Jeux paralympiques: Valentin Giraud-Moine, de skieur valide à guide

Quand les micros approchent, Valentin Giraud-Moine se met immédiatement en retrait. "C’est lui, c’est lui", indique-t-il à la bénévole qui tend les enregistreurs, en montrant Hyacinthe Deleplace, médaillé de bronze sur la descente. "La performance c’est lui, c’est lui l’athlète", répète l’ancien skieur pro valide à propos de son acolyte, qui skie en catégorie déficient visuel. Mais inévitablement, les regards se tournent aussi vers "VGM" qui, il y a six mois, en septembre, a annoncé sa retraite à seulement 29 ans.
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"La décision a été très compliquée à prendre", expliquait-il alors sur les réseaux sociaux. "Bien sûr qu'au fond de moi j'aurais aimé continuer à faire de la descente sur les plus belles pistes du monde... Ces dernières saisons, malgré toute ma patience et mes efforts, je n'ai jamais réussi à retrouver mes capacités physiques et mentales qui me permettaient de jouer les premiers rôles. L'athlète ambitieux que je suis devenu est bien sûr amer du destin qui lui a été accordé et se demandera toujours comment cela aurait pu être sans Garmisch. Mais c'est mon histoire."
Contacté sur Instagram
Garmisch, c’est le point de bascule. Valentin Giraud-Moine, deux podiums en Coupe du monde, est dans une grande forme ce 27 janvier 2017. Il dévale la descente allemande mais perd le contrôle et finit sa chute, effroyable, dans les filets de sécurité. "J’ai vraiment frôlé la double amputation… J’ai passé quatre ou cinq mois en fauteuil et je me suis rendu compte de ce qu’était le handicap…" Le français entame sa rééducation et veut reprendre le ski. Il revient sur le circuit en novembre 2018 mais ne parviendra pas à retrouver son niveau.
À contrecœur, il décide donc de prendre sa retraite mais ne quitte pas le milieu, devient coach sur le circuit de Coupe d’Europe de ski alpin. Consultant télé aussi, lors de certaines épreuves. En parallèle, Hyacinthe Deleplace, qui avait participé aux Jeux paralympiques de Londres en 2012 en athlétisme et qui avance vers ses premiers Jeux d’Hiver, cherche un second guide pour l’épauler en plus de Maxime Jourdan, avec qui il travaille depuis près de quatre ans. "Hyacinthe m’a écrit sur Instagram et Jeff (Picard), le coach, m’a écrit aussi. Ils m’ont expliqué que Hyacinthe avait suffisamment progressé, qu’ils avaient besoin de quelqu’un qui soit plus à l’aise devant, qui ait plus confiance." Nous sommes à la rentrée 2021 et les deux garçons ne se connaissent pas. Valentin Giraud-Moine accepte, pour aider le skieur malvoyant et pour "découvrir le sport paralympique, le milieu handi et le sport par équipe."
"J’ai halluciné"
"Val est arrivé fin novembre. L’’idée de bosser avec deux guides est d’avoir des regards différents sur la pratique et potentiellement apporter des choses auxquelles on n’aurait pas pensé si on n'avait été que deux. L’objectif était de switcher selon les disciplines pour m’apporter le petit plus." Giraud-Moine s’occupera des épreuves de vitesse, mais il faut voir si ça matche, car guider ne s’apprend pas en un claquement de doigts. "La première fois, je suis arrivé un peu en mode touriste, avec mes mauvais skis", se souvient en souriant Valentin Giraud -Moine. Et quand ils sont partis, j’ai halluciné, je ne m’attendais pas du tout à ça ! Quand j’ai vu que Hyacinthe arrivait à me suivre à certains moments… Parfois on atteint les 120-130km/h. Et si moi je fais une erreur, il est à la rue complet, il se met une grosse boite. Donc il faut vraiment qu’il me fasse confiance et c’est vraiment impressionnant qu’il y arrive, qu’il ne se pose pas de questions !"
La mayonnaise prend, même s’il n’est pas évident pour Deleplace d’écarter son ancien guide sur certaines disciplines. Mais l’ex coureur de 400 mètres est satisfait : "Son apport est très important dans le sens où il a une expérience du haut niveau que je ne connais que très peu. Je la connaissais en athlé mais pas en ski. Ça permet d’aborder les compétitions de façon différente."
Trois titres mondiaux
"Quand Hyacinthe peut être paniqué ou stressé, j’essaie de lui apporter des conseils qui lui permettent de rester calme, gérer ses journées, appuie le néo-guide. C’est là-dessus où il a énormément à gagner car avec sa vue, il ne ressent pas les choses exactement comme nous."
Leurs premiers pas sont supersoniques : aux Mondiaux de Lillehammer (Norvège) en janvier, ils remportent trois titres (descente, Super G et Super combiné, avec Maxime Jourdan également). Giraud-Moine aussi monte sur la boîte. "Ce n’est pas de la performance physique ou technique, ma performance réside dans ce que je peux apporter à Hyacinthe, le guidage, la précision… et ça reste de la compétition, de la course, on s’amuse", sourit celui qui voulait aussi re-goûter à ces ambiances et ces confrontations. Les automatismes se créent : "Dans l’idée, c’est surtout moi qui parle. Si Hyacinthe me parle, c’est qu’un truc ne va pas. Au début il ne voulait pas que je me retourne, maintenant il accepte. Donc je me retourne, je vois où il en est et j’essaie de doser mon intensité."
Le duo, frustré sur les premières courses des Jeux (bronze en descente, 4è en Super G), a claqué le meilleur temps sur le Super G de l’épreuve de combiné. Malheureusement, Hyacinthe Delplace a ensuite fait une faute en slalom derrière son guide Maxime Jourdan et a pris la 5è place. "Mon bilan personnel n’est pas bon", affirmait Valentin Giraud-Moine, qui "repartira" avec une médaille de bronze. Poursuivra-t-il l’aventure ? "Il faut qu’on en parle et qu’on s’organise, mais j’en ai envie."