Vêtements de pluie sous 30°C, longs bains chauds... L'entraînement à la chaleur, la nouvelle mode du peloton

Oublié, le ciel capricieux des premiers jours. Fouetté par les bourrasques et rincé par une pluie rebelle au moment de s'élancer du Nord, le peloton du Tour de France a vite retrouvé des couleurs. Ce jeudi, la chaleur normande a même pu en surprendre certains, qui vont devoir s'y habituer puisqu'un soleil de plomb devrait s'inviter sur leurs porte-bagages lors des prochaines étapes. Il faudra alors ressortir les gilets réfrigérants, les bidons riches en sels et les maillots anti-UV. Mais dans le vélo de 2025, c'est tout au long de l'année que la résistance aux températures extrêmes se travaille, avec l'essor du "heat training" ou entraînement à la chaleur.
Un procédé récemment mis en avant par les caciques d'Alpecin-Deceuninck pour justifier - au moins en partie - la forme étincelante de Mathieu van der Poel, vainqueur ce dimanche à Boulogne-sur-Mer et porteur du maillot jaune. Le grimpeur norvégien Tobias Johannessen, actuel 15e du général, en a aussi loué les bienfaits, en s'affichant début juillet à l'entraînement dans de drôles de conditions. "25°C à l'extérieur, cinq couches de vestes, température corporelle de 39,6°C et 2,5 litres de liquide perdus. C'est le cyclisme moderne!", avait-il posté sur son compte Instagram dans une vidéo le montrant enveloppé de sacs-poubelles, de haut en bas du corps, et équipé de gants.
Dans un passé pas si lointain, les cadors du peloton avaient plutôt l'habitude de filer dans le golfe Persique dès le mois de février (Tour d'Oman, Tour des Émirats arabes unis) pour exposer leurs corps à des fournaises et tenter une acclimatation précoce à la chaleur. Puis d'autres méthodes, naturelles ou artificielles, se sont imposées. Comme des tests de combinaisons de surchauffe, des séances de sauna ou du home-trainer dans des pièces surchauffées avec le thermostat poussé à 37 ou 38°C. Même Thibaut Pinot, pas vraiment ami avec la canicule, avait fini par s'y plier en faisant installer un sauna à son domicile sur les conseils de Groupama-FDJ.
Sauna et vêtements de pluie sous 30°C
"L'entraînement à la chaleur a deux grands objectifs principaux. Le premier est d'aider les athlètes à mieux performer dans des conditions chaudes. Le deuxième est qu'une période d'entraînement à la chaleur peut entraîner des changements physiologiques, notamment une augmentation du volume de plasma sanguin. Cet effet est très similaire à ce qui se produit avec l'entraînement en altitude et constitue une méthode reconnue pour améliorer les performances sportives", explique à RMC Sport David Hulse, médecin présent sur le Tour au sein de l'équipe EF Education-EasyPost.
"On applique essentiellement deux méthodes. La première est ce que nous appelons l'entraînement thermique passif. Après une sortie d'entraînement, le cycliste peut prendre un bain d'eau chaude pendant une durée pouvant aller jusqu'à une heure. La température de l'eau doit être contrôlée, et c'est un effet passif: le cycliste n'est pas actif à ce moment-là. Pour l'entraînement actif, le coureur peut effectuer une séance d'entraînement en intérieur, en portant par exemple sa tenue d'hiver, dans le but d'augmenter la température corporelle pendant la séance. Ça influence également les paramètres liés à la transpiration", détaille-t-il. Dans les rangs de EF Education-EasyPost, ces techniques sont testées sur différentes périodes.
"L'entraînement actif génère plus de stress pour le corps, il doit donc être intégré très soigneusement dans le plan d'entraînement du coureur", ajoute David Hulse. "Le sauna et le bain chaud, ce sont des moyens très simples et efficaces. On peut aussi demander à nos coureurs d'enfiler beaucoup de vêtements à la fin d'un entraînement. C'est ce qu'on fait quand on part en stage en Sierra Nevada. Sur la dernière montée, quand il fait 30°C, ils enfilent des vêtements de pluie. Oui, c'est un peu bizarre, mais ça permet de s'adapter à la chaleur", complète Stephen Barrett, entraîneur chez Decathlon AG2R La Mondiale depuis 2018.
