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Ligue 1: comment la saison aurait pu repartir, et pourquoi elle s'est arrêtée

Le protocole sanitaire et médical présenté par la Ligue avant l’annonce d’Edouard Philippe laisse entendre qu’elle était bien préparée pour une reprise.

"Les décisions sont prises par les instances en question. C’est ce qui s’est passé pour le football." Pour Roxana Maracineanu, l’arrêt de la Ligue 1 (et de la Ligue 2) incombe à la Ligue de Football Professionnel. Mercredi, la ministre des Sports a ainsi renvoyé la balle à la LFP, sur BFM TV: "Ce n’est pas au ministère des Sports ou au gouvernement de faire le calendrier mais c’est à nous de donner une vision, une visibilité au sport qui s’encadre de manière plus large dans les contraintes qu’a connu notre société." La situation a évolué, les discours, avec. Celui du 28 avril a marqué un tournant. Edouard Philippe mettait un stop à la saison 2019-2020 de sports professionnels, "notamment celle de football". Le foot pro, lui, s’était pourtant bel et bien préparé pour une reprise. Avec notamment l’élaboration d’un protocole sanitaire et médical.

>>La fin de la Ligue1, lire les explications de Daniel Riolo

Que dit le protocole?

Un document intitulé "Recommandations sur le confinement Covid-19 AMCPF" et dont la version finale a été remise le 25 avril au ministère des Sports établissait le protocole sanitaire et médical sur le déconfinement en Ligue 1 et Ligue 2. Les 25 pages de ce dossier auquel RMC Sport a eu accès dévoilaient les quatre "étapes sportives du confinement": la première, prévue pour le 11 mai, prévoyait des tests médicaux; la deuxième (15 mai), la reprise d’entraînements individuels; la troisième (22 mai), la reprise par petits groupes; la dernière (29 mai) la reprise collective. Le 22 avril, Roxana Maracineanu, qui déclare dorénavant que "ce n’est pas au ministère des Sports ou au gouvernement de faire le calendrier", en visualisait ainsi un, sur Eurosport: "D'ici le 11 mai, peut-être que ça évoluera. Évidemment une reprise à la mi-juin est le scénario optimum mais il y en a d'autres. Celui d'une reprise peut-être en septembre des championnats, voire d'une saison blanche cette année pour pouvoir reprendre au mieux la saison prochaine."

Outre un bilan médical, un bilan cardiovasculaire, biologique et psychologique (stress, angoisse, perte de motivation, troubles du comportement...) des joueurs et membres du staff étaient prônés dans ce protocole. Les mesures d’hygiène en club "préconisées par le gouvernement" étaient détaillées. Des "réflexions sur l’organisation de la reprise de la compétition", concernant les transports, mises au vert, les stades, les arbitres, étaient exposées.

Qui a établi le protocole?

Ce protocole sanitaire et médical a été élaboré par le docteur Emmanuel Orhant, directeur médical de la FFF, la Commission médicale de la FFF et l’AMCFP (Association des médecins des clubs de football professionnels). Il s’est basé "à partir de données émanant de différents experts nationaux et internationaux", à savoir: la Commission médicale de l’UEFA, celle de la FFF, le "protocolo" de la Liga, "la task force Allemagne", ou encore le... Ministère des sports et Haute Autorité de Santé.

Le 24 avril, ce plan a été présenté au Bureau du Conseil d’Administration de la LFP par le docteur Éric Rolland, représentant des médecins des clubs professionnel au Conseil d’Administration de la Ligue. Ce document ne se voulait pas "exhaustif": "Les clubs peuvent décider des bilans et d’une organisation plus complexes." "Il ne s’agit pas d’une autorisation de reprise des entraînements ou de la compétition mais de recommandations en accord avec les données gouvernementales", peut-on lire.

Quand a-t-il été établi?

