"Montagnard", "joueur dans l'âme", "fantasque mais travailleur", qui est Edgar Grospiron le boss d'Alpes 2030

C'était déjà un 13 février et sur la piste de bosses du site de Tignes. Il tombait "des flocons gros comme des pièces de cinq francs", dixit Jean-Claude Killy. Le patron des JO 1992 d'Albertville avait même passé un coup de fil au moment de l'échauffement à l'entraîneur du bosseur français, grand favori de ces Jeux à domicile pour savoir si les conditions météo lui allaient. Ou s'il préférait un éventuel report: "Non, je me suis préparé pour ce jour, on n'annule pas", répond alors Edgar Grospiron. Dans sa mythique combinaison multicolore et avec un masque assorti à dominante rose, sans casque sur la tête à l'époque, Edgar Grospiron s'élance dossard 16: "Je suis à l'attaque comme je veux l'être et je déroule." Il avale les bosses dans une purée de pois. 31''23 plus tard, dans une folie indescriptible il franchit la ligne d'arrivée et brandit déjà le poing vers le ciel. En vainqueur: "Tu as un soulagement, tu as l'impression d'être shooté. Tu es bien, sur ton petit nuage."
"Edgar il aimait bien mettre la pression à ses concurrents directs en faisant des effets d'annonce", se souvient son entraîneur Nano Pourtier. "Il aimait bien jouer." Même avec ses coéquipiers à qui il lance le matin du Jour J des JO de 1992: "Il fait un temps à devenir champion olympique…" Ou à ses concurrents: "Ils ont un problème, c’est moi" ou "mon seul adversaire, c’est la piste" lors des Mondiaux à la Clusaz en 1995.
"Au fil des années le personnage s'est épaissi, il s'est assagi"
Il se crée son personnage qu’il "médiatise" à sa guise, quand il balance aux médias cette punchline: "Je fais le régime différencié: une semaine (vin) blanc, une semaine (vin) rouge…" Sauf qu'il ne boit pas, excepté une coupe de champagne à l'occasion… "C'est un joueur dans l'âme mais derrière il y avait une grosse préparation qu'il ne montrait pas aux autres", continue Pourtier. "Il a toujours été sérieux à l'entraînement. Et ce côté-là il ne voulait pas le montrer. Il voulait montrer le côté fanfaron pour mettre la pression aux autres. Il aimait bien se donner l'image d'un skieur fantasque, mais derrière il y avait un athlète qui travaillait et qui était organisé."
La veille de cette Saint-Valentin 1992, la France tombe amoureuse de ce showman, avec une médaille d'or olympique autour du cou: "C’était assez fou et d'ailleurs ça l'a un peu dépassé", abonde Nano Pourtier. "Il s'est un peu brûlé les ailes parce que derrière ça a déclenché des blessures, moins d'entraînement donc moins de performances. Mais il a su rebondir comme tous les champions. A un moment il faut aller tutoyer le ciel pour se brûler les ailes comme on dit. Il l'a gouté et en a tiré les leçons. Et au fil des années le personnage s'est épaissi, il s'est assagi, il est posé. Il a bien grandi."
Deux ans plus tard à Lillehammer, il prendra la médaille de bronze olympique, avant de raccrocher les skis après un troisième et dernier titre mondial, chez lui à La Clusaz. Diminué après une blessure à la cheville, il s’attèle à rester le meilleur, surtout que sa dernière course sera chez lui, là où il a découvert le ski à 10 ans. Une piste de bosses (et un gâteau) porte son nom dans la station de Haute-Savoie.
Une reconversion en conférencier
Les skis rangés, Edgar Grospiron se cherche et trouve un temps refuge comme rédacteur en chef de Ski Français, un mensuel consacré au… ski où il défend toutes les formes de glisse à une époque où le ski alpin s’essouffle un peu auprès de la jeune génération. Gilles Chappaz, journaliste – écrivain et historien du milieu se souvient: 'Il se cherchait un peu et cette collaboration lui a permis de faire le point et il a commencé à imaginer devenir 'coach' à travers des conférences car il voulait formaliser ce qui lui avait permis de devenir le champion qu’il fut. Il avait une vraie conviction au fond de lui qu’il devait matérialiser les ressorts de son ascension et transmettre'". Il devient conférencier, avant que ce ne soit vraiment à la mode et avec la même énergie que sur les bosses enneigées, comme dans cette vidéo où on le voir faire son entrée sur scène à Bercy et où il lance en ouverture de sa conférence: "J'aurais tellement adoré que la conseillère d'orientation de mon collège à Annecy le Vieux me voit ici, je me souviens elle égrenait les notes de mon carnet. Mais Grospiron qu'est-ce qu'on va faire de vous? Je lui ai répondu vous je ne sais pas, mais moi je vais faire champion du monde de ski."
Jean-Marc Cither, directeur général d'Assa Abloy France, géant de la serrurerie a fait appel au champion olympique pour intervenir devant ses salariés: "Il a une capacité à emmener les gens, il le fait avec une aisance incroyable un peu comme quand il traversait les bosses. On a l'impression que c'est facile. C'est subjuguant."
"Inspirant et brillant"
Des interventions qu'il mène "comme un one man show avec un fil conducteur mais une capacité d'en sortir et d'y revenir. Pour moi il est inspirant et brillant." Le chef d'entreprise imagine totalement Edgar Grospiron dans le costume de patron de l'organisation Alpes 2030: "Il va avoir cette capacité à emmener le grand public, les médias, les politiques dans un projet car il a cette capacité de mobiliser les gens et d'attirer les énergies pour servir le projet."
