Mondial 2022 - Thiriez : "Novembre et décembre ? La pire solution"

Frédéric Thiriez, que pensez-vous de ces recommandations du groupe de travail de la FIFA ?
C’est la pire solution pour les championnats nationaux européens, que j’ai pour mission de défendre et de promouvoir. Imaginez que pour les championnats anglais, français, allemands, italiens et espagnols, on doit s’arrêter en plein milieu du championnat, début novembre, et on ne va reprendre que pratiquement deux mois après. Pendant ce temps-là, que vont faire les joueurs ? Ils ne vont pas jouer, sauf ceux qui seront à la Coupe du monde. Les clubs seront privés de recettes. Le public va décrocher du feuilleton du championnat, les télévisions comme les radios vont s’en désintéresser, voire même nous demander des dommages et intérêts, donc c’est une catastrophe.
On vous sent abasourdi ?
C’est d’autant plus incompréhensible que nous, les 30 ligues européennes que je représente, plus l’association des clubs européens, avions fait une étude très poussée démontrant à la FIFA qu’il était parfaitement possible de jouer la Coupe du monde au Qatar au mois de mai, dans des conditions de températures tout à fait acceptables. Notre dossier a été rejeté d’un revers de main, je ne comprends toujours pas pourquoi. La décision sera prise le 19 mars (à l’occasion du comité exécutif de la FIFA, ndlr). J’attends et après nous verrons bien.
Ces dates du 26 novembre au 23 décembre sont-elles vraiment mauvaises ?
Déjà ce n’est malheureusement pas le 26, car il faut d’abord la mise à disposition des joueurs, qui aurait lieu le 19 novembre. Ça veut dire qu’on devra arrêter tous nos championnats européens vers la 15e journée. C’est absolument impossible. Les Anglais, les Français, les Italiens, les Allemands, les Espagnols et l’ensemble des clubs européens sont formellement opposés à cette solution. Ça démontre bien qu’il y a un problème de fonctionnement, de gouvernance, dans la planète du football international. La FIFA, que je respecte, prend des décisions mais tient compte, apparemment, uniquement de ses intérêts en tant qu’organisatrice de la compétition. L’UEFA, au niveau européen, pense surtout à défendre ses intérêts, c’est-à-dire la Ligue des champions et l’Euro, et personne ne défend les championnats nationaux qui font pourtant vivre le football au quotidien dans les 53 pays d’Europe. Ça ne va pas. Il est temps que le football professionnel soit enfin représenté dans les instances dirigeantes du football international, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et que je réclame officiellement grâce à vous.
« Peut-être y a-t-il des raisons cachées… »
Certains joueurs n’auront qu’une semaine de préparation avant la Coupe du monde, donc cette solution ne semble pas idéale non plus pour les sélections…
C’est une mauvaise solution à tous les égards, pour les joueurs, pour les coaches auxquels je pense. J’aimerais entendre la voix des coaches. Comment vont-ils gérer cette interruption de la compétition pendant deux mois ? C’est absolument ingérable pour un entraîneur de club. C’est une très mauvaise solution. Nous en avions une autre au niveau européen, avec l’ensemble des clubs et des ligues, qui étaient pour le mois de mai, et nous ne comprenons toujours pas pourquoi cette solution a été écartée par la FIFA. Peut-être y a-t-il des raisons cachées… (il semblerait que ce soit pour respecter le Ramadan 2022, qui se déroulera à cheval sur les mois d’avril et mai, ndlr).
Pourquoi la FIFA a-t-elle rejeté si fermement cette proposition de Coupe du monde au mois de mai ?
Vous savez, j’aime les décisions rationnelles, réfléchies et documentées. La FIFA a fait le choix du Qatar pour la Coupe du monde 2022 et ce choix, je l’approuve. Je pense qu’il est très bon pour le football, et la FIFA a raison de faire jouer les Coupes du monde sur des continents qui ne l’avaient pas eue. Je pense à l’Afrique du Sud (en 2010, ndlr), qui a été une réussite formidable. Le Qatar est une très bonne décision, mais je vous rappelle tout de même qu’il avait été désigné pour jouer la Coupe du monde en été. Maintenant, on vient nous dire que l’été il fait chaud, mais ça on le savait déjà en 2010. Nous avons beaucoup travaillé et proposé une solution en mai, nous maintenons qu’elle est la meilleure.
« Je ne désespère pas que le bon sens finisse par l’emporter »
Si cette Coupe du monde est maintenue en novembre et décembre, comment allez-vous aménager la Ligue 1 ?
On aura un championnat qui ne ressemblera plus à rien. Le public ne s’y retrouvera pas, les joueurs ne sauront plus où ils sont, les entraîneurs ne sauront plus comment gérer leurs groupes, les télévisions et les radios nous demanderont des comptes, donc ce sera absolument ingérable. Il n’est pas trop tard, j’ai toujours eu confiance en les hommes, pour revenir à des choses un peu plus raisonnables.
Pensez-vous pouvoir vous faire entendre lors de ce comité exécutif de la FIFA, le 19 mars ?
Malheureusement, le football professionnel n’est pas représenté au comité exécutif de la FIFA, pas plus qu’à celui de l’UEFA. Donc ce débat se passera, si j’ose dire, sans nous, ce qui est déjà en soi un problème. Je lance un appel pour que la FIFA et l’UEFA réfléchissent à leurs propres structures pour l’avenir.
De quels moyens de pression disposez-vous ?
Ne parlons pas pour l’instant de pression mais plutôt de raison, de discussion et de dialogue. Je suis un homme de dialogue. Je respecte beaucoup la FIFA et l’UEFA et je pense que le président de la commission qui a présidé ce matin est un homme extrêmement raisonnable. Jérôme Valcke (le secrétaire général de la FIFA, ndlr) est un homme extrêmement intelligent. Je ne désespère pas que le bon sens finisse par l’emporter. En tout cas, je ferai tout ce qu’il faut pour. A ce stade, je ne veux pas menacer. La décision n’est pas prise, elle le sera le 19 mars. Nous verrons après ce qu’il convient de faire mais croyez-moi, les ligues européennes, qui fournissent 75% des joueurs qui disputent la Coupe du monde, estiment que leur voix doit être entendue. Je crois que ce que je dis est assez clair.
Piat : « Avril et mai ? Pendant le ramadan, ce n’était pas possible »
Philippe Piat, président de la FIFPro (« Fédération Internationale des Associations de Footballeurs Professionnels »), réagit aux recommandations de la Task force de la FIFA concernant une Coupe du monde 2022 au Qatar organisée entre le 26 novembre et le 23 décembre. Selon lui, la proposition des ligues et clubs européens d’un Mondial au mois de mai était inenvisageable pour des raisons religieuses. « La période novembre-décembre était pressentie par la FIFA, une autre en janvier-février qui était un peu difficile à mettre en place compte-tenu des JO d’hiver et au dernier moment il y a eu une proposition agressive, assez ferme de l’Europe, voulant mettre les matchs au mois d’avril et mai 2022. Ça n’a pas été possible parce que l’un parce que l’un des arguments de la FIFA était que dans cette période-là il y a le ramadan, et organiser la Coupe du monde dans un pays arabe pendant le ramadan, ce n’était pas possible », explique-t-il.