JO 2022: Shaun White, la dernière danse (longtemps contrariée) d’une légende

Il s’est fait une frayeur avec une chute sur son premier passage, à la réception du célèbre Double McTwist qu’il avait plaqué pour la première fois il y a douze ans à Vancouver. Mais il a assuré le coup sur son deuxième et dernier run. Avec un score de 86.25, Shaun White a pris ce mercredi la quatrième place des qualifications et obtenu son ticket pour la finale du halfpipe en snowboard. "Je vais devoir appeler ma mère qui va encore me dire : ‘Tu fais ça à chaque fois’, souriait-il juste après. Je suis soulagé de pouvoir avoir mon moment en finale." Sentiment partagé. On n’imaginait pas la chose sans lui.
A trente-cinq ans, l’Américain va offrir au monde un morceau d’histoire olympique dans le snowpark de Genting. Le crépuscule d'une étoile. Triple médaillé d’or sur la discipline, en 2006 pour son introduction puis en 2010 et 2018 (quatrième en 2014), l’homme longtemps surnommé "The Flying Tomato" (la tomate volante) pour sa longue chevelure couleur feu peut devenir le premier athlète sacré à quatre reprises sur une même épreuve individuelle des JO d’hiver. Le tout pour "(s)a dernière compétition" en carrière, décision murie seul sur une montagne autrichienne en novembre, quand les conséquences sur son corps du temps qui passe ont fait tilt dans son esprit.
"Le pipe n’était pas dans les meilleures conditions, racontait-il ces derniers jours en conférence de presse, et j’avais ce problème à la cheville qui allait m’empêcher de prendre part à l’épreuve de qualification de Mammoth Mountain. J’avais toujours un problème au genou qui m’avait obligé à une opération l’été précédent. Je m’étais aussi fait mal au dos en travaillant mon physique. Alors que j’étais sur le télésiège, les pistes commençaient à fermer et il n’y avait personne autour. Je regardais le soleil se coucher et c’est venu d’un coup. Je me suis dit: 'Ce sont des signes c’est bon, c’est la fin'. C’était un moment très triste et surréaliste, mais également joyeux. J’ai réfléchi à tout ce que j’avais fait et j’ai pensé: 'La prochaine fois que je serai là, je ne serai pas stressé par une compétition ou le fait de devoir apprendre de nouvelles figures. Je serai juste là pour profiter et découvrir d’autres pistes que le halfpipe.'"
Trois fois sacré aux Jeux, treize fois en or aux Winter X-Games (quinze si on inclut ses deux titres en skateboard dans la version estivale), White reste l’icône absolue du snowboard, sa plus grande star, statut glané par ses performances planche aux pieds et par son choix de consacrer sa carrière à la quête de médaille quand d’autres préféraient les tournages vidéo pour des sponsors. Mais pour disputer ses cinquièmes JO, il a dû emprunter une route semée d’embûches. Après son sacre à Pyeongchang en 2018, l’homme qui avait pris l’habitude de prendre un break après chaque aventure olympique délaisse le pipe pour viser un autre rêve: une place aux Jeux d’été de Tokyo en skateboard. "A un moment, j’ai compris que ça allait être beaucoup plus dur que je ne le pensais et je me suis mis à me demander si je voulais vraiment abandonner le snowboard", explique-t-il sur le site de DW.
La réponse est dans la question. White décide de reprendre le chemin de la neige. Mais avec la pandémie de Covid, il doit attendre mars 2021 pour retrouver la compétition avec une manche de Coupe du monde qualificative pour les Jeux. Quatrième à Aspen (Etats-Unis) pour son retour, il aurait pu s’en satisfaire. Mais une légende ne le devient pas sans exigence absolue. Alors le discours est tout autre: "J’étais nerveux et j’ai craqué". Sa compétition suivante, en décembre à Copper Mountain (Etats-Unis), le voit prendre la huitième place. Le même mois, il contracte le Covid-19 et connaît fatigue et légère difficulté respiratoire, ce qui l’oblige à déclarer forfait début janvier à Mammoth Mountain (Etats-Unis), étape essentielle dans l’optique d’obtenir son billet pour Pékin.
