Lutte: Ghanem déclaré co-champion d'Europe, un premier titre depuis 30 ans pour un Français

Ibrahim Ghanem lors de son dernier titre de champion du Monde des -72kg, en septembre 2023 à Belgrade (Serbie). Ce dimanche, le lutteur français a rajouté l'or européen à son palmarès. - Icon Sport
La lutte peut être un sport collectif. Derrière Ibrahim Ghanem, il y a des coachs et au-dessus d'eux la Direction technique nationale. Ensemble ils ont refusé de voir s'écrire un scénario avec une erreur pour rajeunir l'historique de la lutte gréco-romaine en France. Ghanem a effacé des tablettes Ghani Yalouz comme dernier français champion d’Europe de lutte gréco-romaine, c'était en 1995.
"C'est un truc incroyable. Je suis trop content. Ça fait 30 ans que la France n'avait pas fait de médaille d'or en championnat d'Europe. C'est trop loin", rigole Ghanem en quittant la X-Bionic Sphere de Bratislava.
Quelques minutes plus tôt, ce n'est pas son bras que l'arbitre a levé mais celui du jeune Levente Levai, 20 ans. Une victoire 4-4 décidé sur le critère du dernier point marqué. Mais il y a eu une erreur pendant le match. A 4-1, la deuxième passivité du Français n'aurait pas dû ajouter un point au total du Magyar.
Les Français ont vu l'erreur, ont demandé le challenge vidéo mais la table n'a pas compris le point à investiguer. Sur le tapis, Ghanem, vaincu, a répété "Why ?" à l'arbitre. "A 4-4 Je me suis dit que j'avais peut-être raté quelque chose. J'accepte de perdre mais là personne ne pouvait me donner la réponse. L'arbitre a dit 'on fait la photo'. Je me suis dit que c'était mort mais tout le monde a vu qu'il y avait une erreur. Tout le monde était choqué", rembobine celui qui est né égyptien avant de devenir français il y a cinq ans.
"On a pas pu le fêter sur le tapis, mais c'est écrit dans l'histoire"
L'encadrement français file voir les pontes de l'arbitrage. Rapidement, un consensus se dessine autour d'une erreur de cotation pendant la finale. Sur le podium, un cacique annonce à Ghanem que sur décision de la fédération internationale il est co-champion d'Europe avec Levai: "C'était bizarre. On aurait pu fêter ça avec le drapeau sur le tapis. Je n'ai pas pu le faire mais ça reste écrit dans l'histoire tout de même."
Lorsqu’on l’a croisé la semaine précédent l’Euro sur le tapis de lutte à l’Insep, celui qui est Français depuis 2020 était à la peine. D’autres costauds passent toutes les minutes pour essayer de l’arracher du sol bleu. Aucun ne parvient. "Ibra" peaufine ses défenses, élément primordial en lutte-gréco-romaine lors des phases de passivité.
Pourtant, le champion du monde 2023 semble ruminer. Il n’a pas envie de parler. L’esprit était déjà tendu vers l’objectif slovaque. Ghanem, qui mériterait le surnom de Demolition Man pour sa faculté à briser la résistance adverse dans les trois dernières minutes, a mal commencé son périple vers l’or.
Le Turc Mehmet Sahin mène 4-0 après quelques secondes. C’est le moment choisi par le Français pour débrider son physique. Il passe une voire deux vitesses dans l’intensité et presse son adversaire comme un raisin destiné au raki. Dans la deuxième reprise de trois minutes, il récolte les fruits de son malaxage à la garde (7-4). Contre le Moldave Petic (8-0) il utilisera la même méthode pour le briser à petits feux. Le Lituanien Sleiva, craquera sur une sortie de tapis. Bien avant le coup de sifflet final il n’osera plus s’approcher des mâchoires de Ghanem, même avec un seul point à remonter.
Un Euro déjà terminé sur une égalité l'an dernier pour Ghanem
En finale, il y a avait ce jeune Hongrois au visage adolescent. Une bonne graine qui se fait les dents sur les gros tournois seniors depuis deux ans avec un certain succès puisqu’il s’est imposé à Zagreb cette année. A Bratislava, il a surpris l'Azerbaïdjanais, champion du monde et d'Europe, au premier tour.
"C'est un costaud, c'était très serré. Pourtant quand j'ai vu le tirage je me suis dit que c'était certain que je le batte", se souvient Ghanem.
Le combat aurait dû se terminer sans l'erreur d'arbitrage à 4-3 en faveur du Tricolore. Il a failli revoir la même fin qu'il y a deux ans lorsqu'il s'incline aussi sur une égalité en finale de l'Euro (7-7).
En trois saisons, il a conquis deux des trois titres majeurs de la lutte. Ghanem appartient à une catégorie non olympique. L’an passé, il avait tenté de grimper chez les moins de 77 kilos pour se qualifier aux JO. Son style si efficace chez les moins de 72 kilos n’avait pas eu le même effet contre des combattants qui dépassent les 80 kilos en période d’entraînement.
Chez les moins de 72 kilos, il confirme qu’il est dans son jardin. C'est une fin d'Euro en apothéose pour les Bleus. Une finale minimum dans chacun des styles c’est du jamais vu pour le collectif tricolore sur la scène européenne.
Pour trouver trace de quatre finales, il faut remonter à l’édition 2005 mais seulement deux styles avaient obtenu une récompense. Des enfants d’Egypte comme Ghanem, de Russie comme Tatiana Debien (-55kg), de Tchétchénie comme Khadjiev et Arsamerzouev (-79kg et -65kg) ont mené cette belle équipe de France offensive et résiliente. Une semaine prometteuse qui peut insuffler une nouvelle énergie vers Los Angeles 2028. En France, il y a Demolition Man et les constructeurs.