"Lorsque nous nous acclimatons à la chaleur, nous transpirons plus vite. La concentration en sodium dans la sueur diminue également, ce qui réduit les pertes de sodium, et contribue à prévenir les crampes. L'entraînement à la chaleur entraîne une augmentation du volume plasmatique sanguin, ce qui aide le cœur à transporter l'oxygène vers les muscles plus efficacement. Ça aide aussi le corps à réguler le rythme cardiaque lors d'efforts intenses à haute température", développe David Hulse.
Des séances utiles pour la chaleur... et le froid
Parce que le cyclisme n'est bien sûr pas le seul sport concerné par cette thématique, de nombreux athlètes français s'étaient préparés en amont des Jeux olympiques de Paris dans la "thermo room" de l’Insep. Une salle spécifique d’une dizaine de m2 permettant de s’entraîner dans des conditions éprouvantes afin d’habituer le corps à la chaleur. "Nous avons tous une limite naturelle qui nous empêche de dépasser un certain niveau d'effort", reprend le Britannique David Hulse, spécialiste de la médecine sportive.
"Après un bloc d'entraînement à la chaleur, vous retardez essentiellement l'arrivée de cette limite, ce qui vous permet de produire de la puissance pendant une période plus longue. Vous contrôlez mieux l'augmentation de votre fréquence cardiaque sous l'effet de la chaleur, qui est réduite ou mieux maîtrisée, et par conséquent, vous gagnez essentiellement 10, 15, 20 minutes de plus à des niveaux de puissance plus élevés avant que votre limite ne s'installe." Plus surprenant, ces entraînements sont aussi utiles aux coureurs pour affronter des conditions climatiques… très froides.
"On en revient au changement physiologique. L'augmentation du volume de plasma sanguin qu'entraîne un bloc d'entraînement à la chaleur est un changement physiologique similaire à celui obtenu avec un entraînement en altitude. On peut obtenir un effet similaire à deux ou trois semaines d'entraînement en altitude avec une semaine ou dix jours d'entraînement à la chaleur au niveau de la mer", appuie David Hulse.
"Très étrange de faire du home-trainer en étant super habillé"
"On a constaté de vrais bénéfices sur des courses où il fait très froid, comme sur les classiques du début de saison. On a de vraies données scientifiques sur le sujet depuis 2020-2021 et aujourd'hui presque tous nos coureurs font des entraînements de ce type, en Sierra Nevada, à la station des Arcs en Savoie… Ce n'est pas forcément la chose la plus agréable, surtout quand il faut faire du home-trainer dans une pièce chauffée avec un bonnet, mais les coureurs ont compris que ça fonctionnait", étaye Stephen Barrett.
Un constat partagé par Bastien Tronchon, aligné cette année sur son premier Tour de France et qui a plongé dans le "heat training" dès le début de saison pour préparer ses courses de rentrée en Australie, où le mercure peut vite s'emballer. "C'est très étrange de faire du home-trainer en étant super habillé ou de faire des bains en se mettant dans des états pas possibles, mais beaucoup de coureurs passent par ça maintenant. On sait que ça fait progresser, donc on y va à fond! Ça fait partie du boulot", sourit le Savoyard de Decathlon AG2R La Mondiale.
Quant aux amateurs qui seraient tentés de reproduire ça chez eux, David Hulse tient à les mettre en garde : "L'entraînement à la chaleur inflige beaucoup de stress au corps et doit être effectué de manière extrêmement contrôlée. Avec nos coureurs, nous avons des périodes où nous les surveillons de très près afin de pouvoir individualiser leurs programmes d'entraînement à la chaleur. Nous savons comment leur corps réagit en termes d'élévation de la température corporelle. La marge est assez étroite. Nous ne voulons pas dépasser les 39°C, car cela peut entraîner des effets néfastes, notamment en termes de fonction musculaire et de récupération."