
Benzema Ballon d'or: comment un enfant de Bron est devenu le meilleur footballeur du monde
Il n'était tout d'abord qu'un jeune prodige dont on parlait avec des étoiles dans les yeux dans l'agglomération lyonnaise. De ces promesses qu'on voit finir au plus haut mais qui trop souvent échouent face à la pression, l'exigence et la difficulté du monde professionnel. Vingt ans plus tard, au terme d'un long chemin qui l'aura vu condamné par un tribunal, mis à l'écart plusieurs années des Bleus, mais aussi remporter cinq Ligue des champions et s'imposer dans le club le plus prestigieux du monde pour un bail d'une longueur inédite, Karim Benzema va soulever le Ballon d'or et devenir seulement le cinquième Français à décrocher cet honneur.
Cela pourrait paraître comme une incongruité à 34 ans, mais c'est aussi la conséquence d'un long cheminement. Car la trajectoire de Benzema, tout pétri de talent qu'il est, est loin d'être linéaire. Ceux qui l'ont cotoyé depuis ses débuts racontent comment le petit Karim est devenu Benzegoal.
Les intervenants
Son premier éducateur, Cyril Dolce
Son premier agent, Frédéric Guerra
Son coach en U17 qui le fait grandir, Armand Garrido
L’entraîneur qui le voit passer en CFA quatre mois avant qu’il file en pro Robert Valette, (entraîneur de Benzema de août 2004 à janvier 2005)
Mathieu Bodmer, coéquipier à Lyon (2007/09)
David Bettoni, entraîneur adjoint de Zinédine Zidane au Real (2016-18 et 2019-21)
L’insouciance des débuts
Cyril Dolce: "Quand il a 10 ans et qu’on le voit arriver, il était insouciant, il n’avait peur de rien, il relève les défis qu’il avait à relever. Quand il y a des prises de risques sur le terrain, il les prend. Il prend ses responsabilités dans la surface de réparation. Il s’impose comme le joueur qui va faire basculer le match. Ce n’est pas un leader charismatique qui va prendre en main l’équipe, c’est un leader de jeu. C’était un joueur altruiste. Il vivait une passe décisive comme un but. Il aime donner aux autres. C’était la clef quand la bataille était mal engagée. C’était le facteur X. Il n’a pas beaucoup changé, sauf que maintenant, il est physiquement, plus grand que … moi! (rires)"
Robert Valette: "Contrairement à beaucoup d’autres, il a toujours été assez humble. Ce n’était pas un causeur, il ne parlait pas beaucoup, qui se met en avant. Il regardait, observait et s’adaptait. Il m’a donné envie de le faire jouer."
La différence avec Hatem Ben Arfa, autre prodige de la même génération

Armand Garrido: "La différence est importante entre les deux au départ. La lumière c’est HBA, Karim est complètement dans l’ombre … Karim est déjà un gros travailleur … Tu lui disais: "On reste 45 minutes à bosser, il était à fond, et il ramassait les ballons … Il aimait cela… Dans sa chambre au centre de formation, il n’y avait pas de photos de chanteurs, de basketteurs… C’était des footballeurs. Le football c’était 24h/24. Quand il part au Real, je me dis que ce n’est pas possible, il est fou, il va se faire bouffer là-bas. 15 ans après il est toujours là, et c’est le patron."
Robert Valette: "Quand je le récupère, il avait déjà une grosse réputation. Il sortait d’une saison en 17 ans avec 40 buts. A 16-17 ans, il était déjà fait. C’était l’anguille, le gars capable de jouer dans tous les registres. C’est le football de rue: si tu veux jouer, il faut que le ballon vienne vers toi. Il a une technique au-dessus de la moyenne. C’est un des meilleurs "technicien" que j’ai eu. Il sait tout faire. J’ai rarement vu un joueur aussi bien armé."
Mathieu Bodmer: "Je m’entendais très bien avec lui. Il était très jeune mais il avait déjà une place importante dans le groupe. Quand j’arrive, en 2007/2008, il termine meilleur buteur du championnat et on gagne le titre. Il commence à faire de grosses prestations en Ligue des champions, notamment face à Manchester United. Dans le groupe, il avait une importance considérable, déjà hors du commun, avec ses premières sélections en équipe de France et ainsi de suite." "Je le connaissais déjà, j’avais joué contre lui et j’avais vu des images. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi développé. Quand j’arrive, c’est un jeune joueur, il a à peine 19 ans. On connaissait plus Hatem Ben Arfa à l’époque. Je tombe sur un joueur très sérieux et très travailleur, avec d’énormes qualités et aussi très motivé. Il avait un plan de carrière en tête, il savait déjà ce qu’il voulait faire, pourquoi il se levait tous les matins. Il avait des objectifs très importants et 15 ans après, on voit tout ce qu’il a réalisé, avec une confiance en lui, qui pouvait passer pour de l’arrogance à l’époque mais c’était juste une grande confiance en lui."
