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JO 2021 (athlé): Barshim-Tamberi, un doublé en or vraiment dans l’esprit du sport?

Amis proches, Mutaz Barshim et Gianmarco Tamberi ont décidé de ne pas se mesurer l'un à l'autre dans un barrage pour s'offrir une double médaille d'or olympique au saut en hauteur ce dimanche à Tokyo aux JO 2021. Une décision prise dans 'l'esprit du sport' que certains ne comprennent pas. Mais appréciée par beaucoup.

L’esprit du sport? Ou sa négation? Le scénario de la fin du concours de saut en hauteur olympique, disputé ce dimanche à Tokyo aux JO 2021, propose une double interrogation. Après avoir effectué tout leur parcours sans rater le moindre essai jusqu’à 2,37 mètres inclus, puis raté leurs trois tentatives deux centimètres plus haut (comme quatre autres concurrents, dont trois après des impasses), Mutaz Barshim et Gianmarco Tamberi ont refusé de se lancer dans un barrage – chacun possède un essai pour retenter la barre, redescendue si personne ne passe ou remontée si les deux franchissent cette hauteur, jusqu’à ce que l’un des deux se rate alors que l’autre passe – et préféré partager la première marche du podium et l’or.

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De quoi provoquer un débat dans un monde, le sport, où tout est fait pour départager les concurrents et sacré un seul et unique roi. Le Qatarien et l’Italien auraient-ils dû aller au bout et se départager? Neuvième du concours, et proche du Biélorusse Maksim Nedasekau médaillé de bronze après avoir lui aussi franchi 2,37 m (mais échoué une fois à 2,19 précédemment), le Russe Ilya Ivanyuk semblait de cet avis dans des propos rapportés par L'Equipe: "Pardonnez-moi, ce n’est peut-être pas sympa de le dire, mais ce n’est pas juste. Ils auraient dû être forcés à sauter encore parce que vous ne pouvez pas faire ça par rapport aux autres athlètes. Les organisateurs auraient dû faire quelque chose mais les gars ne voulaient pas sauter."

Sur les réseaux sociaux, on pouvait trouver quelques voix partageant cet avis, chez des anonymes comme chez des journalistes. Mais à l’opposé du spectre des sentiments, on en trouvait beaucoup plus pour saluer le geste du duo en or, premier couple de sauteurs à partager le sommet du podium olympique dans l’histoire (mais pas les premiers tout court, la Russe Mariya Kuchina et la Polonaise Kamila Licwinko ayant pris la même décision de ne pas faire le barrage pour partager l'or aux Mondiaux en salle 2014 après avoir franchi 2 mètres tout pile toutes les deux). Pour qui la décision n’a pas fait un pli et épouse tous les contours de l’esprit sportif. "Personne n’a décidé. Je l’ai regardé, il m’a regardé et on a su, explique Barshim. On savait que c’était réglé, qu’il n’y avait aucun besoin de continuer. Le gars de l’organisation essayait de nous expliquer nos options. Mais à quoi bon?"

Et de préciser: "Je me souviens qu’on en avait parlé une fois il y a des années et qu’on s’était dit: 'Oh, imagine…' Et aujourd’hui, c’est finalement arrivé. C’est une super sensation, vous ne pouvez pas être plus heureux que ça. Gianmarco est l’un de mes meilleurs amis, pas seulement sur la piste mais en dehors aussi. C’est un rêve qui se réalise, c’est le vrai état d’esprit du sport et on délivre ce message ici. A deux, c’est mieux que seul!" "Jamais vu ça! On n’a jamais laissé le choix aux athlètes C’est tellement trop cool que cela ait eu enfin lieu à la place de ces barrages insoutenables et épuisants, juge Maryse Ewanjé-Epée, ancienne recordwoman de France du saut en hauteur et consultante athlétisme RMC Sport, dans un message sur Twitter. Et en plus ces deux hommes sont juste adorables."

Plâtre de pied

Amis depuis onze ans et leur rencontre aux Mondiaux juniors à Edmonton (Canada), proches au point de voir le Qatarien d’origine soudanaise inviter l’Italien – qui considère son pote comme le meilleur sauteur de l’histoire – à son mariage, Tamberi et Barshim ont aussi partagé une grave blessure, un ligament d’une cheville rompu, à Monaco juste avant les Jeux de Rio pour le premier (alors qu’il tentait 2,41 m après avoir franchi 2,39 pour battre son record personnel et s’annoncer comme un des favoris au titre olympique au Brésil, concours qu’il ne pourra donc finalement pas disputer) et en juillet 2018 à Szekesfehervar (Hongrie) pour le second alors qu’il tentait le record du monde à 2,46 m.

Si l’Italien a mis quatre ans à s’en remettre, enchaînant les phases qui le déprimaient, au point de déposer sur la piste son plâtre de pied avant sa dernière tentative à 2,39 à Tokyo comme un symbole de son retour en grâce, le Qatarien est revenu bien plus vite aux affaires pour conserver son titre mondial à Doha, chez lui, en octobre 2019, malgré onze mois sans sauter. "On a traversé beaucoup de choses, la même blessure, et on sait ce que ça coûte, physiquement et mentalement, de juste revenir ici, rappelait Barshim après leur sacre olympique. Il m’a beaucoup soutenu, j’apprécie ce qu’il a fait et vice versa. C’est incroyable."

Fêter ça "ensemble, bien entendu"

Deux fois deuxième aux Jeux à Londres et Rio, l’homme dont la meilleure marque franchie monte à 2,43 mètres – deux centimètres sous le record du monde du Cubain Javier Sotomayor – s'annonce "fier" de son sacre après "tellement de choses, des blessures, des retours en arrière". Et encore plus en le partageant avec son pote qui aurait été l’un des grands favoris pour le titre à Rio sans sa blessure monégasque dans cette année 206 où il avait émergé au plus haut niveau (champion du monde en salle, champion d’Europe en plein air).

D’un côté, un Tamberi fantasque, connu pour ses choix capillaires osés et son enthousiasme. De l’autre, un Barshim bien moins exubérant. Entre les deux, une amitié forte. Et désormais, l’or olympique. Qu’ils vont pouvoir fêter "ensemble, bien entendu" dixit le Qatarien. Qui s’en amuserait presque: "On est tous les deux fous à notre manière. Qui sait, si ça se trouve, on va fêter ce titre pendant un an!" Qu’on se rassure: l’esprit du sport a bien été respecté par les champions olympiques du saut en hauteur. Ils le symbolisent même de la plus belle des façons.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport