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OM: ses meilleurs et pires souvenirs, Bielsa, Sampaoli, les supporters… L’interview intégrale de Dimitri Payet

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EXCLU BFM Marseille Provence - De passage dans la Cité phocéenne, Dimitri Payet a accordé un long entretien à BFM Marseille Provence. Ses meilleurs et pires souvenirs, les coachs qui l’ont marqué, sa relation avec les supporters, des anecdotes de vestiaire… L’ancien N°10 marseillais se livre en détails sur ses neuf années olympiennes.

Dimitri Payet, vous êtes à Marseille pour la bonne cause. Vous suivez le tournoi des jeunes de l’OM, avec forcément un regard intéressé, car il y a le fiston qui joue. Mais vous êtes aussi aux côtés d’associations humanitaires...

Oui, je profite de mon passage à Marseille pour essayer de faire en dix jours ce que je ne peux pas faire toute l’année. Ça me fait de grosses journées, mais ce n’est rien du tout par rapport à ce qu’on peut apporter aux gens qui sont dans le besoin, notamment les enfants et les familles. On ne peut pas rester insensible à ça.

Vous étiez à OM-Lille (1-1, samedi). Comment avez-vous vécu ce match au niveau des émotions? C’était aussi l’un de vos anciens clubs en face…

Oui, j’ai eu la chance de jouer dans les deux clubs. J’aurai préféré que Marseille prenne les trois points, mais Lille a montré sur le début de saison que c’était une équipe très solide. Le match nul est amplement juste sur la physionomie du match. Ça reste un très bon match de notre part et dans la lignée de ce qu’on a pu faire à Lens ou contre Monaco. Ça montre que l’OM est en train de croiser son rythme de croisière.

Vous dites un très bon match de "notre" part…

Ce sont les réflexes qui sont toujours là (sourire).

On avait envie de vous questionner sur les neuf saisons à Marseille. Commençons par une question simple: quelle est votre meilleure saison à l’OM selon vous?

On va prendre le plus récent. Je dirais la saison avec notre Sampaoli. Je vais prendre celle-ci. Les stats, ça reste des stats. Mais au-delà de ça, le jeu qu'on prônait sur le terrain, l'équipe de fous furieux qu'on avait, la communion avec le public… Avec cette coupe d'Europe aussi, où on est allé jusqu'en demi-finale (face au Feyenoord Rotterdam en Ligue Europa Conférence, NDLR). Sans oublier ce final en Ligue 1 avec le dernier match à domicile où on se qualifie pour la Ligue des Champions... C'était une saison incroyable.

Vous aviez démarré la saison un peu en pointe car Milik était blessé. Au final, vous faites la majeure partie de la saison dans cette position, dans ce 3-2-4-1 de Sampaoli...

C’était une position un peu inédite pour moi, mais le coach me laissait cette liberté de pouvoir me déplacer, car ce n’est pas dans mes caractéristiques de rester en pointe et au dos jeu. Mais on avait tellement travaillé notre jeu que ça pouvait être moi, Mattéo (Guendouzi), Amine (Harit)… N’importe qui pouvait occuper ce poste à un moment dans le match. On avait le ballon la majorité du temps. Honnêtement,c’était un régal.

Vous allez suivre Rennes du coup, pour voir s’il arrive à mettre ça en place?

Oui, bien sûr. Quand ce genre de coach arrive dans un club, ce qui nous explique, et moi le premier, je me disais "Mais il est fou". Ce qu’il nous demande, veut mettre en place... Mais au fur et à mesure ça rentre, ça commence à être fluide et sur le terrain, et c’est que du bonheur.

Quel est votre plus beau match sous le maillot de l’OM?

Deux me viennent en tête. Mais le premier, c'est forcément celui contre Leipzig en Coupe d'Europe (quart de finale retour de Ligue Europa en 2018, NDLR). Et le deuxième, c'est face à Lyon (lors de la victoire 2-1 en Ligue 1 à l'automne 2019, doublé de D.Payet).

On avait aussi d’autres matchs en tête. Il y en a un, c’est lors d’une défaite de l’OM, face à Lorient. Mais vous aviez été monstrueux. C’était avec Marcelo Bielsa…

Ah oui, on perd 5-3 à la maison.