Karim le Lyonnais
Armand Garrido: "On va à Sochaux, on gagne 4-0, 4 buts de Karim. Et les recruteurs de Sochaux voient sur la feuille de match voit qu’il est amateur. Ils me posent la question sur ce statut. Je leur dis, non, y a une erreur. Il est professionnel, je mens… Et Sochaux tente de le faire venir. Ils appellent le papa qui dit, "non, on s’est engagé avec Lyon, on reste avec eux." Il s’est épanoui dans un environnement, dans un confort. Ce qu’il a fait quand il était jeune, il le reproduit au Real. Je n’ai pas d’exemple comme Karim."
Cyril Dolce: "Il y a un côté modélisant pour l’Académie. Tous les jeunes joueurs ont envie de ressembler à Karim Benzema. Le mimétisme est travaillé par la vidéo sur les spécifiques attaquants pour montrer la voie. C’est un modèle pour nous."
Robert Valette: "Pour un formateur, qui a eu ce joyau entre les mains, voir ce qu’il est devenu, whaou…. Tu te dis, avec tous les formateurs de l’époque, qu’on a été un peu pour quelque chose. On a eu à un moment donné, le meilleur joueur du monde. On l’a eu là, devant nous. On l’a fait jouer, on l’a engueulé…(rires) Celui qui l’a façonné, c’est quelqu’un qui n’a jamais joué en professionnel, c’est Armand Garrido. Ce petit rondouillard de Bron-Terrailon venu à l’OL à 9 ans … Être désormais un footballeur mondialement reconnu, c’est magnifique. Il est le meilleur dans le meilleur club, que dire de plus. Y a beaucoup de joueurs qui peuvent dire cela ? Pas beaucoup!"
Mathieu Bodmer: "Il était très apprécié du vestiaire, en étant Lyonnais et aussi formé à l’Académie. Il était respectueux et à l’écoute des anciens que soient Grégory Coupet, Cris, Juninho ou Anthony Réveillère. Cela se passait très bien."

L’entourage
Armand Garrido: "Ma chance, c’est son papa, quand il voyait que quelque chose déconnait, il se rapprochait, il y avait une relation de confiance. Oui, y avait des choses mais il ne faisait pas assez d’actions … Il devait faire plus d’actions, de 3 on est passé à 6, puis 12. Puis des efforts défensifs … Il a toujours progressé, et il progresse encore aujourd’hui."
S’imposer chez les pros
Robert Valette: "Ce n’était pas facile de faire redescendre des jeunes, mais il a toujours été respectueux! On n’a jamais eu à se plaindre de lui. D’autres peuvent en témoigner, il n’a jamais désobéi! Contrairement à d’autres de la même génération et qu’on a eu du mal à gérer."
Le rêve du Real
Mathieu Bodmer : "On le savait plus ou moins à l’avance car son rêve était de jouer au Real. Il y avait un accord avec le président de Lyon, Jean-Michel Aulas, depuis longtemps. Il devait partir quand il y avait une offre. Pour l’anecdote, son dernier match en France, il ne le fait pas en Ligue 1 mais chez moi, à Evreux, pour un match caritatif. Il vient gentiment avec d’autres joueurs et quelques jours après, il s’envole pour le Real, c’était une fierté de le recevoir chez nous. Ce jour-là, il m’avait dit qu’il allait signer dans quelques jours, entre guillemets je réalise mon rêve. J’étais très content pour lui car c’est ce qu’il voulait faire.""13 ans après, il est toujours là et performant, dans un club usant avec beaucoup d'exigence. Cela n’a pas toujours été simple pour lui, il faut se rappeler les premières années. Parfois, il était décrié, on a voulu lui mettre plusieurs attaquants, Higuain et ainsi de suite. Finalement, il est resté et il a atteint la concurrence. Au fil des années, il est devenu de plus en plus bon avec des statistiques qui sont cette année incroyables mais ça ne m’étonne pas."
La relation avec Cristiano Ronaldo
Cyril Dolce: "Je l’ai revu il y a cinq ans, je lui ai demandé «qu’est ce qui t’as changé en allant au Real ? Il m’a répondu : je regarde, j’écoute et je suis Cristiano Ronaldo. Ça m’a frappé parce qu’il était un peu l’égal d’un Scottie Pippen avec Jordan chez les Bulls. Il s’est installé en lieutenant de Cristiano Ronaldo, à le servir, tout lui donner. Et puis une fois parti, il relève le défi en étant le joueur qu’il est à l’heure actuelle."
