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Tour de France 2025: "Un jour, il pourrait tout perdre", et si la fringale était la seule ennemie de Pogacar?

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Habitué à estourbir la concurrence et à tout écraser, Tadej Pogacar semble pourtant avoir une marge de progression sur un domaine bien particulier: la gestion de sa nutrition en course. Car à plusieurs reprises, ces dernières années, le bourreau slovène s’est retrouvé confronté à un mal que l’on pensait disparu: la fringale.

Elle a terrifié des dizaines de générations mais ne fait aujourd’hui plus peur à grand-monde. Fragilisée par l'ultra-professionnalisation du vélo, les bataillons d’experts recrutés par chaque équipe et le règne des bidons bourrés de glucides, elle doit se restreindre à de rares apparitions. Souvent pour bizuter un jeune insouciant (Paul Seixas en avril sur le Tour des Alpes), parfois pour refroidir un talent trop confiant (Mathieu Van der Poel lors des Mondiaux de 2019). Qualifiée d'espèce en voie de disparition, l’emblématique fringale semble pourtant à même de réussir là où tant d’autres échouent saison après saison: donner des sueurs froides au meilleur coureur de la planète.

La fringale, cette chute brutale du taux de sucre dans le sang, qui n’aime rien d’autre que surgir par surprise pour mieux saisir sa proie. À l’heure où beaucoup redoutent un Tour de France sans suspense, survolé de bout en bout par un ogre insatiable, l’une des seules faiblesses de Tadej Pogacar est peut-être à chercher de ce côté-là. Un drôle de paradoxe chez cet alien à la domination quasi sans faille et héros d’une équipe émiratie habituée à tout contrôler.

"Une fringale vient nécessairement d’une erreur", expose Julien Louis, nutritionniste dans les rangs de Décathlon AG2R-La Mondiale.

En hypoglycémie lors de la bataille du Granon

"Peut-être qu’on a sauté un ravito, peut-être qu’on avait l’esprit ailleurs dans le feu de l’action, peut-être qu'on a manqué de vigilance. C’est quand même de moins en moins fréquent parce qu’il y a énormément d’assistants sur le bord des routes pour ravitailler les coureurs en gels, en gâteaux… Et puis les coureurs ont des rappels. On leur colle des stickers sur la potence pour leur indiquer ce qu’ils doivent manger et quand. Tous le savent, la nutrition est un point clé de la performance, tout est optimisé." Le constat est toutefois là: ces dernières années, la menace du trou noir s’est plusieurs fois invitée sur le porte-bagages de l’homme aux 99 victoires.

Le premier exemple marquant remonte au 13 juillet 2022. La bataille du Granon, le chef-d’œuvre collectif des Jumbo et les assauts d’un Jonas Vingegaard déchaîné pour reléguer l’ennemi à trois minutes. Ce jour-là, comme à Hautacam une semaine plus tard, Pogacar admet avoir cédé face à "plus fort", tout en glissant avoir ressenti "tout d’un coup, un coup de moins bien, un coup de barre... Peut-être une hypoglycémie". Une thèse alors appuyée en haut lieu par les têtes pensantes d’UAE TeamEmirates, presque désolées de ne pas pouvoir réfréner ce glouton "emporté par son ambition". "Pogacar est tellement fort qu’il peut se permettre des petites erreurs", étaye Jérôme Coppel, neuf années chez les pros au compteur et actuel consultant pour RMC.

"Il crame de l'énergie en faisant le spectacle"

"Il le sait, mais il gagnerait à gommer tous les efforts un peu inutiles qu’il aime bien faire en course: aller chercher deux-trois secondes de bonifs, suivre toutes les attaques, etc... Il crame de l’énergie en faisant autant le spectacle et je pense qu’il oublie de temps en temps de suffisamment s’alimenter. Le plus souvent, c’est sans conséquence pour lui. Mais ça peut se payer sur une course de trois semaines aussi exigeante." Devenue comme obsolète à l’ère du cyclisme scientifique, la fringale se sentirait-elle en confiance avec "Pogi"?

