Coronavirus: "On fait un pari de lancer le championnat", estime un membre de la commission Covid

Membre de la commission de la Ligue de football professionnel (LFP), le médecin Emmanuel Orhant décrypte les raisons qui ont poussé au report d'OM-Saint-Etienne. Il revient également sur l’incertitude générale entourant la reprise de la Ligue 1 en raison de l'évolution des conditions sanitaires.
Pourquoi avoir décidé de reporter le match entre Marseille et Saint-Etienne (initialement prévu vendredi soir à 19 heures)?
"Le fait de reporter cette rencontre répond à quelque chose de très clair. La commission Covid a été sollicitée par la LFP pour justifier ou non d’une présence d’un virus circulant, dangereux au niveau du club et dangereux pour l’équipe adverse. On a eu des dossiers médicaux qui nous ont confirmé que quatre joueurs étaient atteints de la maladie. Et à partir du moment où on est à quatre joueurs, les spécialistes infectiologues estiment que l’on est sur un virus qu’on a du mal à tenir correctement. C’est le problème du virus circulant. La commission se doit d’interdire que le match se déroule. On était tous d’accord, c’était six sur six."
Est-ce que ce cas de figure est destiné à se répéter?
"Tout peut changer pour des raisons sanitaires. Les gens oublient qu’avec même un seul cas, tous les cas contacts doivent être mis en isolement pendant 14 jours. C’est par rapport à cela qu’on est arrivé, avec la LFP et la FFF, à se fier à des experts infectiologues qui ont dit qu’on pouvait proposer quelque chose et se référer à ce qui avait été fait il y a 10 ans pour la grippe H1N1. Par rapport à cela, on sait que l’évolution sanitaire n’est pas bonne. Aujourd’hui, il peut très bien y avoir des décisions gouvernementales qui font, qu’en effet, on pourra revenir en arrière en disant que ce ne sera plus quatre mais seulement un. Ou au contraire que, si les décisions sanitaires s’améliorent, ce sera sept, dix joueurs ou alors on isole seulement les personnes et pas plus. Seule l’évolution sanitaire nous le dira. Nous, nous serons à l’écoute et nous allons travailler en collaboration comme nous l’avons fait au début du Covid avec le Ministère pour essayer de trouver les bonnes solutions. On travaille avec des experts qui nous aident à réfléchir pour avoir quelque chose de cohérent vis-à-vis des demandes du gouvernement et des demandes de la LFP et des clubs."
Faut-il un principe d’unanimité au sein de cette commission ?
"C’est vraiment l’unanimité. On parle de médecine donc on parle de données objectives, on n’est pas en train d’évaluer les risques. On a un cahier des charges. Est-il rempli ou non ? Avons-nous tous les éléments ? Si on a tous les éléments, on peut prendre une décision mais sinon on demande un complément d’informations. Il n’y aura pas de cas compliqué puisqu’en fait, c’est noir ou blanc. Si on arrive à avoir tous les éléments démontrant que les quatre cas sont isolés, on ne se pose pas la question. Si on n’a pas quatre cas isolés et qu’on en a trois, c’est pareil on ne se pose pas la question, le match a lieu. On est sur des données objectives, à nous d’avoir tous les éléments qui nous permettent de répondre. Si on a tous les éléments, c’est noir ou blanc."
Que pensez-vous de la règle de l’UEFA qui dit que tant qu’il y a 13 joueurs disponibles dans l’effectif le match peut se jouer?
"C’est tout à fait possible mais si vous lisez bien le document d’une trentaine de pages, il est bien mentionné qu’il faut se fier aux obligations sanitaires du pays. Car malheureusement, les conditions sanitaires ne sont pas les mêmes en France, en Allemagne, en Slovénie, etc. Donc pour la Ligue des champions, des décisions sont prises et elles ne peuvent pas être appliquées sur le sol français. Les normes françaises étatiques sont au-dessus des normes de l’UEFA. Donc on devra toujours se fier à ce que dit l’Etat avant l’UEFA. Mais on pouvait très bien faire comme l’UEFA et faire en sorte que tout le monde puisse jouer et isoler toutes les personnes malades pour laisser jouer les autres. À partir du moment où une personne est malade, toutes les autres personnes à côté dans les vestiaires doivent être confinées 14 jours. Nous, nous sommes référés à des données importées par nos spécialistes infectiologues d’il y a dix ans pour que ça passe bien car il y a dix ans c’était passé auprès du gouvernement. Et les infectiologues disent qu’à partir du quatrième cas, cela veut dire, surtout si les joueurs sont beaucoup en contact, que le virus est circulant. Cela veut aussi dire qu’on a de grandes chances d'être à six, huit ou dix cas dans quelques jours. Donc on doit prendre une décision et de se dire : « Attention ! On est en train de mettre à mal tout le club ». Et là, je vous parle de santé car une personne malade atteinte du Covid doit repasser des examens et refaire un travail d’athlétisation parce qu’il a été arrêté. On n’est pas en train de parler du « On peut, on ne peut pas ». On parle de médecine, de santé. Il ne faut pas penser comme ça. L’UEFA prend des risques. On est dans des mesures de précautions mises en place par l’Etat et on ne peut pas faire n’importe quoi."
