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Euro 2021: pourquoi les tirs au but ne sont pas une injuste loterie

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Alors que l'Italie s'est qualifiée mardi soir pour la finale de l'Euro 2021 en battant l'Espagne aux tirs au but, l'ancien défenseur de la Roja Gerard Piqué a pointé l'injustice d'un procédé soi-disant hasardeux pour départager deux équipes. Mais cette critique, récurrente, est-elle fondée?

La France éliminée aux tirs au but par la Suisse, elle-même éliminée aux tirs au but par l'Espagne, elle-même éliminée aux tirs au but par l'Italie... Pour la troisième fois de l'Euro 2021, ni le temps réglementaire ni la prolongation n'ont suffi mardi soir à départager deux formations, conduisant à une tant redoutée séance de frappes à 11 mètres. Et pour la troisième fois de l'Euro 2021, ce procédé a été pointé du doigt.

Après le dernier tir marqué par Jorginho et la qualification italienne (1-1, 4-2 tab), c'est l'ancien international espagnol Gerard Piqué qui a dégaîné sur les réseaux sociaux, en s'en prenant à ces "cruels" tirs au but. "Ce n'est pas un hasard si dans quatre séances disputées lors de l’Euro ou en Copa América, l'équipe qui a tiré en premier a gagné, a-t-il relevé sur Twitter. Les statistiques disent que le premier a plus chances de gagner et dans un tournoi comme celui-ci, il ne semble pas juste qu'un match nul vous fasse commencer avec un désavantage..." Une critique récurrente, parmi d'autres. Mais ces idées reçues sur les tirs au but sont-elles fondées?

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Les tirs au but sont-ils une loterie? Peut-être un peu, mais mieux vaut éviter de le penser

"Les tirs au but, c'est la loterie": juste après la défaite de la France face à la Suisse la semaine passée, Raphaël Varane avait pointé le soi-disant hasard qui régirait une séance. D'autres, avant lui, ont parlé de "lancer de dés". Une remarque légitime, dans la mesure où l'équipe la plus forte dans le jeu, celle présentant sur le papier le meilleur effectif, n'est pas toujours celle qui s'impose. Mais mieux vaut s'enlever cette idée de la tête.

Geir Jordet, un universitaire norvégien qui s'est spécialisé dans l'étude des tirs au but, a relayé ces derniers jours les résultats de nombreuses années de recherche. A partir d'entretiens avec des joueurs ayant participé à des tirs au but, il a constaté que ceux estimant que la séance était une loterie avaient plus de chances de se manquer. Au contraire, plus un tireur aura le sentiment d’avoir son destin en main, d’avoir le contrôle, plus il sera en réussite.

Là où Piqué a raison, c'est sur l'importance de tirer en premier... et donc par extension de remporter le pile ou face. Selon une étude de l'économiste espagnol Ignacio Palacios-Huerta, un autre spécialiste du sujet, l'équipe qui tente sa chance en premier aurait environ 60% de chances de s'imposer. L'exemple du cinquième tir au but est le plus parlant: dans ce cas de figure, la même étude montrait que la première équipe le marquait dans 76,2% des cas, et que si elle marquait, alors le pourcentage de réussite pour la seconde - dos au mur - chutait... à 62,5. Mais ici, évidemment, on rejoint vite l'aspect psychologique.

Les tirs au but sont-ils une guerre psychologique? Assurément

Le mental, c'est sans doute le facteur le plus important quand vient l'heure de se présenter face au gardien adverse, avec la pression de tout un stade, voire tout un pays sur les épaules. Geir Jordet a souligné plusieurs chiffres montrant que cet aspect psychologique est déterminant.

Sachez par exemple que plus on avance dans la séance, moins le taux de réussite est élevé, car la pression monte. Pour un premier tir au but transformé dans environ 85% des cas, on descend à 75% pour le quatrième.

L'enjeu du tir potentiellement décisif fait aussi pencher la balance: un tireur qui a la victoire au bout du pied marque dans 92% des cas, alors qu'un tireur qui doit absolument marquer pour éviter la défaite (style Mbappé face à la Suisse) n'y parvient que dans 62% des cas. Mieux vaut une pression positive que négative.

En plus de ça, le passé joue son rôle. Dans le cas précis des équipes nationales, un joueur représentant un pays qui a gagné ses deux dernières séances marque en moyenne dans 89% des cas. A l'inverse, un joueur représentant un pays qui reste sur deux défaites aux tirs au but marque dans 57% des cas. Bon, ça ne s'est pas spécialement vu dans cet Euro 2021, puisque la Suisse et l'Espagne n'ont pas su enchaîner après leur première séance victorieuse.

Stress toujours, les joueurs qui se précipitent pour placer leur ballon, puis frapper dès le coup de sifflet de l'arbitre, sans doute pour en finir au plus vite, ont un pourcentage de réussite plus faible. La dernière séance des Bleus en est un bel exemple.

Sinon, on note aussi que les jeunes joueurs (moins de 23 ans) ont un pourcentage de réussite supérieur: ces derniers sont moins expérimentés, mais sont a priori moins sensibles aux enjeux, et donc à la pression environnante.

Les tirs au but sont-ils un exercice technique? Oui, aussi

Dans une séance, il y a donc le rôle de la tête, mais aussi celui des jambes. Toujours d'après les statistiques récoltées par Geir Jordet, on observe que les attaquants - joueurs habitués à frapper au but - ont davantage de réussite à 11 mètres que les milieux, et surtout que les défenseurs. Signe qu'au-delà de l'aspect psychologique, un tir au but est également un exercice technique.

Notons que les joueurs ayant disputé l'intégralité des 120 minutes ont un pourcentage de réussite plus faible que ceux entrés en cours de match. La fraîcheur physique a son importance. Tout comme... l'entraînement.

"Pour réussir un penalty, il faut juste s’entraîner, et au moins 150 fois dans l’année", estimait Ignacio Palacios-Huerta dans ses travaux, avec plusieurs exemples concrets. Outre le travail utile des gardiens en amont, sur l'anticipation, le placement des pieds de l'adversaire, ou ses habitudes, l'Espagnol conseillait aux autres joueurs de se familiariser avec l'ensemble du processus - et pas seulement avec le tir - comme la longue marche entre la ligne médiane et le point de penalty. Histoire que le jour J, le tireur soit dans une sorte de routine, qui limite les chances d'échec.

C.C.