A la mi-avril, la LFP, comme les autres ligues professionnelles françaises, a intégré un groupe de travail mené par différents médecins et spécialistes dans le but d’établir un protocole sanitaire et médical en vue d’une reprise des compétitions, toujours en lien avec le ministère des Sports. Le 25 avril (soit trois jours avant l’annonce d’Edouard Philippe), au lendemain de sa présentation par le docteur Rolland au Bureau du CA de la Ligue, cette dernière a informé ses clubs qu’elle avait transmis le dit document au ministère des Sports. "Le 24 avril, lors du Conseil d’Administration de la Ligue, le docteur Rolland nous a longuement exposé le protocole sanitaire, confirme Bernard Caïazzo, membre du CA de la LFP et président du syndicat Première Ligue. A ce moment-là, nous n’avions que la reprise en tête!"

Un calendrier fatal

Selon Roxana Maracineanu, "ce n’est pas au ministère des Sports ou au gouvernement de faire le calendrier mais c’est à nous de donner une vision, une visibilité au sport." Ses propos font échos à ceux du Premier ministre en date du 28 mai. "Il ne m'appartient pas de prononcer sur les décisions des ligues et des fédérations", scandait Edouard Philippe, juste après avoir... annoncé que les stades demeuraient fermés au moins jusqu’au 21 juin et que la pratique des sports collectifs était interdite jusqu’à cette même date. Lorsqu’on l’a interrogé, sur une éventuelle reprise des compétitions, il a répondu: "Je ne crois pas que le moment soit venu." Le fait est que le calendrier dépend fatalement des sentences gouvernementales. Lorsque le Premier ministre déclarait le 28 avril que "la saison 2019-2020 de sports professionnels, notamment de football, ne pourra pas reprendre avant le mois de septembre", n’était-il pas en train de conditionner l’agenda des ligues et fédés? Les ministres semblent dicter tout en renvoyant la responsabilité aux ligues et fédérations.

Les tests, le point bloquant

C’est LA question qui divise depuis plusieurs semaines: pourquoi les compétitions n’ont donc pas repris, d’autant plus si la Ligue avait préparé un plan pour? Le courrier envoyé par la Ligue aux clubs pros le 25 avril – dans lequel était joint le protocole sanitaire et médical – soulève l’une des principales problématiques: "Dans l’hypothèse (à confirmer sous réserve de l’accord du gouvernement) où nous reprenons et mettons en œuvre ce protocole, il faudra traiter la question de l’approvisionnement des tests, pour laquelle la LFP peut agir de manière centralisée si les clubs le souhaitent." La Ligue avait, en effet, anticipé une commande tests PCR, ayant établi leur nombre à 40.000 et le coût global autour du million d’euros (les clubs étaient libres de les commandes eux-mêmes, mais les médecins préconisaient une commande groupée afin que les tests soient identiques pour tous). Mais comment se fournir en tests? A la fin avril, la question était d’ordre national et politique. Ils manquaient. Le 22 avril, la ministre des Sports donnait le ton sur Eurosport: "Le sport n'est pas prioritaire aujourd'hui dans les décisions qui sont prises par le gouvernement." Et elle rajoutait: "Si en sortie (de confinement), il n'y a pas assez de masques, si comme aujourd'hui les tests restent réservés aux personnes qui présentent des symptômes et que c'est la condition édictée par les sportifs - qui auront la possibilité du droit de retrait - ça ne se fera pas." Six jours plus tard, dans la foulée de l’annonce du Premier ministre, Roxana Maracineanu se joignait à une conférence avec des représentants de la Ligue et de la Fédération Française de Football. Face aux contraintes imposées (déplacements limités à un rayon de 100km, distanciation sociale...), la saison devait s’arrêter. La ministre insistait auprès de ses interlocuteurs "que le football ne peut pas obéir à des règles particulières." Sans oublier l’impact qu’une telle mesure d’exception aurait auprès de l’opinion publique. Au-delà des contraintes imposées par le gouvernement lors du confinement (interdiction de déplacement à plus de 100km, distanciation sociale), sans test, pas de reprise possible, d’un point médical et sanitaire. Un Conseil d’Administration exceptionnel de la LFP prenait acte des déclarations gouvernementales. Comment la Ligue pouvait-elle, alors, en décider autrement?

Nicolas Vilas