"Paris, c'est une pression particulière": entre longévité record et enquête, la semaine particulière de Nasser Al-Khelaïfi

Il est le dix-septième président du PSG et, ce mardi, il devient celui qui a occupé le poste le plus longtemps. Nommé le 4 novembre 2011, au moment de la prise du contrôle du club de la capitale par le Qatar, Nasser Al-Khelaïfi a donné à sa fonction une continuité inégalée depuis Francis Borelli dans les années 1980, alors que neuf présidents s’étaient succédé avant lui en une décennie.
Francis Graille était l’un d'eux, entre 2003 et 2005. "C'est un étonnement qu'un président reste aussi longtemps. C'est bien, cela prouve que les temps ont changé et qu'avec de la stabilité, on peut construire au PSG. C'est une complicité qui a été établie avec le propriétaire au Qatar, et cela lui permet de travailler sereinement, de résister à la pression. Parce que Paris, c'est une pression particulière. C'est un autre temps qu’à mon époque, il y a d'autres moyens, mais qui sont bien utilisés".
Depuis le début de sa présidence, le PSG est le troisième club qui a le plus dépensé en transferts avec 2,2 milliards d’euros d’achats de joueurs et une balance négative d’1,3 milliard d’euros sur la période, selon les estimations de Transfermarkt, derrière Chelsea et Manchester City. Mais si ces deux clubs ont entre temps remporté la Ligue des champions, Paris attend encore la sienne malgré les 34 titres nationaux remportés en 14 ans.
"Il y a eu des échecs, mais ce n’est pas la peine de revenir dessus. La longévité de Nasser est une belle preuve de résilience très bénéfique pour le club puisqu’il y a eu des périodes difficiles, il a été critiqué, il a fallu faire preuve de ténacité", juge Pierre Blayau qui a occupé la fonction en 2005-2006. "Le parcours national du PSG est pratiquement sans faute, à partir du moment où il y a des succès évidents, il n’y a pas de raison de ne de ne pas durer. Le dernier huitième de finale de Ligue des champions contre Liverpool est sa plus belle réussite, on est sur une voie très positive, c'est l'aboutissement d'années de travail. La politique sportive menée ces deux dernières années est la bonne".
"Il a su faire rayonner le PSG à travers le monde"
Les prédécesseurs de Nasser Al-Khelaïfi qui ont répondu à nos sollicitations saluent le bilan de l’actuel président parisien. Tous fréquentent encore régulièrement le Parc des Princes, sans avoir pour autant de proximité avec le dirigeant qatari. Charles Villeneuve met lui en avant le développement du club à l’international: "Il a fait d'abord du PSG un club où les meilleurs joueurs du monde sont venus, puis a donné au club une dimension universelle. Il y a quelques semaines, j’étais au Mexique et le match contre Lyon était diffusé à la télé dans ma chambre d’hôtel. C’est un club connu dans le monde entier, d’autant plus après la qualification contre Liverpool. Cela, c’est quand même le travail de Nasser, sa patience, malgré toutes les embûches, tous ceux qui se sont foutus de sa gueule. Il a bâti un centre d'entraînement splendide. Aujourd'hui, le PSG n'envie rien à un club anglais. Il a su faire rayonner le PSG à travers le monde, tout en restant fidèle à ses propres valeurs. C’est une force tranquille, Nasser".
Tous s’accordent sur le fait que la question du stade est son principal défi à venir. La scission avec la mairie de Paris, qui refuse une vente du Parc des Princes, pourrait pousser le PSG à quitter la capitale pour construire une nouvelle enceinte ailleurs en Île-de-France, avec plusieurs projets à l’étude.
"Si le PSG quitte le Parc, je le regretterai beaucoup mais je ne le reprocherai pas à Nasser", avance Pierre Blayau.