David Bettoni: "C’est le départ de Cristiano Ronaldo qui a fait changer Karim de dimension, clairement. Karim s’est mis par son intelligence, son humilité, à disposition de Cristiano, c’était pas une compétition entre eux, et il a su derrière assumer cette responsabilité d’être le fer de lance de l’attaque du Real Madrid. C’est ce maillot numéro 9 qui est très dur à porter car on attend du joueur qui le porte qu’il mette tous les buts, qu’il soit décisif. Donc voilà, il a changé de dimension à ce départ là et je pense que toutes ces années où il a continué à travailler, croire en lui, bonifié son jeu fait qu’il assume maintenant ce rôle de buteur, qui va renverser un match. Et cette année, je crois qu’il est l’artisan principale de la formidable épopée du Real Madrid en Champions League. C’est un leader technique, un leader de vestiaire à sa manière. Il a changé de dimension en 2018."

Au Real, un changement mental
Fredéric Guerra: "Il a un mental aujourd’hui que je n’avais pas pressenti à l’époque. Il a dû se développer par la suite. Finalement, quand on regarde le parcours, année par année, ça a été talent sur talent, travail sur travail, et il est passé au travers d’histoires sulfureuses qui auraient démoli n’importe qui d’autre."
David Bettoni: "La où Karim a le plus progressé, c’est au niveau mental. Il formait la ligne d’attaque avec Cristiano Ronaldo, le meilleur buteur de l’histoire du club, une icône, 5 fois ballon d’or, et Karim était le "nueve" comme on dit en Espagne, le numéro 9, ce maillot légendaire porté par les avant-centres du Real Madrid. Ce n’est pas facile. Il y a même des années où il a été critiqué parce qu’il ne mettait pas beaucoup de buts. Mais il a simplement fait preuve de beaucoup d’intelligence et d’humilité, en se disant qu’il n’était pas en compétition avec un monstre comme Cristiano Ronaldo, simplement se mettre à la disposition du collectif, jouer avec ses qualités, créer des décalages pour les autres… Karim est un merveilleux joueur d’équipe. Au niveau mental et émotionnel, il a su faire le dos rond, il a eu aussi des moments difficiles, il a été sifflé de nombreuses fois au Bernabeu, même si c’est un joueur qui est adoré. Il a eu des coachs comme Carlo Ancelotti lors de sa première étape, ou Zizou, qui ont été pour lui des référents au niveau moral et émotionnel et ses coéquipiers aussi, puisque Karim est un joueur très aimé dans le vestiaire du Real Madrid."
Une longévité hors du commun
David Bettoni: "Je pense que c’est comme tous les grands joueurs, leur force, c’est la constance. La constance de Karim dans le travail. Il faut voir comme il travaille. Tout ce qui est récupération invisible, tout ce qu’il peut faire pour être au top. La constance dans ses performances. Qu’est-ce qu’on attend de l’avant-centre du Real Madrid, c’est des statistiques, marquer des buts. La constance aussi dans l’importance qu’il a dans le jeu collectif de l’équipe. Ce qui va faire qu’il peut aller encore plus haut c’est maintenir cette régularité, cette constance, qui fait que là, c’est un joueur différent des autres comme le sont les champions. Il peut continuer à aller plus haut grâce à sa constance pour être à ce niveau là dans le meilleur club du monde et dans une des sélections nationales les plus puissantes au monde.
Mathieu Bodmer: "Dans son jeu, ce qui m’impressionne aujourd’hui, c’est sa capacité physique. Il met beaucoup de buts de la tête alors qu’avant, il n’aimait pas trop ça. C’était plus un super joueur de football mais la partie athlétique n’était pas sa partie favorite. Il s’est épaissi depuis, il est devenu beaucoup plus costaud, il fait énormément d’efforts. A l’époque, il courait mais surtout avec le ballon. Sans le ballon, il faisait un replacement mais là il effectue le premier pressing alors qu’il a 15 ans de plus, c’est-à-dire qu’il s’entretient et qu’il a beaucoup travaillé. Aujourd’hui, c’est un leader charismatique de son équipe. Le Real Madrid est le plus grand du monde, ce n’est pas anodin."
Cyril Dolce: "Je ne suis pas épaté de le voir haut, je suis épaté de le voir durer."
Le ballon d’or
Mathieu Bodmer: "J’espère qu’il aura le Ballon d’or, pour lui mais aussi pour dire que j’ai eu la chance de jouer avec un Ballon d’or un jour, de le dire aussi à mes enfants que j’ai joué avec un joueur comme ça."