En manque de points pour rejoindre l’équipe olympique US, le snowboardeur "le plus décisif de l’histoire dans les moments importants" (dixit Taylor Gold, autre Américain qualifié pour la finale olympique) doit se rendre à Laax, en Suisse, pour une dernière chance de qualification. Bingo. White pose son premier run et célèbre tout de suite avec ses fans, conscient que la performance qui lui offre le podium (troisième) va suffire pour valider son ticket. Ouf. Mais le processus, difficile, a confirmé son envie de dire stop. "A un moment, j’ai été découragé. Je m’étais mis beaucoup de pression et je me demandais si j’allais y arriver. Même si ces hauts et ces bas m’ont rendu plus fort, c’est aussi ce qui m’a décidé à me dire que c’était ma dernière."
Il fallait encore franchir les qualifs pour une finale comme apothéose avant la retraite. Mission accomplie. Libre dans sa tête, sans aucune pression sur une qualification ou sur l’après, White n’a plus qu’à se lâcher lors de ses trois passages dans le pipe – où il détient toujours le record olympique avec le 97.75 de son dernier run à Pyeongchang – avant de tirer sa révérence. Il a déjà promis "du gros", de "tout lâcher", et assure qu’il n’a "pas tout montré": "J’ai des runs en tête que j’aimerais faire. Je les visualise mais il faut y arriver le jour J. J’ai toujours la même approche: être content de ce que je produis. Tant que tu donnes ton meilleur, tu n’as rien à te reprocher."
Sa quête d’un quatrième or olympique passe par une concurrence féroce symbolisée par les deux hommes qui ont terminé en tête des qualifs, le Japonais Ayumu Hirano (leader de la Coupe du monde et médaillé d’argent en 2014 et 2018, où White lui avait pris l’or sur le fil) et l’Australien Scott James (vainqueur des X-Games en janvier). Le premier, qui a disputé les Jeux de Tokyo en en skateboard l'été dernier avec une quatorzième place sur l'épreuve du Park, possède une arme fatale: le triple cork, figure où la tête passe trois fois en bas, qu’il a été le premier à placer en compétition en décembre avant de remettre ça en janvier… mais sans s’imposer les deux fois car il n’a jamais réussi à enchaîner sans chute derrière. Et si White, qui a pris soin de ne pas écarter cette possibilité devant les médias, nous sortait du chapeau cette figure qu’il avait commencé à travailler en 2013? Pas impossible à imaginer quand on connaît le bonhomme et qu’on se souvient de sa façon d’enchaîner deux double cork 1440, pourtant réussi avant par d’autres, pour rafler l’or en 2018: "Je n’avais jamais fait placé cette combinaison mais il la fallait pour gagner".
S’il s’impose, sa légende se nourrira d’un nouveau chapitre doré. Mais quoi qu’il arrive, elle restera au firmament d’un sport où les jeunes cartonnent mais où il a su passer le test du temps. "Je dois presque me pincer car je sais combien je suis chanceux de pouvoir être là à mon âge donc je profite à fond de chaque moment. Je suis fier d’être resté aussi longtemps au top d’une discipline qui évolue en permanence. C’est mon héritage. J’espère que mes performances parlent pour elles-mêmes. J’ai toujours essayé de pousser mon sport, de progresser, de comprendre les tendances et de les devancer. Très jeune, le snowboard était la chose que je voulais le plus faire et en être où je suis arrivé aujourd’hui est incroyable. Combien d’enfants qui veulent devenir cowboy le deviennent?" Quand on lui demande ce qu’il dirait au Shaun White enfant, la réponse de la version adulte fuse: "On l’a fait!" Il aura peut-être une dernière occasion de le lâcher au bout du pipe olympique.