Lutte (Euro) : Ilman Mukhtarov tente un incroyable régime pour participer aux Jeux olympiques

Ilman Mukhtarov - ICON Sport
Ilman Mukhtarov, pourquoi avoir tenté ce pari fou de descendre des moins de 65 kilos jusqu’aux moins de 57 kilos ?
Quand je me suis fait opérer en juillet 2023 des ligaments croisés, au bout de trois semaines je me suis retrouvé seul à l’Insep. Il n’y avait personne. Les autres lutteurs, les autres sportifs étaient en stage. On était seulement une dizaine de sportifs tous sports confondus à être encore dans les murs. Il y avait un danseur de breakdance, un sprinteur, une marathonienne, on était tous ensemble au self. Je ne bougeais pas, dans ma tête c’est comme un début de dépression. Je pesais 62 kilos. Les coaches m’avaient déjà dit en rigolant que j’étais un moins de 57 kilos. La graine a été plantée comme ça pendant que j’étais en dépression. Ça a cogité parce que j’avais beaucoup de temps à perdre après l’opération. Je me suis dit ‘pourquoi ne pas se lancer dans le projet’. Comme j’aime bien les projets jusqu’au bout : revenir d’une opération des ligaments croisés, perdre entre 11 et 12 kilos ! J’aime bien les challenges.
Comment s’est passé le dialogue avec les coaches ?
Au début, j’ai parlé avec les entraîneurs. J’ai expliqué que je me sentais de le faire. Il n’y a personne en France à 57 kilos. En moins de 65 kilos, on est plus nombreux en France mais j’avais réussi à reprendre ma place en mai lors des championnats de France. Ensuite, je me suis répété que je voulais tenter l’aventure en 57 kilos et l’idée est restée.
Quel a été le processus ?
Je suis allé voir beaucoup de personnes. Les coaches ont commencé par valider le projet. Ensuite, j’ai parlé avec le kiné et le chirurgien. Je revenais des croisés. Il faut muscler et en même temps perdre du poids… Prendre du muscle pour la jambe et aussi en perdre, c’était très compliqué. Puis j’ai rencontré une diététicienne. J’ai fait un programme spécifique pour comprendre. J’étais très réticent à la diététique. Je lui ai dit ‘ je ne veux pas que tu me dises de manger ça à telle heure, tu dois me dire pourquoi je dois manger ça à tel moment, apprends-moi un peu pour que je comprenne, j’aurai plus de facilités à mettre le régime en place." Je lui ai aussi demandé qu’elle explique avec des mots d’enfants. Ça me saoulait d’entendre dire ‘tu as besoin de tant de potassium, de protéines’. Je lui disais ‘on n’a pas fait les mêmes études que vous, parlez-nous avec un langage d’enfant’. Depuis, ça va très bien.
Quels étaient vos repas ?
Au début, on était parti sur trois repas quotidiens et même une petite collation l’après-midi quand j’avais faim. A un moment tu es obligé de retirer quelque chose. La diététicienne n’était pas d’accord. J’ai répondu que si je ne faisais pas ça, j’allais rester trop lourd. Maintenant je fais deux repas par jour. Le matin c’est mon repas plaisir, limite j’arrache tout. J’ai de tout, des œufs, du pain avec du beurre, de la confiture, parfois des bols de fromage blanc avec des flocons d’avoine. Pas de limite. Il y a aussi du thé, de l’eau. L’après-midi je fais attention. Je mange un peu de poisson, de protéine. C’est un repas normal puis je suis en jeun jusqu’au matin. A 15h j’arrête de manger jusqu’au lendemain matin. Ça fait 15-16h de jeun intermittent. Je bois énormément. Au niveau de l’eau il est hors de question de se restreindre. Je perds très bien parfois jusqu’à trois kilos sur un entraînement.
Avez-vous parfois cédé à la tentation ?
Il y a des craquages. Tu es humain, tu es obligé de craquer quand tu te prives tout le temps. Le samedi, je fais une grosse perte de poids. Si je n’ai rien mangé le matin, l’après-midi je vais me faire un kif avec des croissants, un pain au chocolat. Il y a une fois où j’ai vraiment déconné. Je n’arrivais pas à me stopper, je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête. J’ai tapé un paquet de cookies. ‘Ce n’est pas grave’. Et derrière j’ai avalé un autre paquet de biscuits. J’ai essayé de me calmer et je n’y arrivais pas. A un moment j’ai retrouvé ma lucidité. C’est normal que ça arrive. Tu es tous les jours sur du vélo, tu fais une heure et avant tu as une heure de lutte. Avec Stefan Clément (-63kg) mon coéquipier, tu regardes de la bouffe tous les jours sur les réseaux, à un moment tu es obligé de te faire plaisir.
Vous l’avez regretté ?
Je ne m’en suis pas voulu. Le mal est fait. On va assumer et pédaler un peu plus que d’habitude pour le perdre.
Vous allez bien être à 57 kilos ?
La pesée est prévue vendredi. Ce matin (interview réalisée jeudi dernier), j’étais à 1,9 kg au-dessus de la limite. Le poids va être fait. Je n’ai pas le choix. Je me suis lancé dans ce projet, j’ai donné ma parole, je dois assumer. On va faire le poids mais il faut être dans une bonne forme. Ça va le faire.
Vous êtes devenu un vrai moins de 57 kilos ?
C’est une catégorie légère qui bouge pas mal comme les 65 kilos. Depuis le début du régime c’est mentalement que j’ai évolué. Le régime ça te forge. Quand tu es tout le temps en train de serrer les dents, que tu vois que tout le monde mange normalement… En janvier, j’allais tous les matins à 7-8h à la salle pour perdre mon poids. Tu es tout seul et tu te dis ‘qu’est-ce que je fous là’. Tout à l’heure dans le sauna avec Stefan Clément on se regardait en rigolant. ‘On est malade de faire ça, à perdre dix kilos, à perdre le poids dans un sauna à en avoir mal à la tête’. Quand tu aimes le sport ça ne s’explique pas. Au niveau mental je suis devenu une machine de guerre. Serrer les dents, tenir, ce n’est pas facile mais on tient.
Les Europe avant les TQO au printemps...
C’est la première étape, c’est un tremplin vers la suite. Si je peux prendre une médaille ça serait avec plaisir !
Il y a eu des moments chauds ?
Quand le coach m’a demandé mon poids en novembre j’ai répondu ‘ça va coach’. Il m’a fait monter sur la balance. Je faisais 68 kilos ! Je ne l’avais jamais vu dans un état comme ça, il criait. ‘Onze kilos mais tu te moques de moi !’. Les autres étaient là ils criaient ‘il se moque de moi il fait 11 kilos de plus’. Pendant deux jours il a répété ça. Il me rendait fou. On a fini par le faire. Il ne m’a pas mis la honte. En fait il a paniqué. Je me suis dit qu’il avait raison et que je devais me réveiller. On a choisi d’arrêter la musculation et on est reparti sur du cardio tous les jours. Pour l’instant ça s’est bien goupillé.
Vous savez que vous n’allez pas devoir faire d’écarts jusqu’aux JO si vous vous qualifiez ?
Dans ma tête c’est régime et serrage de dents jusqu’à août. Ça va faire mal et on va continuer.