Votre match était monstrueux malgré la défaite...

Oui, mais je suis quelqu’un qui a toujours été exigeant. Je me suis toujours dit qu’étant donné mon poste, si ton équipe joue bien et gagne, c’est grâce à toi. Mais si ton équipe joue mal et perd, c’est à cause de toi. C’est un peu comme ça que j’ai mené mon aventure ici. Je me mettais cette pression à moi-même pour toujours être performant et mener mon équipe vers la victoire.

Vous avez parlé du match de l’OL. En conférence de presse, on vous sentait déjà chaud

Ça faisait deux mois que je préparais! Depuis que la signature (de Rudi Garcia à l’OL, NDLR) a été officialisée.

Vous aviez coché la date tout de suite…

Après, attention, il n’y a plus aucune animosité contre le coach. Il a fait de super saisons avec nous. Mais j’étais rentré dans les vestiaires et j’avais dit "Les gars, on peut perdre les 12 matchs qu’il y a jusqu'à Lyon, je m’en fous. Mais celui-là, on ne le perdra pas, ce n’est pas possible".

Vous parliez également de Leipzig et on va voir si ça se rejoint. Quel est votre plus beau but?

Non, ça ne se rejoint pas. Mon plus beau but, et il est passé au top 1 directement, c’est celui contre le PAOK à la maison.

Pour moi, le but de Leipzig est devant celui du PAOK car il s’inscrit dans un match fou et derrière il y a l’épopée jusqu’en finale. Alors qu’après le PAOK, le parcours s’arrête en demi-finale…

Je pense que sur l’épopée jusqu’à la finale contre l’Atlético, on peut avoir des regrets mais on a tout donné, on a tout fait, on a tenté. En face, c’était une équipe qui était bâtie pour gagner la Ligue des champions, pas pour gagner la Ligue Europa à la base. Donc on n’a pas à rougir de ça, même si ça fait toujours mal de perdre une finale. Après, j’ai peut-être plus d'amertume sur cet arrêt en demi-finale (de Ligue Europa Conférence). Le stade était une nouvelle fois en folie et il nous manquait ce petit but qui n’est pas arrivé. Je suis plus déçu de cette épopée-là.

Quelle est la personne à qui vous devez le plus votre venue à l’OM?

Quand je suis revenu en janvier 2017. J’ai une reconnaissance qui lui sera éternelle, c'est le président de l'OM, qui à l'époque était Jacques-Henri Eyraud. Il m'a dit "Moi je veux que tu reviennes et je ferai tout ce qu'il faut pour que tu reviennes". Et on s'est battu jusqu'au 28, 29 janvier, et c'était dur. Parce qu'à un moment donné, je me suis dit que ça allait être compliqué à se faire. Mais il n'a jamais lâché cette négociation. Il ne m’a jamais lâché car on se parlait souvent. Et il m'a permis de réaliser mon rêve de revenir et de faire en sorte que ma famille revienne chez elle, puis de vivre ces saisons incroyables derrière... C'est une reconnaissance éternelle que j'ai envers le président Eyraud et envers l'actionnaire (Frank McCourt), qui avait mis la main à la poche. Ça reste un transfert conséquent à l'époque pour l'OM. Ce sont les deux personnes qui me viennent tout de suite à l'esprit.

On a parlé des buts et des matchs. Et si je vous dis votre meilleur moment à l’OM, vous pensez à quoi?

Mon meilleur moment? (Il réfléchit). Non, ce n’est pas un moment précis, ce sont des saisons, c’est le parcours en Coupe d’Europe en 2018. Du début à la fin. À 10 ou 15 minutes près, si Clinton Njie marque pas en Turquie, on est éliminé. Il tire, c’est contré… S’il n’y a pas ce but-là, on ne passe pas. Et on se retrouve en finale. On se retrouve avec des matchs contre Leipzig, Braga… Le match retour à Salzbourg, où on mène 2-0 (match aller), il y 2-2 (sur l'ensemble des deux confrontations au retour) et Rolando qui va mettre ce but à la fin. C’était incroyable.

Parmi les moments marquants, il y a aussi le match de votre retour en janvier 2017, contre l’OL (2-1 après prolongation, 16e de finale de Coupe de France).

C’est un moment particulier, entre le moment de la signature et ce match même pas 48 heures après. Le retour au Vélodrome, cet accueil que j’ai eu… Je savais que les gens étaient contents de me revoir. Il y avait de l’amour mais également de l’attente.

On a encore un meilleur souvenir à vous demander. C’est votre meilleur souvenir à l’OM… mais quand vous n’étiez pas à l’OM?

Ce qui me vient en tête, c’est cet OM-Newcastle (2-0, demi-finale retour de Coupe UEFA, en 2004), qui reste un match fou. Je l’ai vu au centre de formation si je ne dis pas de bêtise. Cette machine à but, ce geste de Drogba. Ce qui me faisait rêver à Marseille, c’était aussi ce ballon noir et blanc de Ligue des champions qu’ils avaient à domicile. Moi, je n’y ai pas eu le droit quand j'étais à l’OM, c’est un peu un regret (sourire). Cette équipe, ce stade, cette ambiance à cette époque-là… C’était incroyable.

Vous avez eu l’occasion de le croiser, Didier Drogba?

Oui, plusieurs fois. Je l’ai croisé en Angleterre et même à Marseille. Mais j’étais intimidé par le personnage. Ce qu’il fait derrière avec Chelsea c’est… chapeau l’artiste!

Quand vous étiez à West Ham, ça devait vous faire quelque chose de sentir que tout Marseille vous suivait…

C’est ce qui m’a amené à être ce que j’étais. La dernière année que j’ai faite à Marseille avant d’aller à West Ham, quand vous regardez ce que sont devenus tous les joueurs qui sont partis après avoir joué sous les ordres de Bielsa. Ils ont tous explosé quasiment. Benjamin Mendy, Mario Lemina, André-Pierre Gignac… Cette année-là nous a transformés. Elle nous a appris tellement de choses. Après, on savait déjà tout et on avait plus qu’à faire.

En ce moment, les supporters marseillais poussent pour Paul Pogba, votre ancien coéquipier en équipe de France. Certains comme Adil Rami y sont allés de leur petite phrase en lui disant de venir. Vous aussi vous lui avez mis un petit texto?

Non, ce n’est pas mon style. Je pense que Paul est assez grand. Il a déjà joué au Vélodrome, comme à l’Euro 2016. Il sait ce que c’est Marseille. On en a assez parlé, que ce soit en sélection ou lui avec ses frères qui jouaient en Ligue 1. Après, savoir si c’est le bon moment pour lui, est-ce qu’il en a envie… Pogba, Rabiot, Hojbjerg au milieu, ça commence à causer quand même!

On a parlé des bons moments. Est-ce que vous avez un plus mauvais moment?

Des mauvais moments, on en a toujours. Pour moi, c’est à chaque fois que j’ai perdu. C'est Feyenoord, c'est l'Atletico Madrid... C'est à chaque fois qu'il nous manquait ce petit truc pour passer, pour gagner quelque chose, pour laisser une trace indélébile. Ce sont ceux-là mes mauvais souvenirs. Tout le reste, je le prends comme des expériences, comme des choses où j'ai appris, où j'ai grandi. Mais ce sont surtout les défaites qui font mal.

Quel est le plus beau tifo que vous avez vu au Vélodrome?

Je crois que c’est facile. C’est soit celui d'OM-PSG sous Bielsa ou celui d'OM-OL en 2019. Là, ça galvanise et on se dit "Ils sont là, ils répondent présents, on doit honorer ça". Ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir jouer dans ce stade-là, il faut s'en rendre compte.

Vous avez eu un tifo en votre honneur contre Montpellier, lors de la saison sous Jorge Sampaoli. J’imagine que ça doit être une fierté...

C’est un témoignage qui ne peut pas vous laisser indifférent. C'est une preuve d’amour, une preuve qu’on a compté pour le club et dans le cœur des supporters. Il n’y a pas de plus belles récompenses que de rendre heureux les gens, leur fait oublier leur quotidien. Les gens payent pour voir certains gestes et certains joueurs. Ça reste un souvenir exceptionnel pour moi.

"Steve (Mandanda), j’étais au centre de formation à 11 ans avec lui. Je le connais depuis plus longtemps que ma femme."

