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Tour de France 2025: 8000 calories, "une assiette de pâtes par heure"... Le régime alimentaire hors du commun des coureurs

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Pour tenir jusqu’aux Champs-Élysées, et optimiser leurs performances, les coureurs du Tour de France doivent engloutir au quotidien d'impressionnantes quantités de nourriture. Du matin au soir, loin de ce que peuvent laisser penser leurs poids plumes.

"Mais ils mangent quoi ces cyclistes pour être si minces?" Se brancher l’après-midi devant le Tour de France, c’est obligatoirement se poser (ou entendre) au moins une fois cette question à la vue de ces corps en apparence aussi dodus qu’une fourmi entrée en grève de la faim. Leur régime alimentaire sur les trois semaines de course, avec plus de 3300 kilomètres à avaler jusqu’aux Champs-Élysées, aurait pourtant de quoi rendre jaloux le Gargantua de Rabelais.

Loin des contraintes que peuvent générer les longues semaines de préparation, les coureurs doivent cette fois ingurgiter de folles quantités de nourriture pour répondre à la dureté des efforts fournis sur le vélo. Et optimiser leurs performances dans les moindres détails.

"Notre défi, c’est de faire en sorte qu’ils mangent assez, car leurs dépenses sont énormes", expose Pierre Pasquier, responsable nutrition au sein de la formation TotalEnergies. "Sur une étape de montagne, les dépenses d’un coureur peuvent atteindre les 5000 ou 6000 calories", précise-t-il. "Un chiffre auquel on ajoute le métabolisme de base, c’est-à-dire ce qu’on brûle comme calories au quotidien sans faire de sport. Pour une personne lambda, on est sur un besoin de 2000-2500 calories. Pour un coureur sur une étape ultra énergivore, on est plutôt sur des bases de 7000 à 8000 calories à consommer, c’est énorme." Et ça nécessite "d’être très stratège" pour répartir les apports nutritionnels sur l’ensemble de la journée.

>>> La 14e étape du Tour de France en direct

Première étape: le petit-déjeuner

C’est le début d’un drôle de marathon nutritionnel pour les coureurs. Avec un petit-déjeuner (qui n’a rien de petit) chargé de fournir tout de suite au corps un apport conséquent en glucides. Il doit être pris entre trois et cinq heures avant le départ de l’étape pour favoriser la digestion et éviter toute mauvaise surprise sur le vélo. Évidemment, pas question de se contenter d’un café ou de deux-trois tartines beurrées.

Pierre Pasquier: "Chaque coureur a son propre protocole nutrition à suivre tout au long de la journée. Dès le petit-déjeuner, on a nos calculs et nos estimations, mais on s’adapte en fonction des souhaits du coureur. L’idée, c’est d’avoir une majorité de glucides, environ 75% du repas, le reste est réparti en protéines et en lipides. On limite les lipides car c'est plus compliqué à digérer. Il y a une base de féculents avec du pain, du porridge ou du riz, voire des crêpes et des pancakes. Ce sont des recettes adaptées à des sportifs de très haut niveau, on ne fait pas de crêpes au rhum et au beurre (sourire). On peut ajouter de la confiture, du miel, de la crème de marrons, du sirop d'agave, du sirop d'érable… Avec une portion de fruits. Des œufs ou du jambon pour les protéines, un peu d’huile d’olive, du beurre de cacahuète ou de la purée d’amandes pour les lipides. Le tout avec une boisson chaude."

Deuxième étape: la collation avant le départ

Pas de répit pour l’estomac. Là encore, le but est d’apporter au corps suffisamment de carburant avant de se frotter aux longues heures de course et d’efforts intenses à venir. Cette collation est placée au moment du briefing d’avant-étape dans le bus, ce rendez-vous capital durant lequel les directeurs sportifs glissent à leurs coureurs, à l’abri des regards et des oreillettes discrètes, les dernières stratégies à suivre.

Pierre Pasquier: "Ça a lieu environ une heure et demie avant le départ. Il s’agit de petits emballés, autrement dit des encas glucidiques comme des gâteaux ou du far breton. On conseille aux gars d'en manger un ou deux pour garder une glycémie constante et épargner le glycogène, c’est-à-dire la forme sous laquelle les glucides sont stockés dans les muscles."

Troisième étape: l’alimentation pendant la course

Vous pensez toujours que ces champions aux silhouettes un brin rachitiques se contentent de quelques encas et de bidons bien frais? Détrompez-vous. Lors des étapes les plus exigeantes, comme en haute montagne, les coureurs peuvent donc cramer jusqu’à 8000 calories par jour. Soit une dépense énergétique quatre fois supérieure à une personne sédentaire qui passerait son après-midi dans son fauteuil à regarder le Tour de France. L’apport en glucides est primordial, il faut fournir aux muscles de l’énergie en continu, quitte à s’alimenter toutes les vingt ou trente minutes, et ce dès le début de l’étape, sans même attendre d’avoir faim ou soif. En plus des voitures de directeurs sportifs, chaque équipe s’appuie sur des assistants présents au bord des routes pour ravitailler les coureurs en gels, bidons et autres barres. Et sur le cintre de leur vélo, la plupart ont droit à des stickers qui leur rappellent le plan nutritionnel à suivre pour repousser la fringale ou le trou noir.

