RMC Sport

La fin de la L1 : Daniel Riolo raconte ce qu’il s’est vraiment passé

placeholder video
C’est la fin du feuilleton. Alors que les grands championnats reprennent en Europe, la Ligue 1 est à l'arrêt jusqu'à la fin août. On a recollé les morceaux de cette histoire de fou et on sait maintenant ce qu’il s’est passé.

Avant le 28 avril et la décision de mettre fin à la saison: 

Malgré un contexte sanitaire effroyable, la LFP avance avec les clubs sur le scénario d’une reprise. Le protocole sanitaire prend forme et est validé. Il ressemble à ce qui se fera en Allemagne. Didier Quillot travaille sur tous les dossiers et cherche aussi à se mettre en phase avec l’UEFA. Si la situation sanitaire le permet, tout sera prêt pour une reprise en juin. 

Ceux qui alors disent qu’il faut attendre, ne pas se précipiter, penser aussi aux dégâts économiques et à la santé de notre foot sont vilipendés et quasiment traités d’assassins. Je signale, puisque je fais partie de ceux qui ont été attaqués, qu’en face, c’était pire! A aucun moment, les présidents n’ont pensé à autre chose. Chacun a pensé à son portefeuille! L’intérêt individuel a présidé à tout ce qui s’est passé. Il n’y jamais eu de position forte et commune.

L’interview de Sylvain Kastendeuch dans Le Monde a également pesé. Le syndicat UNFP ne voulait pas reprendre. On n’a jamais vu le vote et rien ne dit qu’un mois plus tard il aurait donné le même résultat, mais cette prise de parole a compté. Néanmoins, l’idée de la reprise tient encore la route à ce moment-là.

Tout va basculer durant le week-end des 25 et 26 avril. Le président de la République, c’est sa méthode, prend son téléphone et consulte. Le premier a lui dire qu’il ne faut surtout pas reprendre, c’est Pierre Ferracci. Le Président du Paris FC a beau affirmer qu’il ne parle pas foot avec Emmanuel Macron, c’est faux. Proche du Président, son fils Marc est témoin de mariage du Président, il parle de tout avec lui et lui donne même des conseils. Son avis est clair: Il ne faut pas reprendre car cela serait une erreur politique. La reprise sera analysée comme une faveur faite au monde du fric. Ferracci conseille aussi à Macron d’appeler Le Graët. Il lui dit en substance de parler au boss de la FFF car c’est le foutoir à la LFP. Ferracci traîne un vieux conflit avec Didier Quillot depuis une sombre affaire autour du Gazelec Ajaccio, il y a deux ans.

Le foot devient alors un outil de communication politique. Le protocole médical de la LFP prévoit ce qui peut être assimilé à un traitement de faveur autour des tests médicaux. Après l’affaire des masques, montrer que les footeux peuvent avoir des tests, même s’ils se les payent eux-mêmes, ça pouvait passer pour une faute politique. 

L’appel de Macron à Deschamps sera aussi déterminant. Le sélectionneur des Bleus parle simplement et dans le contexte émotionnel de l’époque dit qu’il ne faut pas y aller. Il doit penser comme beaucoup de présidents de clubs que les autres pays feront pareil. Pas de calcul à ce moment là chez Deschamps. C’est moins vrai quand un mois plus tard, il déroule sa communication dans Le Parisien-Aujourd’hui en France en soutenant toujours la décision d’arrêter. Il ne pouvait clairement pas dire que le gouvernement s’était trompé. Et puis Deschamps n’a que faire de la L1. Ce n’est pas dans son champ d’action. Ses joueurs importants sont ailleurs et vont rejouer, eux. Il peut donc manier les bons sentiments sans conséquence.

Après le 28 avril 

La décision est brutale. Et personne ne va contester. Juste après l'annonce par Edouard Philippe, à la tribune de l'Assemblée nationale, que la Ligue 1 ne pourra pas reprendre, Le Graët donne une interview au Télégramme de Brest et valide la décision. Il n’a plus qu’un seul but à présent, sauver "sa" finale de Coupe de France et les matches des Bleus de septembre.

Canal Plus envoie une lettre pour résilier son contrat. La panique financière guette. Le Conseil d’Administration procède au vote. A l’unanimité, l’arrêt de la saison est acté. 

Petit à petit, la situation évolue. D’abord, à l’étranger ça sent la reprise un peu partout. Le pari d’une unanimité européenne est perdu. Le foot français vacille devant le constat du trou financier qui se profile. On commence alors à s’intéresser à qui a fait quoi et surtout à qui avait intérêt à ne pas reprendre. En coulisse, une bagarre de lobby OM/OL se met en place. Le PSG ne joue même pas l’arbitre. Militer pour la reprise, c’est être dans le camp de l’économie et c’est mal vu. Encore une histoire d’image et de communication. Pourtant la situation sanitaire s’améliore et il semble de plus en plus évident qu’on aurait du au minimum prendre son temps. Personne n’a osé parler d’économie, mais l’avenir des clubs est en péril et on ne parle même plus de compétitivité par rapport aux autres. La casse sociale s’annonce compliquée à affronter aussi. 

Très discret, Eyraud le président de l’OM ne veut pas entendre parler de reprise. Il est en guerre ouverte avec Aulas. Il a fait ses comptes. Assurer la Ligue des champions, c’est capital. Quand il entend parler d’un amendement proposé par des sénateurs proches de l’OL, visant à revenir sur la décision, il file chez Gaudin. Le sénateur le reçoit. Eyraud lui demande de faire quelque chose pour aider l’OM. Gaudin n’entend rien au foot et dit juste qu’il va se renseigner. Le lendemain, l’amendement est rejeté. Eyraud, fou de joie, appelle Gaudin pour le remercier. L’homme fort de la politique marseillaise en rigole encore: "Il me remercie, mais je n’ai rien fait!" Samia Ghali, sénatrice marseillaise, intervient médiatiquement et sur Twitter. Plusieurs personnalités politiques de la région attaquent Aulas. Une "guéguerre" stupide. L’OM peut s’estimer vainqueur du lobbying. Beaucoup de Marseillais gravitent autour du pouvoir. Le président lui-même, Sacha Houlié, jeune député très actif qui s’affiche avec un maillot de l’OM.

Notre foot pro était déjà bien bas avant la crise. Il en est devenu écœurant

Dans toute cette triste histoire, on a toujours été à des années-lumières de l’intérêt collectif du football français. Tout le monde n’a pensé qu’à sa boutique. Et le gouvernement s’est servi du foot pour sa communication et son message politique. La LFP a, seule, pensé au bien commun et tout le monde va profiter du plan de sauvetage (le prêt garanti par l’Etat) de 225 millions d’euros que Didier Quillot s’est battu pour obtenir.

Il n’y a pas de bons, pas de méchants dans cette histoire. Que des gens qui se sucrent sur le foot et qui se servent de lui. Que des gens qui nous ont menti en parlant de la santé des gens quand ils bricolaient en douce pour sauver leur boutique. Quand je pense à tous ces débats sur le foot avec ou sans public, à tous ceux qui disaient penser aux supporters, à la santé des joueurs, ça fiche la nausée. Notre foot pro était déjà bien bas avant la crise. Il en est devenu écœurant. 

Daniel Riolo