"Je vois mal le PSG quitter le Parc qui est formidable et qui a un public extraordinairement diversifié, ça, c'est une force. J’espère qu’il trouvera une solution mais dans cette affaire, il n’est pas seul, il y a aussi la mairie de Paris", estime pour sa part Charles Villeneuve. "Je le regretterais vraiment mais s'il faut en passer par là... Je pense que Nasser prendra la bonne décision", relativise Francis Graille. "On lui fera toujours des reproches mais pendant quatorze ans, il a essayé de mener à bien un certain nombre de négociations pour faire grandir le Parc. On ne peut pas rester avec cette capacité à long terme, on voit bien que contrairement aux droits TV, les supporters sont une source de revenus pérenne".
L’ombre des enquêtes
Reste l’ombre au tableau des affaires judiciaires: Nasser Al-Khelaïfi a été mis en examen le 5 février dernier pour complicité d’abus de pouvoir, dans une enquête concernant le groupe Lagardère dont le fonds souverain du Qatar était actionnaire. Le président du PSG assure n’avoir "aucun lien" avec ce dossier. Des juges d'instruction parisiens se penchent par ailleurs sur des accusations d'enlèvement et de séquestration au Qatar dont dit avoir été victime le lobbyiste franco-algérien Tayeb Benabderrahmane. Le patron du PSG réfute les accusations dont il fait l’objet et a porté plainte.
Nasser Al-Khelaïfi sera également le sujet principal d’un reportage de Complément d’enquête diffusé ce jeudi sur France 2, intitulé Pouvoir, scandales et gros sous: les hors-jeux du PSG. Le communiqué de presse de France Télévisions donne quelques détails sur le contenu du magazine d’investigation: "Des conseillers de l’ombre et d'anciens collaborateurs ont accepté de raconter les méthodes parfois douteuses de celui que beaucoup considèrent comme le nouveau parrain du foot français", promet l’émission du service public. "Des enregistrements sonores inédits révèlent les intimidations subies par ceux qui osent s’opposer aux intérêts du club. Pour défendre sa réputation et celle du PSG, celui que l'on surnomme NAK flirterait parfois avec la ligne rouge, comme le révèlent en exclusivité d'anciens salariés d'une très discrète agence de communication basée en Tunisie. Diplomatie parallèle, règlements de compte et barbouzeries. Révélations sur les dribbles pas toujours gagnants du très secret président du PSG".
Un extrait diffusé en avant-première dans le journal de 20h de France 2 le mois dernier, avait déjà eu un effet retentissant dans le football français. Il dévoilait l’enregistrement d’une réunion entre présidents de Ligue 1 l’été dernier, en pleine négociation des droits TV, et illustrait la place prépondérante prise par le dirigeant parisien au sein de la Ligue de Football Professionnel.
"Ceux qui se plaignent de conflits d'intérêts, que Nasser aurait trop de pouvoir, doivent le dénoncer et le faire avec conviction. Mais une chose est de se plaindre, l'autre chose est de démontrer qu’on a raison", dit prudemment Pierre Blayau. "Pour être à son poste, il faut avoir l’échine souple, les reins solides, du caractère. On est exposé et il faut tenir le coup, c'est son cas".
Charles Villeneuve espère pour sa part que Nasser Al-Khelaïfi restera à son poste encore quelques années. "Il n’y a pas un homme qui connait mieux que lui toutes les dimensions de gérer le PSG, y compris dans ses aspects retors avec toutes les histoires qu’on peut lui faire, les combines qu’on dénonce… Je connais aussi l’ambiance qui règne autour d’une gestion d’un club comme ça. S’il a vraiment imposé le pouvoir du PSG sur la Ligue, c’est très bien parce que le succès du PSG valorise la Ligue 1".
Francis Graille, qui a également eu affaire à la justice en lien avec sa présidence au PSG et qui a occupé les mêmes fonctions à Lille et à Auxerre, estime pour sa part que "au PSG, vous êtes sollicités davantage, vous êtes décriés davantage, et on vous mettra au pilori plus facilement. Je souhaite à Nasser qu'il dure encore longtemps à ce poste, s'il en a envie et la force".