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Le journal de bord de RMC Sport au Mondial: "J’ai été touché par les joueurs iraniens"

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Chaque jour durant la Coupe du monde 2022 au Qatar, l’un des reporters RMC Sport raconte les coulisses du tournoi et son quotidien à Doha. Ce lundi, Aurélien Tiercin revient sur la défaite de l’Iran face à l’Angleterre (6-2). Dans un contexte géopolitique tendu.

Cela restera le premier match de Coupe du monde de ma carrière, commenté au stade, en vrai, pas au fond d’une cabine surchauffée par les écrans et les ordinateurs à Paris. Et depuis des semaines, il était évident que le football ne serait pas au centre de cet Angleterre-Iran. Il ne l’a pas vraiment été puisque les Anglais ont écrasé les Iraniens (6-2), comme prévu, même si l’ampleur du score est inattendue. Ce match était plutôt l’occasion de faire le point sur notre société du XXIe siècle et sur notre humanité. Sur l’humanité des onze titulaires iraniens sur lesquels tous les projecteurs du monde étaient braqués avant la partie. Pour ma part, j’ai dû travailler les statistiques et les carrières de chaque joueur, notamment ceux de la Team Melli, que je ne connais pas sur le bout des doigts, ayant arrêté de jouer frénétiquement à Football Manager depuis un moment déjà.

Outre les Sardar Azmoun ou Mehdi Taremi, stars dans des équipes européennes, il faut aussi apprendre à connaître les remplaçants de Kayserispor en Turquie ou les nombreux Iraniens évoluant à domicile, chez les deux géants de Téhéran, Persépolis et Esteghlal. A cela s’est ajouté le stress à l’approche des hymnes. Quelle chanson les joueurs vont entonner? "Sorud-é djomhuri-yé eslami", l’hymne officiel imposé par le pouvoir en 1990? Ou "Barayé", l’hymne des résistants à la répression qui sévit en Iran? Et comment vont réagir les supporters venus au Qatar, ce pays ami du régime iranien qui pourrait aussi réprimander les manifestants potentiels? Bref, un premier de match de Coupe du monde avec ces questions géopolitiques faisait monter la pression. Mais grâce à Martin Bourdin, reporter RMC, qui était avec une trentaine de supporters iraniens venus lui glisser quelques clés de compréhension, et un peu grâce à la barre de recherche de google, j’ai pu essayer de faire illusion.

Les larmes des femmes iraniennes

Les onze titulaires choisis par Carlos Queiroz, le sélectionneur de l’Iran, qui avait officiellement laissé le choix à ses joueurs, ont pris le parti de ne pas chanter. Je ne pensais pas être touché par cela, étant pris dans le stress de vérifier le matériel pour être en direct sur RMC, par les stats à ne pas oublier. Mais les applaudissements nourris des supporters anglais et les cris des Iraniens dans les tribunes m’ont convaincu d’avoir quelques frissons. Les larmes de femmes iraniennes m’ont aussi touché. En zone mixte, le lieu où les journalistes peuvent rencontrer les joueurs, une collègue d’une radio allemande était encore bouleversée d’avoir parlé à des femmes d’Iran qui assistait pour la première fois de leur vie à un match de football, puisque chez elles, c’est mission quasi impossible. J’ai été touché par les joueurs iraniens, tout en rouge pour l’occasion, qui ont dû se faire violence pour ne pas chanter à tue-tête leur hymne, eux qui appartiennent à une nation aussi patriotique. Ils sont fiers de représenter leur pays, mais le moment n’était pas à la fête. Et tout le stade a pu sentir que l’enjeu du match était déjà passé.

Les Iraniens avaient donné le principal, un signe. Il peut nous paraître minime, mais pour les milliers de jeunes perses emprisonnés dans leur pays ou tués pour avoir protester contre la mort de Mahsa Amini, c’est importantissime. Chaque joueur, et plus encore les sans-grades de l’équipe, ont pris un risque majeur. Le pouvoir de Téhéran pourrait les menacer, eux et leur famille, leur confisquer leurs papiers, comme ce qui est arrivé à la légende Ali Daei pour avoir pris position. Après le match, seul Amir Abedzadeh, troisième gardien évoluant en D2 espagnole à Ponferradina s’est arrêté parler aux journalistes occidentaux. Alors, cette décision de ne pas chanter? "Ce n’est pas le moment d’en parler…". Abedzadeh a évoqué le sportif, mimant de croire encore à une qualification historique en huitième de finale de Coupe du monde. Mais le moral n’y est pas vraiment. Sur le chemin du retour à l’hôtel, les supporters vert, blanc et rouge de l’Iran croisés dans le métro flambant neuf de Doha, ont chanté parfois malgré la déroute sportive et ce 2-6 encaissé. L’important était ailleurs, et pour une fois, c’était de voir les joueurs rester dans le silence.

Aurélien Tiercin