Un an avant le Granon, fin août 2021, elle avait déjà frappé à sa porte dans un tout autre décor. Sur les routes ensoleillées de la Bretagne Classic, une improbable coupure de courant le cloue sur place à 50 bornes de l’arrivée à Plouay. Les cannes figées, le cerveau débranché, plus une goutte d’essence dans le moteur. Et un abandon laissant supposer un souci d’alimentation ou d’hydratation. Chez Pogacar, la lumière s’éteint à nouveau le 19 juillet 2023. Mis KO par le chrono lunaire réussi la veille par Vingegaard à Combloux, il finit de sombrer sur les pentes du col de la Loze, renvoyé dans les cordes avant même d’en attaquer les pourcentages les plus sadiques.

Dans le rouge au Lioran sur le Tour 2024

La faute à une faillite mentale? Les conséquences d’une préparation tronquée par sa blessure au poignet subie sur Liège-Bastogne-Liège? Ou un bourreau danois simplement au-dessus de la mêlée? Sans doute un peu de tout ça alors que certains ressortent l’idée d’un brutal et nouveau coup de pompe. L’image est encore plus forte le 10 juillet 2024 lors de la 11e étape du Tour au Lioran. À son aise sur les cols d’Auvergne, Vingegaard se plaît à titiller la toute-puissance du maillot jaune en le matant au sprint. Si facile depuis le départ de Florence, Pogacar apparaît pour la première (et dernière) fois à l’ouest, dans le rouge, rattrapé par une tactique hasardeuse et des réserves à plat.

Dans le final, les caméras le montrent au niveau de la moto fraîcheur, puis en quête désespérée de gels à se mettre sous la dent, avant qu’il ne débarque livide sur le podium. "Ce n’était pas la pire des fringales, sinon il aurait pris dix minutes. Mais il a probablement oublié de manger ou de boire au moment où il a tenté une attaque à 30 kilomètres de l’arrivée. Il aurait dû reprendre des glucides. Ça s’est d’ailleurs vu sur son sprint, il s’est retrouvé à pédaler dans la semoule, et il était blanc quand il a franchi la ligne. Ses directeurs sportifs ne pourront pas le changer maintenant, mais il faut qu’il fasse gaffe à ça. Attention au retour de bâton. Sinon, un jour, il pourrait bien tout perdre", prophétise Coppel.

Une image étonnante sur le dernier Dauphiné

Au-delà du simple cas slovène, Pierre Pasquier, responsable nutrition au sein de la formation TotalEnergies, avance une autre piste à ces black-out vécus par certains gaillards du peloton. "Plutôt qu’une fringale, un trouble digestif est vite arrivé sur le vélo", souligne-t-il. "C’est encore plus vrai en cas de fortes chaleurs et d’efforts extrêmement intenses comme en haute montagne. Aujourd’hui, les gars s’entraînent à manger 120 grammes de glucides par heure en course. C’est comme s’ils prenaient une assiette de pâtes par heure sur le vélo, c’est énorme! Et ça peut être dur à gérer sur 21 étapes. Manger de grosses quantités, ça reste un sacré défi."

Même pour Pogacar? Même à une époque où les champions entraînent leur système digestif à recevoir et digérer d’abondantes quantités de nutriments via des séances dites de "gut training" (littéralement "entraînement de l’intestin")? L’histoire ne dit pas s’il faut y voir l’une des raisons derrière son contre-la-montre raté début juin sur le Critérium du Dauphiné. Sur un tracé relativement court (17,4km pour 20-21 minutes d’efforts), le voir engloutir un bidon a pu surprendre les spécialistes.

"Normalement, tu peux te passer de boire sur ce genre de contre-la-montre. Je n’ai pas trop compris, moi je n’aurais pas pris d’eau. Alors est-ce qu’il a pris un coup de chaud sur son home trainer? Est-ce qu’il s’est échauffé trop fort? Est-ce qu'il a eu un souci d'hydratation ou juste mal appréhendé la chaleur?", s’interroge Coppel, champion de France du contre-la-montre en 2015. "J’y vois une accumulation de petites erreurs." Et peut-être un motif d’espoir pour tous ceux qui rêvent d’un Tour 2025 indécis jusqu’aux derniers pavés de la rue Lepic, le 27 juillet prochain.

Rodolphe Ryo, à Lille