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Miles Jacobson, créateur de Football Manager : ''Certains joueurs me contactent directement pour leurs notes''

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Tout le monde connait Football Manager, dont l’édition 2017 est disponible depuis vendredi dernier. Mais le public connait moins l’homme à l’origine de ce monstre. Miles Jacobson nous a reçu dans son bureau londonien, quinze jours avant la sortie de FM 2017. Pendant près de 40 minutes, il a décortiqué l’actualité de son jeu, son évolution et son rôle désormais déterminant dans le recrutement des clubs de foot professionnels.

Miles Jacobson, vous êtes le créateur de Football Manager. Avoir façonné un jeu de gestion de football, c'était une façon pour vous de vivre une carrière d’entraîneur par procuration ?

Non. Pas du tout. Je n’ai jamais souhaité être un entraîneur. Que c’est compliqué de donner des consignes à d’autres joueurs ! Je suis vraiment heureux d’avoir donné la chance à tout le monde de pouvoir être un entraîneur virtuel, à défaut de l’être réellement. J’ai toujours voulu être impliqué dans le monde du football, mais pas comme un manager. Ni comme un joueur. Mon cerveau dit quoi faire à mes jambes, mais mes jambes ne suivent pas. Cela a toujours été un problème pour moi, pour faire du sport notamment (rires).

Et si vous aviez eu les commandes d’une équipe, vous auriez pris laquelle ?

Je pense que je me tournerais vers une mission facile. Pourquoi pas Manchester City ? Guardiola fait de bonnes choses là-bas. Je pourrais reprendre Man City et faire exactement ce que fait Guardiola… Mais pour être franc, si je devais entraîner une équipe, je voudrais commencer, je pense, dans un petit club pour évoluer chaque année. Et je ne voudrais jamais entraîner Watford (son club de coeur, ndlr). Je serai un entraîneur pitoyable. Ce ne serait pas un bon job pour moi.

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Quel est le joueur que vous regrettez le plus dans Football Manager ? Celui qui a été le plus surnoté par exemple ?

Le seul que je regrette est en réalité un joueur qui n’a jamais existé. Il s’appelait To Madeira. Il n’était pas réel. C’était un joueur qui a été inventé dans la base de données. Une erreur qui n’aurait jamais dû se produire. Après, souvent, il y a des joueurs qui se révèlent tôt et qui ne confirment pas à leur majorité, alors qu’ils avaient le talent pour atteindre le plus haut niveau. Je pense par exemple à Cherno Samba, que l’on avait détecté très jeune, ou à Freddy Adu, qui avait tout le talent du monde. Il y a un million de raisons pour lesquelles ces joueurs-là n’ont pas confirmé. Peut-être qu’on est parfois un peu conservateur sur nos statistiques, peut-être qu’on voit certains joueurs trop hauts mais le seul regret, c’est d’avoir évalué un joueur qui n’existait pas.

Et a contrario, votre plus belle réussite en matière de trouvailles ?

Il y a eu un moment où l’on pouvait jouer avec des joueurs de 16 ans et un peu moins. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Mais à cette époque, Messi avait 13 ans et nous étions contents de l’avoir créé à cet âge et d’avoir vu juste à son sujet. En général, nous sommes fiers de tous les joueurs que nous avons évalués. Pour être honnête, nous avons 99 % de réussite, là où les autres n’ont que 55. Et nous sommes très fiers de ça.

Il y a eu, aussi et surtout, Maksim Tsigalko. C’est un joueur qui avait le niveau pour finir Ballon d’Or dans le jeu et qui n’a jamais explosé. Avez-vous déjà été en contact avec lui ou avec d’autres joueurs qui n’étaient pas, finalement, satisfaits de leur évaluation ?