"Découvreur" mais aussi confident du désormais patron des JO de 2030, Gilles Chappaz résume et abonde: "Je me souviens des JO de 1988 à Calgary où sa discipline, les bosses, sont en démonstration. Et là au fond de la forêt, devant 5.000 personnes, il met le feu, il fait le show et gagne une médaille. A lui-seul, il démontre que cette discipline le ski de bosses peut avoir ce côté drôle, festif, joyeux mais aussi technique et sportif. Le CIO a compris ce jour-là qu’il fallait l’inscrire aux JO d’Albertville."
Un costume moins coloré que ses combinaisons de bosseur qu'il a déjà enfilé en 2010 quand il a pris la tête de la candidature d'Annecy pour les Jeux de 2018: "Il est à l'aise partout", se souvient l'ancien maire d'Annecy, Jean-Luc Rigaut qui l'avait nommé en tant qu’ambassadeur, avec à ses côtés, un préfet, Pierre Mirabaud. "Comme quand son sport lui a appris: dans les bosses, on se rattrape tout le temps. En un coup de rein, on peut changer de direction. Il est porteur, positif, il a l'expression facile."
Fin 2010, il s'était retiré de la présidence du comité de candidature d'Annecy pour les JO de 2018: "Je prends mes responsabilités je ne suis pas l'homme de la situation", expliquait-il à l'époque. "Je quitte mes fonctions mais je reste à disposition pour faire gagner la candidature." Il déplorait à l'époque le manque de budget alloué à la candidature. Les échos dans les montagnes des Aravis et ailleurs rapportent qu’il ne voulait pas faire coller son image à cette défaite (déroute …) puisqu’il avait compris à l’époque, que le tour de l’Asie pour les JO était venu, après avoir fait étape dans la Russie de Poutine en 2014.
Quinze ans plus tard, l’homme a "pris du volume", dixit Gilles Chappaz. "Il arrive avec plus de plus de maturité", complète avec bienveillance son ancien entraîneur Nano Pourtier. "Il fédère vraiment, aussi bien les compétences que les entrepreneurs. Et il a une facilité à transmettre à organiser, à promouvoir donc je pense que c'est l'homme de la situation aujourd'hui." Avis partagé par Jean Luc Rigaut: "Il était à nos côtés avec Jean-Claude Killy qui a joué un rôle dans sa 'formation'. Dans ce rôle, il sera bien car depuis 2009-2010, il s'est mâtiné et il a pris de la maturité. Il a forcément progressé dans sa gestion. Il a une grande qualité, c'est de savoir s'entourer. Je me réjouis que ce soit lui."
"C'est un montagnard et il connaît le milieu de la montagne", avance le vice-champion olympique de slalom en 2002, Sébastien Amiez. "Il a ce relationnel politique qui est important aussi on l'a vu avec Tony Estanguet. Et il a l'expérience aussi d'un champion olympique. Il a deux facettes. C'est le fanfaron que l'on a connu jeune avec de l'ambition et l'envie de gagner. Ce qu'il a réussi à démontrer quand il était au sommet de son art. Et en murissant il a su devenir un homme d'affaire et conférencier reconnu. Il en fait entre 80 et 100 par an. On peut lui faire confiance."
Un profil qui semble convenir au monde sportif: "C'est quelqu'un qui a une aura, une prestance et qui sait s'exprimer", assure Luc Alphand. "Fédérer c'est quelque chose de complexe mais il a au moins déjà la légitimité sportive. Il va falloir évolue dans un autre monde avec de la politique. Mais je pense que le monde sportif est derrière Edgar."
"Il aura le verbe juste"
Avec une case supplémentaire cochée par l’ancien bosseur, il saura faire face au… bashing que peuvent entraîner les JO et les sports d’hiver", explique Gilles Chappaz, grand connaisseur du "bonhomme": "Il aime la montagne, les montagnards, le ski, les stations, les athlètes. Il en connaît tous les rouages et étant issu de ce milieu là, il a une légitimité à dire que lui, en premier, ne veut pas l’abîmer cet espace vital pour tout un peuple. Il aura le verbe juste."
Et il saura être inspirant, comme lui a rappelé récemment, lors d’un rassemblement d’anciens, un autre 'grand' du monde de la montagne, Franck Piccard: "Je ne te l’ai jamais dit mais à notre génération, notamment Luc Alphand et Jean-Luc Crétier avec qui nous formions les 'top guns' dans les années 80, tu nous as servi de modèle dans ta façon d’aborder les entraînements avec sérieux et implication, mais une forme de légèreté qui ne dessert pas, au contraire", lui a révélé la voix nouée, le triple médaillé olympique, dont l’or en Super G à Calgary. Un adoubement fait devant les anciens internationaux du ski français, d’une voix qui compte dans les Alpes, comme celui en coulisses de Jean-Claude Killy, qui a toujours vu en ce champion qui dit ce qu’il va faire et qui fait ce qu’il a promis, une lointain successeur… Avec désormais à 55 ans, un rôle qui rappelle celui du triple champion olympique de Grenoble en 1968. Toute ressemblance avec des faits déjà existants n’est peut-être pas totalement fortuite!