"Attaquant incroyable", garçon "sous-coté" et "vent de fraîcheur": qui est Ben Healy, le maillot jaune frisson du Tour de France?

Oubliez Tadej Pogacar et Mathieu Van der Poel. Rangez même votre esprit cocardier et oubliez (au moins un temps) la furia Kévin Vauquelin. La vraie sensation de ce Tour de France cuvée 2025 porte des cheveux en bataille, une barbe d'une semaine, des anneaux aux oreilles, et il est surtout animé par un drôle de feu intérieur. On parle bien de Ben Healy, oui. Un coureur du genre à dégainer à tout-va, à se lancer dans un numéro solitaire de 41 kilomètres pour lever les bras à Vire sur la 6e étape, et à remettre ça quatre jours plus tard. Pour, cette fois, gagner le droit de porter le maillot jaune, du jamais-vu pour un Irlandais sur la Grande Boucle depuis Stephen Roche en 1987. Pas de deuxième victoire d'étape, puisqu'elle est revenue à Simon Yates dans la fraîcheur du Mont-Dore, mais la plus belle des couleurs pour cet insatiable attaquant de 24 ans au délicieux look de rockeur.
>>> Revivez la 10e étape du Tour de France 2025
"Il était un peu sans voix"
"Ben est dans une forme incroyable en ce moment. C’est vraiment génial d’avoir le maillot jaune dans l’équipe. Sa résistance à la fatigue est tellement sous-cotée... Aujourd’hui, la majorité du peloton a senti les dix premiers jours de course. Mes propres jambes étaient lourdes, mes mollets ont commencé à cramper après 20 minutes de course… Mais Ben, lui, a réussi à attaquer, et à forcer pour aller chercher le maillot jaune", savourait à l'arrivée son grand copain et coéquipier chez EF Education-EasyPost, Neilson Powless. "Être agressif après un départ aussi fort, et continuer à creuser l’écart sur le peloton qui cherchait pourtant à contrôler, c’est incroyable. Le maillot jaune, c’est immense. On fera ce dont Ben aura besoin. Mais ça nous donne énormément de confiance", appuyait le coureur amérindien.
Même fierté dans la voix de l'Australien Harry Sweeny, présent dans l'échappée du jour au soutien de Healy et qui n'a pas compté ses relais à l'avant: "On visait l’étape, mais on surveillait l’écart de Ben, juste au cas où… On a essayé de mettre autant de monde que possible à l’avant. On a franchi la première ascension et je me suis senti bien, j’ai donné autant que j’ai pu ensuite. À un moment donné, un petit groupe est sorti, le directeur sportif nous a dit ‘all-in’, et j’ai poussé le plus que j’ai pu pour faire un trou." La suite? Sweeny a encore du mal à y croire au moment de répondre à une nuée de journalistes. "On n’aurait jamais imaginé ça, j’ai parlé à Ben au pied du podium et il était un peu sans voix. Vous rêvez du jaune, mais vous ne savez jamais quand ça va arriver. Et là c'est arrivé, avec un super travail d’équipe. C’est juste putain d’incroyable !", lâchait-il, le visage creusé par l'effort mais les yeux brillants.
Habitué à sortir du cadre
C'est en 2023 que la mobylette Healy se révèle au plus haut niveau, avec son style si caractéristique, cette façon de s'agiter sur son vélo, sa tête penchée vers la gauche, et ses résultats détonants. Une deuxième place sur la Flèche Brabançonne, d'abord, pour donner le ton, puis une bagarre avec Tadej Pogacar, excusez du peu, sur l'Amstel Gold Race. Bichonné par Jonathan Vaughters, le manager américain de EF, il confirme dans la foulée en remportant une étape du Giro, et, après une année 2024 plus discrète, refait parler de lui au printemps 2025 avec un top 5 sur la Flèche wallonne et un podium à Liège-Bastogne-Liège.
"Healy, c'est un incroyable attaquant, une audace folle, du panache. Il sort du cadre", observe l'ancien coureur Jérôme Coppel, notre consultant RMC sur ce Tour.
"On parle beaucoup d'un cyclisme devenu millimétré, où rien ne doit dépasser, où il faut compter le moindre coup de pédale. Lui, c'est un vent de fraîcheur, un mec qui envoie des watts du kilomètre zéro à la ligne d'arrivée, qui donne tout ce qu'il a dans le moteur", poursuit Coppel. "Ça ne paie pas toujours, mais au moins il essaie. Ça fait plaisir de voir un esprit offensif comme lui être récompensé de cette façon sur le Tour."
Solide puncheur et capable de passer certaines bosses, celui qui a grandi dans la banlieue de Birmingham (Angleterre) mais a opté pour la nationalité sportive irlandaise a "besoin d'une course ultra dure parce que sa première force c'est l'endurance", dixit Coppel.
Un héros "super normal"
Dans le bon coup lorsque l'échappée s'est formée, mais avalé par le peloton loin du but, Bruno Armirail a vu à l'œuvre de près la méthode Healy: "Il marche très, très fort. J’étais déjà dans une échappée sur le Pays basque avec lui quand il gagne son étape (en avril), et il marchait terrible. Pareil sur ce Tour. On sait que c’est une machine. Dans la haute montagne, il va perdre du temps normalement, c’est aussi pour ça qu’ils lui laissent le maillot je pense, mais chapeau à eux, chapeau à lui. Quand on est en forme comme ça, il faut en profiter."
Arrivé chez EF cet hiver, le Savoyard Alex Baudin est lui tout de suite tombé sous le charme de ce personnage pas si dingue que ça. "Il est super normal, très calme, discret et très gentil. Je suis super content pour lui ", soulignait au Mont-Dore l'ancien coureur de Decathlon-AG2R La Mondiale. "Je ne connaissais pas les écarts, mais j'entendais dans l’oreillette qu’on le poussait à fond pour qu’il aille jusqu’à la ligne afin de gagner le plus de temps possible. Il a réussi à finir le boulot, c'est fou ! C'est une journée incroyable. On ne peut pas demander mieux, c’est exceptionnel." Et avec Healy, désormais leader du général avec 29 secondes d'avance sur Tadej Pogacar, on parie volontiers que ce n'est pas fini.