Maksim était un vrai bon joueur. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses choix de club et il n’a jamais vraiment dévoilé tout son potentiel. Mais les joueurs se plaignent tout le temps de leurs notes. Et ce à tous les niveaux. On l’a vu récemment avec Michy Batshuayi sur Twitter avec FIFA. Certains me contactent directement, car ils ont mon adresse email. Ils aimeraient certainement que je fasse quelque chose pour leurs notes, mais je n’ai pas à la changer. Ce n’est pas moi mais l’opinion des gens qui fait leurs notes.

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On parle des joueurs. Mais il y a aussi les clubs, qui se servent de plus en plus du jeu. Est-ce une bonne chose selon vous ?

A chaque fois qu'un club utilise notre base de données, nous sommes contents, c’est évident. Cela veut dire qu’on a fait du bon travail et cela est appréciable. Mais il y a dix ans, on aurait rigolé de ça. "Des clubs de foot qui se servent de la base de données d’un jeu !" Des joueurs se moquent de ça et des gens continueront de le faire. Mais on vit dans un monde où les données sont importantes et il se trouve que nous avons une base de données incroyablement bonne sur les footballeurs et de très bons scouts à travers le monde qui les observent. Donc les clubs devraient l’utiliser, et de nombreux le font. Quelques-uns officiellement, d’autres officieusement. Mais c’est important qu’ils le fassent, de la même façon qu’ils utilisent d’autres données comme Opta ou celles d’autres systèmes qui peuvent aider les clubs.

Vous imaginiez votre jeu comme un possible outil il y a quelques années ?

Non. On n’a jamais imaginé, en créant le jeu, que nos données seraient prises en compte par le football. Mais, il y a quatre ou cinq ans, on a décidé : "OK, la presse spécialisée en jeu vidéo ne s’intéresse pas tant que ça à nous, mais la presse spécialisée dans le foot le fait. Les gens qui jouent aux jeux vidéo ne font pas vraiment attention à nous, les gens qui regardent du foot, si." Donc on a décidé à ce moment-là que nous deviendrions un business lié au football, qui fait des jeux vidéo, plutôt qu’un business de jeux vidéo qui fait des jeux liés au foot. Et c’était un changement important d’un point de vue conceptuel. Notre transition est arrivée au bon moment. Sky Sports, au Royaume-Uni, utilise nos données lors de ses émissions. Au début, beaucoup de monde sur les réseaux sociaux disaient "C’est la fin du monde, ils utilisent des données d’un jeu vidéo" et maintenant, les gens se disent que cela paraît sensé. Je suis très fier de tout ce qu’on a mis en place… Et le club qui n’utilise pas nos données, pour être honnête, est fou. Ils devraient tous l’utiliser.

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Comprenez-vous le fait que les clubs aient du mal à parler de leur usage de Football Manager ? Cela ne vous frustre-t-il pas ?

Si les clubs vous disent "non non, non", qu’ils n’utilisent aucune donnée provenant des jeux vidéo, c’est qu’ils mentent. Car ils le font. Mais la raison pour laquelle ils n’en parlent pas est la même raison que celle pour laquelle je n’en parle pas. C’est parce qu’il y a un accord de confidentialité en place. Ils ne veulent pas que les gens sachent qu’ils utilisent ces données, ils ne vous diront pas non plus quel système de scouting ils utilisent. Ils ne vous diront pas à qui ils achètent les données. En partie car ils ne sont pas autant précurseurs que d’autres et en partie car ils ne veulent donner aucun avantage à leurs concurrents en disant exactement ce qu’ils utilisent. Les dirigeants de clubs prennent des décisions à plusieurs millions d’euros, qui peuvent ou non briser la saison de leur équipe ou frustrer leurs supporters. Aucun club ne veut que les gens soient alertés sur leurs meilleurs jeunes car ils veulent être en mesure de les vendre pour beaucoup d’argent dans les années à venir. 

Vous évoquez les transferts. On pointe souvent du doigt les montants exorbitants que l’on voit régulièrement dans le jeu lors des différents mercatos.

