Relégué en Ligue 1 mais révélation avec Sunderland, comment Régis Le Bris a déjà séduit l’Angleterre

L'entraîneur Régis Le Bris en train de donner des consignes pendant un match de Sunderland, août 2024 - Icon Sport
28 ans après le célèbre "Arsene Who" lâché par la presse britannique pour réagir à l’arrivée d’Arsène Wenger sur le banc d’Arsenal, un autre entraîneur français méconnu du public anglais a pris les rênes d’un club mythique cet été: Régis Le Bris à Sunderland. Certes, les réseaux sociaux et les résumés des matchs de Lorient en Ligue 1 ont permis aux supporteurs des Black Cats de se faire une petite idée sur le technicien et sa philosophie de jeu mais, factuellement, sa belle première saison sur le banc de Lorient (10e en Ligue 1) avait un peu été occultée par la relégation des Merlus en mai dernier.
Si bien que, quand le Breton de 48 ans débarque dans le club du nord-est de l’Angleterre, un certain scepticisme a pu accompagner son arrivée. Mais très rapidement, la presse locale comme le Chronicle Live a mis en lumière sa capacité à faire progresser les jeunes. De quoi apaiser les fans et offrir des débuts un peu plus calmes à l’ancien coach de Lorient.
Et cela lui a plutôt bien réussi depuis son arrivée outre-Manche. Avant le déplacement à Hull, ce dimanche lors de la dixième journée de Premier League, le Sunderland version Régis Le Bris occupe la place de leader en Championship avec 19 points sur 27 possibles.
Des débuts historiques en Championship
Avec six victoires pour deux défaites et un nul en neuf matchs, le Sunderland à la sauce Le Bris fait partie des belles surprises de la saison en Angleterre, toutes divisions confondues. Avec quatre victoires inaugurales, à la tête des Black Cats en Championship, le technicien a vite éteint les inquiétudes autour de sa capacité à guider une équipe aussi connue (encore plus depuis la série documentaire Sunderland ’Til I Die sur Netflix) et avec un passé aussi riche.
Quatre victoires en quatre rencontres pour commencer la saison, du jamais vu depuis 99 ans pour Sunderland comme l'a récemment rappelé la plateforme Opta. Après le fol engouement des débuts, la suite reste dans la même veine et les performances en championnat continuent de marquer les esprits. Surtout, le style pratiqué par l’équipe impressionne.
C’est simple, avec 18 buts marqués cette saison, les Black Cats possèdent la meilleure attaque de Championship avec une moyenne de deux réalisations par rencontre. Le tout sans être dépendant d'un seul joueur puisque le meilleur buteur du club, Romaine Mundle, n’a inscrit que trois pions en championnat. Si la volonté d'avoir une identité de jeu axée sur un football offensif s'était heurtée à la réalité de la bataille pour le maintien à Lorient, le technicien n'a pas changé son envie de bien jouer pour gagner après son arrivée à Sunderland. Une réussite offensive incarnée par les talentueux Eliezer Mayenda (19 ans) ou encore Jobe Bellingham (19 ans) pour ne citer qu’eux.
Si les deux défaites concédées en trois matchs face à Watford et Plymouth courant septembre ont pu faire craindre un coup d'arrêt pour les Black Cats, l'équipe s'est bien reprise avec un probant succès contre Derby County (2-0). Surtout, elle n'a jamais arrêté de produire du jeu. Une statistique vient confirmer cette emprise des Black Cats dans le jeu cette saison: Sunderland n'a été mené que 77 minutes en neuf matchs.
En défense aussi, la patte Régis Le Bris se fait sentir puisque, si l’équipe a encaissé huit buts (septième meilleure défense provisoire), le gardien Anthony Patterson a réalisé cinq clean-sheets soit le deuxième plus haut total de la deuxième division anglaise derrière Michael Cooper (six clean-sheets avec Sheffield United).
Le pari réussi de Kyril Louis-Dreyfus et Sunderland
Mais derrière, la réussite actuelle de l’équipe, se cache un vrai projet sportif. Fin connaisseur du football français, Kyril Louis-Dreyfus a choisi de confier les rênes des Black Cats à Régis Le Bris au terme d’un long processus de sélection réalisé en collaboration avec son directeur sportif, Kristjaan Speakman, et malgré plusieurs pistes relayées par la presse dont celle menant à Will Still. Une petite surprise pour les supporteurs ou les journalistes sur place mais un choix assumé auprès de RMC Sport par le propriétaire et président du club anglais.
"Cela faisait un long moment que l’on suivait les progrès de Régis Le Bris. Je pense que c’est depuis qu’il a été nommé entraîneur principal de l’équipe première de Lorient. On avait commencé à le suivre de près parce qu’on avait eu beaucoup de retours très positifs sur lui et sa méthodologie de travail de la part des joueurs, des propriétaires et d’autres personnes du monde du football en France", a ainsi confié le fils de l’ancien propriétaire de l’OM du haut de ses 27 ans. Et de préciser sur la seconde saison compliquée de Le Bris à Lorient: "On pensait que c’était un contexte très difficile et particulier. Cela aurait rendu la tâche très difficile à n’importe qui."

Mais au moment de valider la piste Régis Le Bris, la direction de Sunderland a surtout voulu retenir le positif. A savoir que le technicien prône un football ambitieux, sait gérer et développer les jeunes joueurs. Avant d’acter le choix Le Bris, Sunderland avait recueilli énormément d’informations sur le technicien.
Si, en fin de compte, Lorient a fini par être relégué en mai 2024, l’évolution de l’équipe sous la houlette de Régis Le Bris a marqué les esprits. A la fois dans le jeu et dans les résultats, compte-tenu des départs de plusieurs cadres (Enzo Le Fée, Dango Ouattara ou encore Terem Moffi), l’écart de niveau a été saisissant. En clair, la capacité de Régis Le Bris a bien faire jouer l’équipe lorientaise a constitué un vrai plus pour lui au moment d’obtenir la confiance de Sunderland. Et même l’échec sportif en Bretagne, s’est finalement transformé en un atout pour le coach selon son actuel président.
"On sait tous qu’on apprend beaucoup dans les succès mais on apprend encore plus dans les moments durs", renchérit Kyril Louis-Dreyfus.
"Quand quelqu’un traverse une période difficile, ça peut lui coûter énormément d’énergie. Notre grand, notre seul doute, c’était de savoir si après cette saison il aurait assez d’énergie de fraîcheur pour pouvoir tout de suite se relancer dans un nouveau projet", explique le ppropriétaire des Black Cats auprès de RMC Sport. "Une fois qu’on a vu que c’était le cas, on était confiant de se dire que toutes les autres choses seraient plus des expériences qui allaient l’aider plutôt que le desservir. On l’a vu plus comme quelque chose de positif que de négatif dans son développement comme coach."
La compétence élevée au rang de credo
Après Lorient, Régis Le Bris a rapidement rebondi à Sunderland. En arrivant le premier jour de la préparation estivale, le technicien n’a pas vraiment pu travailler sur les choses à mettre en place et la préparation de sa mission chez les Black Cats. Pas plus qu’il n’a pu s’appuyer sur des collaborateurs de confiance et connus en France. Et pour cause, il a débarqué seul en Angleterre. Seul avec ses idées et sa méthode de travail. A la place, Régis Le Bris a dû travailler avec le staff déjà en place et notamment Mike Dodds, trois fois intérimaire (février 2022, décembre 2023 et entre février et mai 2024). Une volonté de sa direction avec laquelle le Breton a rapidement été en adéquation.
"Pour nous c’était plus important de voir les qualités et la façon de travailler de la personne. On pense que, tant que ces choses-là sont alignées avec le club, c’est plus important que d’avoir de l’expérience concrète du championnat", glisse encore Kyril Louis-Dreyfus au moment de juger les débuts de Régis Le Bris dans son club. "Parce qu’on pensait aussi qu’avec un staff technique autour de lui qui a cette expérience du Championship, cela l’aiderait beaucoup. C’est comme ça qu’on a mené notre réflexion."
Et la greffe a bien pris. Le technicien a fait du pragmatisme l'une de ses plus grandes forces. On lui impose de travailler avec des personnes déjà présentes au club et sans son staff habituel? Pas de problème, Régis Le Bris s’en accommode bien. Surtout que le maintien d’historiques lui a permis de mieux s’imprégner de la culture club de Sunderland. La preuve d’une volonté de co-construire et de réfléchir ensemble à ce qui allait être bon pour la progression du club. D’où aussi l’acceptation de travailler avec les personnes en place.
Les premières semaines à Sunderland lui ont aussi permis de voir d’éventuels manques ou des axes à améliorer dans son staff. Avec du renfort pour les combler le club entend renforcer le projet sportif et poursuivre cette construction ambitieuse. L’idée n’est pas uniquement de prendre les amis ou les personnes avec lesquelles il a déjà travaillé. LA priorité de Régis Le Bris quand il renforce son staff à Sunderland, les bons résultats de l’équipe lui permettant de négocier du renfort avec sa direction, est la compétence. Finalement, c’est un staff à son image que veut le technicien. Comprendre, un salarié totalement impliqué et soucieux de progresser sans cesse dans ses fonctions. La loyauté et la confiance se façonnera dans le temps en travaillant avec lui.
"La décision a été prise par le coach et par nous qu’il intègre le staff qu’on avait car on pensait que ce staff avait de grandes qualités et pouvait l’aider beaucoup dans son installation à Sunderland. Au bout d’un peu de temps et comme on l’a fait avec tous les autres coachs, s’il y a des endroits où on pense qu’on peut s’améliorer, on va le faire", promet ensuite Kyril Louis-Drefus sur la volonté d’aider Régis Le Bris dans son travail. "On a par exemple annoncé un nouvel adjoint il y a une semaine, Pedro Ribeiro (un adjoint portugais, ndlr). Avant ça, on avait un staff technique très très petit au niveau du nombre de personnes. On avait très peu de gens, et comme avec le coach où on a pris beaucoup de temps pour le trouver, on a pris beaucoup de temps pour trouver un adjoint qui selon nous pourra vraiment aider."
"Il y a une chose que j’ai trouvée très intelligente de la part de Régis Le Bris, parce qu’évidemment il avait fait toute sa carrière en France avant de nous rejoindre donc il avait énormément de bons contacts de coachs en France, c'est qu'il a compris que le fait de ne pas pouvoir parler anglais dans un effectif qui parle anglais à 75% aurait été très difficile pour ses adjoints… Régis Le Bris a un anglais qui est très très très bon. Il partageait notre opinion que, si un membre du staff arrivait sans avoir aucune expérience de cette langue, ce serait difficile. La réalité c’est que dans son réseau, comme il a toujours coaché en France, la plupart des coachs avec lesquels il a travaillé dans le passé ont un anglais très limité."
Une capacité d’adaptation hors-norme, un Français à l’étranger
Parti à l’assaut du Championship, plutôt que de chercher un rebond en France, Régis Le Bris a relevé un beau défi personnel. Mais en étant élu entraîneur du mois d’août dès le début de saison, le Breton a déjà acquis ses lettres de noblesse outre-Manche. En montrant qu’il était capable d’entraîner en Angleterre, Régis Le Bris s’est aussi offert une vraie crédibilité auprès des dirigeants anglais ce qui lui permettra, quand son aventure chez les Black Cats s’achèvera, de plus facilement trouver un nouveau poste au Royaume-Uni. En attendant, et c’est peut-être là l’une de ses réussites, le technicien montre que les tacticiens tricolores n’ont rien à envier aux autres.
Habituée à être un grand pourvoyeur de sélectionneurs à l’étranger - on peut penser à Willy Sagnol (Géorgie), Sébastien Desabre (RD Congo) ou encore le spécialiste Hervé Renard - la France peine à exporter ses entraîneurs dans les clubs. C’est simple, il n’y a aucun coach français en Bundesliga, en Liga, en Serie A. Et même dans la très cosmopolite Premier League (où on compte 17 entraîneurs non-Anglais) il n’y a pas de Français. Idem dans les deuxièmes divisions des grands championnats européens où Régis Le Bris fait clairement figure d’exception.

Mieux, hormis peut-être Laurent Blanc en Arabie saoudite (2,50 points de moyenne par match), aucun technicien ne fait mieux que Régis Le Bris en-dehors de la France (2,11 pts/match en championnat). Pas gêné par la langue de Shakespeare, il s’acclimate bien à l’Angleterre (les mauvaises langues diront que le temps breton n’est pas si différent que celui de Sunderland).
"Je pense que la chose qu’il a vraiment réussie, c’est montrer énormément de curiosité envers le club, envers les gens du club, envers les supporteurs, envers l’histoire du club", le félicite ensuite Kyril Louis-Dreyfus. "Il a très très vite appris et compris de quel type de club il s'agit, comment y travailler et quels sont les gens autour. Il a vraiment, avec une vitesse très impressionnante, su comprendre le contexte dans lequel il est arrivé et comment le gérer."
Et le président de Sunderland d’enchaîner: "Quatre à six semaines après son arrivée, il avait déjà une idée très claire de ce qu’il avait à faire et du contexte du club. De mon point de vue, c’est l’une des choses qui lui a permis de faire ce bon début de championnat. C’est lié à sa capacité et à sa curiosité pour appréhender à une telle vitesse un championnat, une équipe, des joueurs et un staff complètement nouveaux."
