de France, sur Tirreno-Adriatico…", se remémore Stephan Küng. "On verra si la présence sur le Tour l’an prochain aura une influence sur les autres courses, parce que depuis l’arrêt des championnats du monde de contre-la-montre par équipes de marque (organisés par l’UCI entre 2012 et 2018, NDLR), la discipline avait peu à peu disparu. Il y a sept-huit ans, il y en avait presque une dizaine dans l'année! Ne plus en avoir rend l’exercice plus difficile, parce que les automatismes ne sont pas là."
Les automatismes, c’est justement ce que l’équipe Decathlon-AG2R s’est évertuée à travailler cet hiver pour ce contre-la-montre par équipes, lors de plusieurs stages. Il faut dire qu’après Bruno Armirail, arrivé la saison dernière, la formation française a recruté cette année un deuxième spécialiste avec Stefan Bissegger. "Pour la partie technique, toute l’équipe est prête", estime l’ancien champion du monde de la discipline en individuel. "Mais tout le monde doit être le plus proche possible de la perfection en même temps, c’est ça qui est spécial en équipe, parce que tous les petits défauts comptent à l’arrivée. Les relais, les virages, l’efficience… Tout va ensemble." Pour approcher de cette perfection, le groupe de Decathlon-AG2R La Mondiale aligné sur Paris-Nice s’est ainsi entraîné sur circuit jusqu’en fin de semaine dernière, à Magny-Cours, d’où part le contre-la-montre du jour. "C’est bien de s’habituer sur circuit aux virages, tu peux prévoir les relais", juge Stefan Bisseger. "Je pense qu’on va gagner beaucoup de secondes en virage, parce que les coéquipiers qui ne sont pas spécialistes ont pris confiance, avec les changements qu’on a prévu pour arriver en ligne en virage et pas côte-à-côte."
Plusieurs points-clés dans les relais
Son coéquipier Bruno Armirail détaille ce qui différencie l’exercice selon qu’il soit disputé seul, ou par équipes: "En individuel, c'est un effort linéaire. Au contraire, en équipe, c'est un effort plus intense quand on prend le relais, ensuite c'est un petit passage où on ne pédale quasiment plus pendant dix à vingt secondes, puis on reprend les roues donc on refait comme un sprint, c'est encore un effort très intense, et après il faut rester dans les roues où le rythme est quand même soutenu. C'est vraiment très irrégulier." Le rôle des deux spécialistes de l’équipe sera évidemment particulier: "On va faire des relais beaucoup plus long Stefan et moi, en tenant une vitesse élevée durant vingt-cinq-trente secondes, peut-être encore plus sur la fin, mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le rouge non plus." Ainsi, plusieurs secteurs ont été identifiés par l’équipe comme des points-clés pour les relais. "Sur le circuit, il y a des endroits où il est plus difficile de reprendre les roues, donc là c'est un 'costaud' qui doit le faire", explique Bruno Armirail. "Sur le reste de l’étape, on ne sait pas, c’est trop aléatoire. Mais dans la bosse près de l’arrivée, normalement un rouleur sera à l’avant, Stefan ou moi, parce qu’un grimpeur pourrait nous mettre à bloc et en haut, ils ne seraient plus que deux alors qu'on peut être très utile après. Dans les faux-plats descendants, les grimpeurs passeront peut-être cinq secondes devant et s'écarteront parce qu’ils sont beaucoup plus légers, les rouleurs plus lourds donc ça roule plus vite!"
Une préparation qui donne des ambitions élevées à l’équipe pour l’étape du jour: "L'an dernier déjà, après mon arrivée, toute l’équipe m'a dit qu'il y avait une autre dimension, avec la présence de Stefan c'est encore différent", confie Bruno Armirail. "L’équipe est beaucoup plus engagée, il y a quelques années, l'équipe n'aurait pas fait ces stages et préparé aussi bien ce chrono par équipes donc je pense qu'on peut espérer faire une belle performance." Les deux précédents contre-la-montre par équipes de Paris-Nice ont été remportés par les deux mastodontes: UAE Emirates en 2024, et Jumbo-Visma en 2023, sans présager du vainqueur final à Nice.