Allez-vous préconisez l’arrêt des entraînements dans les clubs où le virus est circulant, à l’image de l’OM?
"Ce n’est pas notre rôle. Par contre, il a été inscrit dans le protocole qu’à partir du moment où le virus était circulant, on ne peut plus s’entrainer collectivement sans avoir deux tests PCR et une surveillance médicale tous les jours. Le but, c’est de mettre tout le monde au travail en petits groupes donc maximum dix joueurs. En faisant cela, on peut se dire que l’on va limiter le nombre de personnes qui pourront être contaminées. Tout cela est mentionné dans le protocole et cela a été accepté par le gouvernement."
Êtes-vous confiant ou inquiet quant au bon déroulement de la Ligue 1 pour ce week-end et les prochaines semaines?
"Moi mon rôle, ce n’est pas d’imaginer, c’est d’écouter les experts. Donc ce sont eux qui peuvent nous dire s’ils peuvent être confiants ou pas sur l’évolution sanitaire qu’il y a en France. Depuis le mois de mars, notre rôle est de réfléchir à tout. On ne peut pas travailler avec des suppositions et en plus je suis un très mauvais pronostiqueur donc cela fait très longtemps que je ne m’écoute plus. Mon but c’est de travailler avec les spécialistes, les épidémiologistes de Santé Public France qui doivent nous orienter par rapport à cela. Et moi, mon rôle, avec le médecin fédéral national et le groupe Covid, c’est de protéger les joueurs. »
Après OM – Saint-Etienne, le match Nîmes-Brest pourrait lui aussi être reporté. Est-ce que le signe que le Championnat reprend trop tôt?
"De ce que j’ai lu dans la presse, en Espagne ou en Italie, les clubs aussi ont du mal à reprendre car ils ont beaucoup de cas donc ce n’est pas comme cela qu’il faut penser. Il faut plutôt se poser la question de comment les joueurs peuvent avoir conscience du problème. Et qu’ils prennent soin de leur santé. Donc il faudra peut-être bannir la façon dont on vivait il y a quelques semaines. Les clubs et la LFP bossent vraiment très bien et les joueurs commencent à prendre conscience de leurs responsabilités. J’ai plutôt envie de dire qu’il y a un vrai travail à faire de la part de tout le monde et qu’il faut suivre les données épidémiologiques."
En Ligue des champions, les joueurs sont confinés. Pourrait-on aussi préconiser une énorme mise au vert pour ce début de saison?
"On pourrait faire comme l’ont fait les autres pays et l’UEFA : les mettre sous une bulle. Mais malheureusement, ce vendredi, notre championnat recommence et on ne sait pas pour combien de temps le virus sera encore présent. Si c’est toute la saison, je ne pense pas une seule seconde que psychologiquement on pourra mettre un groupe en mise au vert toute la saison. Il y aura des réflexions mais je pense plutôt que le Français peut être intelligent et qu’il peut faire attention à tout cela plutôt que d’être dans des restrictions totales ou la restriction des libertés."
Les joueurs sont testés de 48 à 72 heures avant les matches. N’avez-vous pas peur que les tests positifs qui interviennent trop tard bouleversent complètement le championnat avec des clubs qui pourraient plusieurs journées d’avance sur les autres ?
"De toute façon on doit réfléchir par rapport à cela. Et l’UEFA sera dans la même problématique sur certains matchs de Coupes d’Europe quand ils seront dans certains pays. Forcément, il y aura des clubs qui seront en retard par rapport à d’autres. On le sait, on fait un pari de lancer le championnat. On travaille dans la difficulté donc on cherche des solutions et il n’y a pas de bonnes solutions actuellement car le virus est circulant. On répond au coup par coup. On est obligé de faire par rapport à des faits de jeu, comme dans un match. A la 70e, à la 80e, il y a des choses qui font changer le cours du match. Nous, c’est pareil. On pourra évoluer ou modifier les règles. De toute façon celui qui est prétentieux et qui pense avoir la bonne solution, ça lui retombera dessus. Il faut être très humble en médecine, c’est très compliqué. Là, on ne connaît rien de ce virus, on ne connait pas l’évolution donc il faut prendre les bonnes décisions au coup par coup."
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