Pierre Pasquier: "Pendant ses quatre à cinq heures d’efforts, le coureur consomme la moitié de ses apports de la journée. C’est énorme. Avec environ 90 à 120 grammes de glucides par heure. C’est devenu la norme aujourd’hui. On sait qu’on peut oxyder 60 grammes de glucides par heure. Ça c'est en glucose, donc si on ajoute un apport en fructose on peut monter à 90 grammes. Les coureurs bien entraînés peuvent aller à 110, 120 ou 130 grammes de glucides. Imaginons qu’on s’amuse à convertir ces 120 grammes en pâtes. 100 grammes de pâtes, c’est 25 grammes de glucides. Si on tourne à 120 grammes de glucides, ça fait environ 500 grammes de pâtes cuites! C’est comme si le coureur mangeait une assiette de pâtes par heure sur le vélo! Ici, les pâtes sont remplacées par des gels, des barres et des boissons riches en glucides.

Avant, on trouvait des gels à 15 grammes de glucides, des pâtes de fruits à 10 grammes, donc il fallait en manger beaucoup. Aujourd'hui, on a des bidons à 40 ou 80 grammes de glucides, des gels à 55 grammes de glucides… L’objectif est d'alterner tous ces apports avec en plus des gâteaux maison qui tournent à 20 ou 30 grammes de glucides. Plus l'effort est intense, moins on mange de solides et plus on consomme des gels, des boissons."

Quatrième étape: la collation à l’arrivée

Une fois la ligne d’arrivée franchie, direction aussitôt la douche ou la zone médias pour répondre aux innombrables questions des journalistes? Pas tout de suite. Le périple culinaire se poursuit avec une attention toujours portée sur la doublette glucides-protéines.

Pierre Pasquier: "Il y a ce qu’on appelle la fenêtre métabolique juste après l’étape. C'est une période où le coureur est le plus apte à recharger. Le corps est en situation de faiblesse et les réserves de glycogène n’ont pas été épargnées. Le glucide, c'est le carburant de l'effort. En fin d’étape, le coureur n’a plus d’essence, il faut recharger le glycogène le plus vite possible. D'où l'intérêt d'avoir un assistant à l'arrivée qui va apporter des boissons sucrées ou des bonbons, qui sont vite assimilés et font remonter la glycémie dans le sang. Les coureurs peuvent prendre des sodas, avec en plus une boisson de récupération qui comprend 20 grammes de glucides et 20 grammes de protéines. On peut ajouter éventuellement du jus de raisin. Ça c'est dans un laps de temps de moins de cinq minutes après l'arrivée. Ensuite, une fois au bus et douché, la recharge se poursuit avec du riz et une collation de récupération. Certaines équipes optent pour du poulet et un peu de légumes. Nous on alterne entre des collations sucrées et salées sympas à manger, comme du flan pâtissier, une part de pizza ou une quiche lorraine. On peut même se permettre une pizza par coureur avant une journée de repos. De la fin de l’étape jusqu’à l’arrivée à l’hôtel, ce temps dans le bus peut durer environ deux heures."

Cinquième étape: la collation avant le dîner

Vers 18h ou 19h, place au traditionnel massage pour les coureurs. Le moment parfait pour débrancher le cerveau ou se refaire le fil de l’étape. Pour imaginer le plan parfait afin de lever les bras le lendemain ou se demander si Tadej Pogacar attaquera plutôt à 110 ou 150 bornes de l’arrivée.

Pierre Pasquier: "Certains coureurs prennent avec eux des yaourts riches en protéines avec potentiellement un paquet de biscuits. C’est un tout petit apport qui se prend pendant le massage, mais il a son intérêt."

Sixième étape: le dîner

Enfin un vrai repas classique. Avec la totale: entrée, plat et dessert. Mais sans rien laisser au hasard. En lien avec les entraîneurs et les médecins présents sur la course, les nutritionnistes reçoivent dans la journée les dépenses au millimètre de chaque coureur, et adaptent en fonction leurs calculs pour que les cuisiniers préparent de quoi combler ces corps essorés.

Pierre Pasquier: "Pour l’entrée, on essaie de réhydrater le coureur, avec souvent des soupes froides type gaspacho. Si l’effort a été violent, on peut directement mettre des féculents dans l'entrée via des tartes, des quiches, des salades, etc. Pour le plat, il y a une base de féculents, des protéines et un peu de légumes. Ça peut être un poulet au coco, un poulet teriyaki, un filet de colin au curry… Le dessert est riche en glucides: des tartes, un gâteau au chocolat, un flan pâtissier, un riz au lait, un clafoutis, et même parfois des crêpes. Il faut se faire plaisir!"

Septième étape: la collation "nocturne"

Une dernière collation pour la route, oui, encore une. Un exemple? Un yaourt riche en protéines accompagné d’une poignée de fruits rouges. Le tout consommé une demi-heure avant de s'éclipser en douceur dans les bras de Morphée. L’objectif est simple: les caséines contenues dans les protéines laitières vont permettre la récupération musculaire sur toute la durée de la nuit.

Pierre Pasquier: "Du lever au coucher, il n’y a pas une heure où le cycliste ne mange pas. Et ça, le grand public ne s’en rend pas forcément compte. C’est impressionnant. La nutrition du cycliste est individualisée et énormément fractionnée. Être un bon coureur, c’est être fort sur le vélo mais aussi savoir gérer sa nutrition. Ça demande des connaissances, de l’énergie et de l’implication. Il faut entraîner son intestin, se préparer à beaucoup manger et bien digérer. L’époque où le coureur mangeait uniquement des pâtes ou presque, sans vraiment peser les quantités, avec un petit verre de vin à table, est très loin derrière nous. Tout est beaucoup plus contrôlé aujourd’hui, mais pas dans le mauvais sens. La difficulté qu’on peut rencontrer, c’est que certains coureurs peinent parfois à manger tout ce qu’ils doivent manger sur trois semaines. Plus le Tour avance, plus ça peut devenir compliqué, à cause de la fatigue, la répétition des efforts et des repas… Il faut s’accrocher."

https://twitter.com/rodolpheryo Rodolphe Ryo Journaliste RMC Sport