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Coupe du monde 2022: manifestations, tensions diplomatiques... Un Mondial très politique pour l'Iran

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L’équipe d’Iran va débuter ce lundi sa Coupe du monde 2022 contre l'Angleterre (14h) dans un contexte géopolitique particulièrement tendu. Les coéquipiers de Sardar Azmoun sont au Qatar à l’heure où des manifestations violemment réprimées embrasent leur pays. Avec la perspective d’affronter à nouveau les États-Unis, sur fond de tensions diplomatiques entre Téhéran et Washington.

Le football peut-il encore être considéré comme un jeu dans ces conditions? L’équipe d’Iran est au Qatar afin de prouver sa valeur balle au pied en cette fin d’année. Mais le ballon rond va sans doute être relégué au second plan durant sa Coupe du monde 2022, la sixième de son histoire (la troisième de suite). Placés dans le groupe B, les coéquipiers de Mehdi Taremi vont débuter leur tournoi face à l’Angleterre, ce lundi au Khalifa Stadium de Doha (14h).

Et ils ne pourront pas s’affranchir d’un contexte géopolitique particulièrement tendu. Depuis plus de deux mois, des milliers de personnes se révoltent dans leur pays contre le régime en place, incarné par le président Ebrahim Raïssi et le général Kioumars Heydari, commandant des forces terrestres de l’armée. Sous la supervision de l’ayatollah Ali Khamenei.

La mort de Masha Amini

La fronde a débuté le 16 septembre avec la mort de Masha Amini, une jeune femme d’origine kurde (22 ans), arrêtée trois jours plus tôt à Téhéran par la police des mœurs pour non-respect du code vestimentaire imposé par la République islamique d’Iran. Cette dernière a été accusée de porter son voile "de manière inappropriée".

Depuis 1979, les femmes sont obligées de mettre le hijab en Iran, un foulard qui couvre les cheveux et laisse le visage apparent. Une police dédiée veille au respect de cette règle, avec des méthodes musclées, une grande impunité et un jugement assez aléatoire. Celles qui sont considérées comme contrevenantes reçoivent des amendes, mais elles risquent aussi des peines de prison ou même des coups de fouet. Un traitement devenu insupportable pour une partie de la population, qui exprime actuellement son indignation dans la rue, malgré la répression sévère des forces de l’ordre.

Les joueurs iraniens mobilisés

En parallèle de ces mouvements de mécontentement, une mobilisation a eu lieu ces derniers jours afin de commémorer le "novembre sanglant" de 2019, lors duquel le régime a réprimé dans le sang des manifestations contre la hausse des prix du carburant. De quoi embraser un peu plus la situation en Asie de l’Ouest. Plusieurs centaines de manifestants auraient été tués par la répression ces dernières semaines. Certains ont été condamnés à mort par la justice pour leur implication dans les débordements et des milliers de personnes ont été arrêtées.

Depuis le début des protestations, les footballeurs iraniens affichent leur soutien à leur peuple, malgré les menaces de sanctions des autorités. Entre bracelets noirs, prises de position ou boycott du protocole. Fin septembre, les joueurs de la "Team Melli" ont porté une parka noire durant leur hymne national, lors d’un amical en Autriche contre le Sénégal (1-1). En cachant leurs maillots.

Équipe d'Iran
Équipe d'Iran © Icon

"Tout le monde a le droit de s’exprimer"

Plusieurs d’entre eux ont même pris la parole publiquement, à l’image de Sardar Azmoun, l’attaquant de Leverkusen. "La punition ultime est d'être expulsé de l'équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d'une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n'ai pas peur d'être évincé. Honte à vous d'avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d'Iran. Si ce sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle", a écrit le buteur de 27 ans, qui n’a plus joué depuis un mois et demi en raison d’un souci au mollet, dans une story Instagram finalement supprimée.

Le sélectionneur Carlos Queiroz, revenu sur le banc de l’Iran cet été, a été interrogé à ce sujet avant le début du Mondial. "Tout le monde a le droit de s’exprimer, a répondu le technicien portugais, qui a sélectionné vingt-cinq joueurs (dont quatre gardiens). Certains mettent le genou à terre, certaines personnes sont d'accord, d'autres ne sont pas d'accord avec cela. Et l’Iran c'est exactement pareil. Il est hors de question de penser que l'équipe nationale iranienne souffre de tels problèmes."

Les retrouvailles avec les États-Unis

Considérée comme la meilleure nation d’Asie, l’Iran, qui occupe la 20e place du classement Fifa (devant la Serbie et le Maroc), a l’ambition d’accéder pour la première fois aux 8es de finale de la Coupe du monde. Il faudra pour cela se défaire également du pays de Galles de Gareth Bale (le 25 novembre), avant de conclure la phase de poules par une affiche très attendue face aux États-Unis (le 29 novembre). Sur fond de tensions entre deux pays dont les relations diplomatiques sont rompues depuis près de quarante ans.

La chute du dernier chah d’Iran (Mohammad Reza Pahlavi), en février 1979, a marqué le début d’une sorte de guerre froide entre Téhéran et Washington. Avec des périodes plus ou moins sombres, mais aucun conflit armé frontal. D’un côté à l’autre du globe, les critiques, les accusations et les menaces se succèdent, entre deux rares moments d’accalmie. Autant dire que le match du 29 novembre, prévu au stade Al-Thumama de Doha (20h), revêt une connotation hautement symbolique.

Le souvenir heureux de 1998

Ce sera la deuxième fois qu’Iraniens et Américains s'affronteront en Coupe du monde. La première affiche a eu lieu le 21 juin 1998 à Lyon. Et c’est l’Iran qui l’avait emporté grâce à des buts d’Hamidreza Estili et Mehdi Mahdavikia (2-1). Un succès célébré dans une liesse indescriptible par les supporters locaux. Malgré la pression écrasante, le match s’était déroulé dans une ambiance cordiale sur le terrain. Avant la rencontre, les joueurs iraniens avaient remis des bouquets de fleurs blanches à leurs homologues américains. Avant de prendre la pose à leurs côtés, bras dessus, bras dessous. La photo avait fait le tour du monde à l'époque, portant l'espoir que la situation finisse par s'apaiser. Vingt-quatre ans plus tard, c'est loin d'être le cas.

https://twitter.com/AlexJaquin Alexandre Jaquin Journaliste RMC Sport