OL: comment la rétrogradation à titre conservatoire peut impacter le vestiaire lyonnais

Si John Textor, le propriétaire de l'OL, s’est voulu rassurant dans sa conférence de presse de samedi dernier au lendemain des annonces de la DNCG puis à travers une réunion, tenue par Laurent Prud’homme avec les joueurs lundi, la réalité d’un vestiaire n’épouse pas forcément cet optimisme. Décryptage avec Fred Guerra de ce dégraissage attendu, qui concernera au moins six joueurs dans un groupe pléthorique de 28 éléments avec la crainte de perdre ses fers de lance de l’automne, Cherki et Fofana.
Fred Guerra, après les lourdes sanctions de la DNCG, quelle est la conséquence la plus forte, même si elle peut paraître invisible de l’extérieur, dans l’intimité du vestiaire ?
Il y a plusieurs aspects dans le dossier. Pour chaque joueur, la situation, c'est qu'une fois qu'il va se retrouver sur le terrain, il va vouloir montrer le maximum, parce que quitte à être vendu, il cherche à être transféré dans le meilleur projet sportif qui soit. Cela risque d'apporter de l'égoïsme au détriment du collectif et de l'état d'esprit général.
Que doit faire un agent, un proche, dans ce contexte-là ?
Il est important de te rapprocher d'eux, de savoir ce que les dirigeants veulent faire afin de voir ce qu’il faut travailler, dès maintenant : parce que dès cet hiver, il y a peut-être des opportunités ou s’il faut les reporter à l'été. Mais en tout cas, dès lors que chaque joueur est à vendre, il y a un vrai travail à faire. Car forcément, ça veut dire qu'ils vont se poser des questions. Pour les joueurs, débute une période pas comme les autres. Alors, ils ne sont pas tous à la même enseigne : Alexandre Lacazette, Corentin Tolisso, Nemanja Matic, ce sont des gens qui sont capables de gérer avec leur expérience et parce que leur carrière les a déjà mis à l’abri. Mais cela peut en fragiliser quelques-uns, qui débutent ou qui ont un contrat de "confort" sur plusieurs années. Ils ont une valeur, et le club va peut-être en profiter pour les vendre, alors qu’ils veulent peut-être rester. Ils se retrouvent ainsi sur la liste des transferts sans spécialement le vouloir, en s'étant investis de façon différente dans la vie personnelle, dans sa famille, dans la région. Cela peut être très compliqué pour certains.

Même pour un Rayan Cherki ?
Oui, car il commence à s’épanouir dans son club, il se sent bien désormais. Il a enfin fait sa place, il a trouvé ses repères, mais peut-être que son départ à Liverpool va être accéléré. C'est une évidence. Et à moindre coût, d'ailleurs. Comment son jeu peut-il être impacté, dès lors ?
Et sportivement parlant, ça peut avoir un impact ?
Forcément, lorsqu'on est fragilisé mentalement, la réaction est individuelle. Le parfait exemple peut être Maxence Caqueret : très bon joueur l'année dernière, indispensable au groupe, il se retrouve aujourd'hui complètement fragilisé parce qu'il n'est pas titulaire. Du coup, lorsqu'il va se retrouver soit titulaire, soit entrant, il va vouloir faire peut-être exécuter des gestes beaucoup plus rapidement, pour se montrer. Et on sait tous que lorsqu'on fait les choses plus rapidement, on a plus de chances de mal les faire, que de bien les faire. Tous les joueurs, inconsciemment, vont réagir ainsi : ils ne sont plus dans le même confort de travail, dans le temps, dans l'aisance. Ils sont sous la "surveillance" et/ou le poids d’un feu qui est au-dessus de leur tête. Est-ce que cela peut resserrer les liens ? Je n’en suis pas sûr, car chacun va vouloir briller, individuellement : plutôt que de faire une passe en retrait, il va tirer ; plutôt que de faire une passe, il va dribbler avec la possibilité de perdre le ballon. Parce qu'ils sont tous dans l'état d'esprit de montrer des choses, individuellement. En principe, dans une équipe qi tourne bien, ce sont des individualités qui se mettent au service du collectif. Et là, ça va être des individualités qui vont se mettre au service de leur personne et non plus au service du collectif. Il faudra être attentif à ce ressenti sur les matchs. Je n'ai surtout pas envie que ma prophétie se vérifie, mais c'est une probabilité.
Il faut, en tant qu’agent et proche, insister sur quoi auprès des joueurs ?
La première question que je pose à l’intéressé: que veux-tu faire ? D'abord, avant tout, il y a une prise d'information importante auprès du principal concerné. Il faut aussi le rassurer aussi en lui disant: "t'inquiète, de toute façon, la qualité que tu l’as, ne te laisse pas envahir par tout cela". Ce possible transfert, c’est mon job. Toi, concentre-toi sur le sportif et surtout, fais attention à ce ne pas tomber dans l'individualisme, qui peut à terme te desservir. Et puis, je lui dirais : quand le club est dans cette situation, le grand gagnant, cela risque d'être toi. Pourquoi ? Parce que le club va être obligé de vendre "à la casse" puisqu’il n’est pas en position de force. L’OL ne pourra pas dire non à un transfert qui te serait favorable. Donc, crois en toi, continue à être le même, et sache que le bateau tient debout parce qu'un mec comme toi va tenir debout. Et on va faire tenir debout tous les autres. C'est comme ça que je vois les choses. Et tu seras bénéficiaire du transfert parce que le club n'aura, lui, n'a pas le choix.
Pourquoi le joueur peut-il être le "gagnant" alors qu’on le cercle vicieux peut l’amener à être bradé ?
Si le club était en position de force, il dirait sur mon joueur: "c’est 30 millions ou rien". Mais à ce prix-là, il y a un seul club qui peut s’aligner. Or, en baissant à 20, voire à 15 millions d’euros, il y a plus de clubs disposés à t’accueillir. Et quelque part, le joueur a "plus" de choix dans la destination et potentiellement, il peut être en position préférentielle pour négocier son salaire. Au lieu d’avoir un club devant toi à 30 millions qui te propose un salaire X, il y aura cinq candidats à 15-20 millions qui chacun devra rivaliser pour t’offrir un salaire Y. Finalement, pour le joueur, il pourrait avoir l'embarras du choix, à condition qu’il ne change pas dans son approche et dans son rendu aux entrainements et/ou en match.
Quid du travail de l’entraîneur dans cette situation ?
Le coach ne peut pas ignorer la situation du club. Donc, il est bien obligé d'en parler. Et le discours du coach sera celui-là: "les gars, on ne se désunit pas. On est cinquième. On a des choses, nous, à réaliser sportivement. Et puis, en fin d'année, on tirera les bilans de tout ça. Pour autant, moi, je tiens à vous tous, et quand on me demandera mon avis, j'espère qu'il sera entendu, parce que je ne veux me séparer d'aucun d'entre vous." C'est le seul discours qu'il puisse avoir, pour tenir ces mecs la tête hors de l'eau. Et d'ailleurs, c'est, en principe, le discours d'un coach, puisque les joueurs qui sont arrivés, il les a voulus. Donc, il est bien obligé d'être cohérent avec lui-même, et avec ce qu'il leur a dit et de tenir ce discours de la cohésion. Il ne peut avoir d’autre issue pour lui.