Un perfectionniste toujours à la recherche du progrès
Mais pour expliquer ses excellents débuts à la tête des Black Cats, il faut aussi comprendre la méthodologie de Régis Le Bris au quotidien. L’entraîneur de Sunderland est déjà parvenu à fédérer autour de lui et n’a pas eu besoin de multiplier les sessions pour faire comprendre à son effectif ce qu’il attendait de chacun. Un groupe jeune auquel il a su insuffler un nouvel élan et pour les joueurs, le jeu semble plus clair et les consignes plus intelligibles. Preuve en est la volonté de certains profils, très courtisés pendant le mercato, de prolonger leur passage au club. Bourreau de travail et curieux de tout ce qui touche au football, le coach multiplie les sources d’inspiration et cherche sans cesse à améliorer ses compétences. Et c’est là que réside, probablement, sa principale qualité.
"Sa plus grande qualité? C’est très difficile à dire mais je pense que si je parle purement de l’aspect mental… Une chose qui nous passionne tous au sein du club, avant même l’arrivée de Régis Le Bris, qu’on a retrouvée chez lui et qui nous a vraiment incités à le prendre, c’est qu’il est relentless (sic) comme on dit en anglais. C’est l’idée de ne jamais arrêter et de toujours essayer de progresser", abonde volontiers le patron de Sunderland, Kyril Louis-Dreyfus, pour RMC Sport. "Et chez lui, ce qu’on avait vu, c’est qu’il voit le développement d’une équipe et d’un club comme quelque chose qui ne s’arrête jamais. Il est tout le temps en train de voir comment améliorer les choses à tous les niveaux et à tous les aspects. C’est aussi, en termes de mentalité, la chose qu’on essayait de faire comme club. Une chose qui nous connecte vraiment, c’est cette passion pour le progrès, d’essayer de s’améliorer comme club aussi bien individuellement que collectivement."
Avant de préciser: "Si je donne par exemple une qualité qui est vraiment marquante chez lui, c’est sa méthodologie de travail et notamment sur le développement d’une équipe collectivement et individuellement. Je pense qu’il y a beaucoup de coachs aujourd’hui qui aiment faire beaucoup de choses différentes dans clubs. On a des coachs qui veulent faire du recrutement, d’autres qui veulent faire d’autres choses. Mais lui, je pense que là où il se sent le plus à l’aise, c’est sur un terrain en coachant l’équipe. Nous on pense que c’est là où il a vraiment des qualités extraordinaires. Avec le niveau de détail dans ses analyses et dans son travail au quotidien avec les joueurs."

La promotion en Premier League, un retour en France? Trop tôt pour se projeter
Forcément, avec le beau début de saison des Black Cats en Championship, l’espoir de retrouver la Premier League pourrait enflammer certains fans anglais. Mais pas question de griller les étapes pour Régis Le Bris et Sunderland. Là encore, tout le monde au sein du club semble en totale adéquation: c’est trop tôt pour rêver de la promotion. Outre le faible écart de points entre le leader et le 17e du classement (Sunderland compte seulement neuf longueurs d’avance sur Stoke City), la saison 2024-2025 est très loin d’être finie en Championship. Avec 24 équipes et 46 journées avant les play-offs, cela signifie qu’il reste encore au moins 37 matchs à jouer… soit plus qu’une saison entière en Ligue 1.
"C’est vraiment trop tôt pour dire où l’équipe sera à la fin de la saison. Sur les saisons de Championship auxquelles j’ai participé, j’ai vu une équipe dernière en novembre être promue et j’ai vue des équipes qui étaient première ou deuxième en février terminer à la dix-septième place. C’est un championnat qui est tellement long que c’est difficile à dire", prévient finalement Kyril Louis-Dreyfus.
Et sans surprise, Régis Le Bris se retrouve parfaitement dans cette volonté de ne pas s’emballer. Le Breton n’est pas forcément homme à se projeter trop loin dans le futur. Pragmatique et terre à terre, il ne pense qu’à Sunderland et compte bien vivre cette expérience à 300%. Pas question pour lui de se mettre à rêver d’entraîner un jour des clubs comme Barcelone, le PSG ou encore Manchester United. Sa priorité ce sont les Black Cats et qui sait, peut-être les ramener en Premier League à court ou moyen terme. Si le club se développe et qu’il s’y sent toujours bien, aucune raison de s’en aller.
Un homme de défi, c’est un compétiteur qui veut relever les défis, il aime résoudre des équations tant qu’on lui donne les moyens d’y parvenir. Sa vraie ambition au fond de lui, c’est de maximiser son potentiel et d’entraîner en Ligue des champions. Et pourquoi pas à Sunderland si le club continue de grandir avec lui. Histoire, après l'Angleterre, de mettre l'Europe à ses pieds.