Paris-Nice: les coureurs cyclistes sont-ils plus "frileux" qu’avant ?

Mercredi à l’arrivée d’une étape en partie neutralisée après une averse de grêle, Jonas Vingegaard (qui a depuis abandonné après une chute) venait d’exprimer son agacement sur la reprise de cette étape, où il n’avait jamais eu aussi froid de sa carrière selon lui. Le responsable de la sécurité de Paris-Nice, Thierry Gouvenou, lui a succédé en conférence de presse, pour défendre la décision des organisateurs, et a réagi à la position du Danois en ces termes: "Si on regarde dans le passé, jamais la course n'aurait été arrêtée. On a eu des Paris-Nice avec des coureurs dans 5 à 10 centimètres de neige. Il faut tenter le maximum pour aller jusqu'au bout, ou alors on devient comme le tennis, dès que les conditions sont un peu difficiles, on bâche... Mais là, on va perdre l'âme du cyclisme. Peut-être aussi qu'en ce moment, les coureurs passent trop de temps au soleil en hiver..." Une référence aux stages organisés en Espagne par les équipes avant la reprise de la saison, voire au choix de domiciliation sur la Côte d’Azur de nombreux cyclistes professionnels.
Thomas Gachignard, le coureur TotalEnergies, reconnaît qu’il n’est pas un "adepte" du froid : "La pluie ne me dérange pas, mais dès qu’il fait froid, il faut être bien couvert et faire un peu d’efforts, c’est pour cela que je n’aime pas trop rester au milieu du peloton, ce n’est pas là où il fait le plus chaud. Du côté du Mans où j’habite, il fait assez froid et j’ai même eu de la neige cet hiver !" Son homologue Adrien Petit abonde : "On ne passe pas tout l’hiver en Espagne ou au soleil, surtout pour ma part", explique le coureur originaire du Pas-de-Calais. "On a l’habitude de rouler sous le froid, mais ce n’est pas pareil de le faire seul à l’entraînement que dans un peloton en prenant toutes les éclaboussures d’eau à 2 degrés, ce n’est pas très agréable. On anticipe pour trouver une bonne balance entre avoir une bonne tenue sans être trop couvert."
"Peut-être qu’on est plus frileux oui"
Les cyclistes d’aujourd’hui seraient-ils plus sensibles au froid qu’auparavant ? Le rouleur auvergnat de la Groupama-FDJ Rémi Cavagna explique que sa tolérance a évolué avec le temps : "J’aime bien le froid, cela fait partie de la nature du vélo. Mais il y a quelques années je le supportais mieux, je partais à l’aventure à 1 ou 2 degrés avec un cuissard court et en maillot court… Maintenant, j’aime bien mettre ma petite veste, c’est un confort. Après c’est l’époque, on ne peut pas comparer avec le cyclisme d’avant. Mais oui, peut-être qu’on est un peu plus frileux !" Son coéquipier Stephan Küng ajoute : "Quand il fait froid, au début il faut bien s’habiller et après enlever couche par couche. Personnellement j’avais moins froid quand j’étais plus jeune, quand tu prends de l’âge, tu as plus froid et tu te couvres plus." Pour l’arrivée ce samedi à Auron, à plus de 1600 mètres d’altitude, le thermomètre flirtera avec zéro degré, et il pourrait neiger sur la fin de l’étape : "S’il neige sur les derniers 5 kilomètres, ça ne me dérange pas", affirme le rouleur suisse.
Pour l’ancien coureur devenu directeur sportif de Decathlon-AG2R Sébastien Joly, ce n’est pas une question de générations : "C’est juste physiologique, dans l’équipe nous avons par exemple Aurélien Paret-Peintre qui est bien quand il fait froid et qu’il pleut… Et en termes d’équipements, ils sont bien mieux équipés que par le passé. Mais quelle que soit la météo et le parcours, on sera partants." Mads Pedersen aussi s’accommode bien des mauvaises conditions, il l’a encore prouvé ce vendredi en remportant la sixième étape à Berre-L’Etang: "Dans l’échappée, les Norvégiens et les Danois nous étions les seuls sans veste de pluie !" souligne le Danois de Lidl-Trek. "Bien sûr que cela aide d’être habitué à s’entraîner dans ces conditions en hiver, mais il y a aussi une part de mental : il faut garder un bon état d’esprit et se concentrer sur la course plutôt que s’apitoyer sur son sort avec une météo pareille."
Pommades chauffantes et eau chaude comme barrière
Quels sont les effets du froid sur le corps d’un cycliste ? Selon le médecin de l’équipe Arkea B&B Hôtels sur Paris-Nice, ils sont encore plus visibles quand l’humidité s’y ajoute : "Cela fait deux agressions organiques qui sont des facteurs défavorables à l’effort", détaille Hubert Long. "Cela provoque des phénomènes locaux comme des gelures aux extrémités ; des phénomènes respiratoires puisque cela favorise les bronchospasmes ; et cela accélère le rythme cardiaque quand le corps essaye de se réchauffer, donc il faut diminuer l’intensité de l’effort."
Outre les équipements techniques de pointe dont disposent les coureurs, il y a plusieurs moyens de contrer le froid : "Avant le départ, on applique des pommades chauffantes au niveau des extrémités du corps. Vous avez également des procédés médicamenteux qui améliorent la circulation vasculaire périphérique. Enfin dans les ravitaillements, au lieu de diluer nos poudres dans de l’eau froide, on utilise de l’eau chaude. Après, à partir de -2 degrés, il vaut mieux éviter de faire du vélo", conseille le médecin de la formation bretonne.
Depuis mercredi, le thermomètre a péniblement dépassé les cinq degrés sur la surnommée "Course au Soleil", et après la grêle, les coureurs ont connu un départ sous des petits flocons dans la Loire jeudi, puis une pluie battante hier entre l’Ardèche et les Bouches-du-Rhône, avant ce samedi un possible épisode neigeux et une arrivée en altitude. "Le protocole concernant le froid est très vague, il n’y a pas de données précises", explique Thierry Gouvenou. "Tant que la route est praticable, il n’y a pas de soucis pour monter. Si on est autour de 0 degré, ce sera des conditions 'acceptables'". Cette avant-dernière étape a été raccourcie de près de 40 kilomètres, pour des questions de sécurité en évitant aux coureurs la descente du Col de la Colmiane à 1500 mètres d’altitude. "Il faut aussi regarder la semaine qu’on vient de passer et s’adapter", concède le responsable de la sécurité de Paris-Nice. "Ce n’est pas un match entre organisateurs et coureurs, il faut les respecter, ils ont encore l’âme guerrière."