Ce tifo est fait par les South Winners. Un an avant l’arrivée de Sampaoli, les dirigeants des Winners disaient "S’il y a bien un joueur dont vous devez vous méfier, c’est Dimitri Payet". Beaucoup de gens disaient ça aussi à Marseille. Et au final, tu as réussi à leur dire que Dimitri Payet, il met des buts, il fait des passes et il procure ce bonheur…

C'est ce qui a fait que je me suis attaché à ce club. En neuf saisons au club, on a eu pas mal de réunions avec les supporters, et cela a été parfois très chaud dans les confrontations. Plusieurs fois, j'en ai pris pour mon grade, et parfois c'était justifié. Parfois non. Mais dans mon rôle de capitaine, c'est quelque chose qu'il fallait assumer, mais aussi quelque chose qui m'excitait. De dire "Pas de soucis, je vais me mettre au travail !". Et c'était un peu comme dans un couple, où quand ça ne va pas, on s'embrouille. Et au final, c'est l'amour qui triomphe. Et quand je reviens aujourd'hui, je pense que les gens gardent de meilleurs souvenirs, plutôt que des mauvais me concernant. Mais ça a été quelque chose qui m'a boosté.

C’est aussi pour ça que je suis allé au Brésil, parce que les supporters de Vasco et les supporters brésiliens sont proches des nôtres. Ils sont amoureux de leur club et, même à 37 ans, ils ne me font pas de cadeau. C’est pour ça que j’ai choisi le Brésil plutôt que d’autres clubs ou d’autres pays où je n'aurais zéro pression et où je me la coulerais douce.

Quel est l’adversaire à qui vous avez fait le plus mal?

Je crois que le club contre lequel j’ai le plus marqué, c’est Toulouse.

Vous avez aussi un gardien (Alexandre Oukidja, avec Strasbourg en 2018, NDLR) qui s’est fait les croisés sur une feinte

Après, ce n’était pas voulu en soi (sourire). Ce n’était pas volontaire. On peut en rigoler car il a continué à jouer et aujourd’hui il n’a plus de soucis.

Et votre meilleur coéquipier à l’OM?

J’en ai eu plein des meilleurs coéquipiers, en plus je vais faire des jaloux… Maxime Lopez, Boubacar Kamara, Mattéo Guendouzi, William Saliba, Steve Mandanda, André-Pierre Gignac… Steve, j’étais au centre de formation à 11 ans avec lui. Je le connais depuis plus longtemps que ma femme. J’ai grandi avec Steve. On a toujours été ensemble. On a fait quatre ans au centre de formation, il y a eu la sélection, il y a eu Marseille… C’est quelqu’un que j’ai toujours côtoyé et c’est un exemple pour notre génération.

Et pour finir, votre plus gros fou rire à l’OM dans le vestiaire?

Je suis celui qui attaque et qui emmerde tout le monde. Le problème, c’est que parfois tout le monde se retourne contre vous et là ce n’est pas facile (sourire). Quand tout le monde est sur tes côtes, ce n’est pas facile. Mais c’est le jeu. Quand on aime chambrer, il faut savoir être chambré aussi. Des fous rires, il y en a tellement. Le plus, c’était quand il y avait Amine (Harit), Jordan (Amavi)… Notre spécialité, c’était de se moquer de Doria, de Rolando et d’Ocampos qui apprenaient le français. Ils avaient des accents et des mots qu’ils transformaient… Ce n’est pas beau, mais c’étaient les meilleurs fous rires, à s’allonger par terre. C’était incroyable. Le plus drôle, c’est Ocampos qui m’avait demandé de faire une vidéo pour "son nouveau". Je lui dis "Mais c’est qui ton nouveau?" Il dit "Le fils de ma soeur". Ça a été un fou rire exceptionnel.

Vous avez un groupe Whatsapp d’anciens?

Non, à l’époque ça ne se faisait pas encore. Le groupe Whatsapp, c’était le vestiaire. Pour qu’un groupe soit uni sur le terrain, on a besoin de ces moments-là. La dernière année, on délocalisait un petit moment en famille chez l’un ou chez l’autre. Ça crée des liens qui se retranscrivent sur le terrain.

Propos recueillis par Romain Canuti (BFM Marseille Provence)