Coupe du monde de handball: "C’est pour moi le meilleur défenseur du monde", Karl Konan patron malgré lui

Il fêtait mardi dernier, face à la Hongrie (37-30), dans l’Arena de Varaždin, sa 50e sélection sous le maillot de l’équipe de France. L’occasion une nouvelle fois pour Karl Konan, d’éteindre les offensives adverses. Son mètre quatre-vingt-seize, le natif de Cocody (Côte d’Ivoire) le déploie bien volontiers pour protéger la cage française. "C’est pour moi le meilleur défenseur du monde", affirme le gardien Rémi Desbonnet, coéquipier de Konan à Montpellier et bien soulagé d’avoir un tel phénomène devant lui "C’est un exemple d’implication", surenchérit l’autre portier des Bleus également Montpelliérain, Charles Bolzinger.
"Parfois je me demande ce qu’il fout là. Il est au milieu puis va neutraliser l’ailier gauche, il a une telle énergie", hallucine son colocataire de chambre en club comme en sélection. "Il a vraiment un mental d’acier et m’a beaucoup aidé sur ce point. Il a été un soutien, un appui dans les moments durs pour moi à Montpellier."
Une préparation de matchs en béton pour un défenseur à l’ancienne
Deuxième meilleur intercepteur du Mondial (8 interceptions), Karl Konan est aussi un atout majeur dans sa communication avec les gardiens. "Il nous donne une info claire à 95% sur les shoots adverses", souligne Bolzinger. Des informations glanées lors de ces intenses préparations de matchs. "Avant chaque rencontre, il sort son téléphone ou son ordinateur", explique Valentin Porte, néo-retraité de l’Equipe de France et coéquipier de Karl Konan dans l’Hérault. "Il a déjà regardé trois ou quatre matchs avant et relit ses notes. Ce n’est pas qu'un mec talentueux et costaud qui se met sur le terrain et qui casse tout ce qui passe. C'est un gars intelligent, qui réfléchit à sa manière de défendre et qui va s'adapter en fonction des joueurs qu'il rencontre tout en le partageant avec ses coéquipiers."
Privé du Mondial précédent après une opération de la cheville, il s’est depuis le dernier Euro installé dans l’arrière garde des Bleus dans ce style de défenseur quasi-intégral, un poste de plus en plus rare dans le handball actuel axé sur la vitesse et la polyvalence. "Il est une sorte de mélange entre l’intelligence de placement de Pascal Mahé et le côté rugueux au combat et au duel de Didier Dinart", imagine Philippe Pailhories, co-président de Hand by Karl, l’association montée par le handballeur franco-ivoirien afin de développer son sport dans les quartiers défavorisés et pour les jeunes déscolarisés sur sa terre natale.
Pourtant, lorsqu’il débarque en France, à 18 ans, Konan est plutôt attiré par le but. Alors joueur de D2 à Bingerville, le major de promo de la 6e à sa Terminale en école militaire, décidé à mettre sa mère Jeanette à l’abri en devenant magistrat, prend le pari de tenter sa chance comme professionnel, poussé par l’ex-gardien des Bleus Daouda Karaboué qui l’avait repéré lors d’un stage. Ce dernier essaie de lui trouver un club mais Nantes, Chambéry, Cesson ne sentent pas le coup, Aix oui. Marc Wiltberg, alors adjoint du club, se souvient. "Il est arrivé brut de décoffrage mais on n’a rapidement perçu que c’était un monstre de travail. Il a très vite été l’un des meilleurs de l’équipe une fois mis sur le terrain par Zvodimir Serdarusic" avec un penchant offensif. "Il voulait être un joueur complet en restant arrière gauche."
Jusqu’en cadet, Karl Konan craignait de défendre mais était époustouflant en attaque diront même ceux qui l’on connut plus jeune encore. Une fois arrivé à Montpellier, en 2022, Patrice Canayer le replace pivot. "Il mettait tellement d’intensité à défendre qu’il était difficile de l’imaginer dans un autre poste en attaque", analyse Marc Wiltberger (148 sélections). "À son arrivée, Montpellier avait de gros problèmes de défense, quelques années plus tard c’est l’une des meilleures du championnat, ce n’est pas un hasard. J’avais dit à Patrice (Canayer), il va t’apporter individuellement et va emmener les autres avec lui, ça n’a pas manqué."
"Il prendra la parole quand il sentira que c’est nécessaire"
Utilisé partiellement en matchs préparatoires de l’Euro l’an dernier, Konan doute de la confiance qu’ont ses partenaires et le staff des Bleus envers ses performances. Un sentiment toujours ressenti à l’approche des Jeux Olympiques où il craint de ne pas être sélectionné. "Et pourtant Guillaume Gille lui faisait confiance sur les périodes clés", assure Wiltenberg. Signe de l’humilité de ce féru de sports en général, il pouvait, adolescent, courir à la fin d’un match de hand vers un autre gymnase pour commencer une rencontre de basket ou de volley. Désormais, Karl Konan est bel et bien installé au sein du groupe France, relayant un Luka Karabatic, en fin de carrière, sur le banc.
"Il a pris une place importante dans l’équipe", confirme le franco-croate de 36 ans qui l’a vu arriver à Aix et avec qui il prépare chaque match du Mondial en quête de plans défensifs, toujours accompagnés par le capitaine Ludovic Fabregas. "Si c’est ma relève? Ce n’est pas seulement la mienne mais il est dans la lignée de ceux qui jouaient à ce poste, et ce avant moi. Je suis content d’être encore un peu là pour le guider, le conseiller", même s’il serait préférable de ne pas l’affronter à l’entraînement. "Je l’adore mais quand il n’est pas dans ton équipe, ça peut faire mal" sourit, marqué à l’œil gauche, le joueur du PSG, club que rejoindra l’actuel montpelliérain la saison prochaine.
Sur les temps-morts, il est encore rare d’entendre le défenseur des Bleus prendre la parole après Guillaume Gille. "Au tout début, il se mettait en retrait, il me disait qu’autour de lui c’étaient de très grands joueurs, n'osait pas parler à Karabatic. Mais il a pris conscience qu’il prenait de l’importance désormais", assure Marc Wiltberger. "À Montpellier, j’ai entendu dire : les gars il faut se bouger sinon Karl va nous remonter." "Il ne fera jamais rien qui pourrait être mal interprété" ajoute Philippe Pailhories, "mais s’il faut prendre la parole et des responsabilités, il en prendra. Il ne s’échappera jamais." Cela tombe bien, le capitaine des Bleus l’assure: "il mérite des responsabilités de par ce qu’il apporte dans notre système défensif."
Ses consignes, Konan les donnera sans hausser le ton, car le gaillard de 96kg tente chaque fois de régler les conflits par le dialogue entre fermeté et légèreté, rapportant souvent gain de cause. Léger, il l’est beaucoup moins quand il s’agit d’entrer dans le duel. "Je le mets dans le pot des mecs qui font peur", sourit Valentin Porte, double champion d’Europe, du Monde et champion olympique. "Si tu as tendance à le titiller, attention, je dis souvent qu’il a une mèche courte car il a tendance à vite exploser." De quoi dissuader les adversaires de venir à son contact. "Je pense que face à la Macédoine par exemple, le sélectionneur Kiril Lazarov ne s’est pas dit ‘si on isole un mec, c’est lui.’ Il sait que sinon ça va piquer." Marc Wiltberger abonde dans ce sens. "Dans les temps morts adverses, on entend beaucoup les consignes d’attaquer à côté de Konan mais pas sur lui directement. On sent la défiance dans le regard des adversaires." Et il n’en reste plus que trois à faire trembler, afin de décrocher son premier titre Mondial.