C'est toujours un challenge pour notre équipe de se mettre au niveau du marché des transferts. Et je pense qu’on aura raison sur le montant des transferts dans Football Manager 2017. Notamment cette saison, car financièrement parlant, les droits TV en Angleterre ont explosé. Il faut donc s'adapter. Après, pour ce qui est du réalisme ou non de nos transferts… C'est difficile de dire que ce n'est pas réel alors qu'on prédit le futur. L’élément le plus choquant est lorsqu'on a un joueur qui a 18 ans, qu’il vaut 5 millions et que son club en demande 20. Mais finalement, c'est un peu comme ça que cela se passe dans la vraie vie, non ? Il suffit de regarder des joueurs comme Theo Walcott, Oxlade-Chamberlain ou plus récemment Anthony Martial. Nos transferts ne sont peut-être pas réels aujourd’hui, mais nous sommes dans une projection de l’avenir donc peut être que ça le sera plus tard.

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Le transfert record de Paul Pogba ne vous a pas surpris ?

Pogba ? Je suis un peu surpris par la somme (110 M€), mais nous avions déjà prévu ça, car dans le jeu on a intégré les nouveaux revenus des droits TV dans le championnat anglais. Après, si les droits de la Premier League sont toujours aussi importants lors des prochaines saisons, Pogba ne sera pas le plus gros transfert qu'on ait vu. Vous pouvez le voir dans le jeu : les plus gros clubs dépensent beaucoup plus d'argent. Vous allez acheter des joueurs à 86 millions, alors que vous auriez pu les avoir pour 30. Mais quand l'inflation est là, les joueurs vont forcément partir pour plus cher. Qui aurait pu croire que Watford aurait acheté un joueur de la Juventus (Roberto Pereyra, ndlr) cet été ? Nous avons acheté un joueur à plus de 8 chiffres (15 millions d'euros, ndlr), nous, Watford ! On l'a fait car ce sont des bons footballeurs, mais on a dû payer le prix pour leur talent.

Football Manager est une institution vivante en Angleterre, un peu moins dans les autres pays d’Europe.

Il y a beaucoup de joueurs en France qui aiment le jeu. Mais aussi beaucoup de personnes en Espagne, en Chine et aux Etats-Unis. Il y a un vrai potentiel public à exploiter. La France aime Football Manager, mais on n’est toujours pas là où l'on voudrait être. Cela fait 24 ans qu'on développe FM, qu’on le fait évoluer, mais on n’a toujours pas l’impression d’être arrivé à nos fins. Il y a toujours beaucoup de cerveaux mis à contribution pour ce jeu. J'aime l'idée de pouvoir dire plus tard à mes petits-enfants comment j'ai travaillé sur FM et qu'ils rigolent en me disant que c'est toujours un grand jeu. On a encore beaucoup de challenges devant nous avant qu'on atteigne le potentiel final du jeu. Et il s’écoulera beaucoup d’années avant qu’on épuise ce potentiel. 

Dans votre bureau, on trouve de tout. Notamment ce fauteuil où vous êtes assis et où est incrusté le maillot du buteur de votre club de cœur Watford, Troy Deeney. C’est un ami ?

Troy ? Je ne l’affronterais pas aujourd’hui à Football Manager. Il est très fort et il voudrait absolument me battre. Je pense d’ailleurs que je ne l’affronterai pas tout court à n’importe quel jeu vidéo. C’est un héros. Il a eu des problèmes dans sa vie, il a su rebondir et il est devenu une star de la Premier League. A mon sens, il représente tout ce qu’est notre pays. Il a le cœur d’un lion. On verra ce qu’il se passe pour lui, s’il est un jour sélectionné en équipe d’Angleterre. En tout cas, à mon sens, il devrait l'être. Je ne sais pas si la Fédération anglaise lit la presse française, mais si elle le fait (il sourit), elle devrait retenir Troy Deeney.

Propos recueillis par Alix Dulac