Mondiaux de judo: Boukli, la revanche s'est préparée dans l'ombre

Etre la reine des tournois mais pas celle des grands championnats, Shirine Boukli en a assez goûté. Laisser la couronne à d’autres, fini pour elle. De prétendantes internationales talentueuses, elle voit maintenant débouler dans la salle de bal, une jeune femme qu’elle connait depuis ses années collège au pole espoir de Montpellier, Blandine Pont. Après avoir écarté Mélanie Legoux-Clément de la route vers les JO 2020 grâce au titre européen 2020, celle qu’on surnomme ‘Mini-Corps’ a trouvé une nouvelle adversaire sur son palier.
"On s’entend bien", avoue Boukli. Constat partagé par Pont, vainqueur de trois gros tournois de rang. "La concurrence est saine. Elle est performante et moi aussi. Il n’y aura qu’une place sur le long terme. Ca nous pousse à progresser." Numéro une mondiale des moins de 48 kilos, Boukli s’était fait une spécialité des tournois. A Paris, début février (malade), elle s’éclipse après huit minutes de combat contre la Sud-Coréenne Lee. Elle fait l’impasse sur le tournoi de Turquie (que Pont va gagner) pour se préparer dans l’ombre et récupérer de cet état de fatigue prolongé.
Freiner le bolide Boukli, ce n'est pas facile
"Ça a été très long, reconnait Kilian Le Blouch, son entraîneur au club de FLAM 91 (Essonne). Presque six semaines pour qu’elle retrouve un état de santé correct. Il a fallu peut-être lui faire prendre conscience de certaines choses. J’ai utilisé un outil sur la variabilité de la fréquence cardiaque pour lui montrer. Je lui ai dit ‘il faut que tu sois dans un état de santé irréprochable pour que tu puisses t’entrainer correctement’." Freiner le bolide Boukli, pas facile. La judoka de 24 ans est un petit bâton de dynamite. Comme son judo. Elle s’est éloignée de l’Insep depuis sa défaite au deuxième tour des Mondiaux 2022.
Boukli fait maintenant ses séances techniques, sauf une, et sa préparation physique avec Le Blouch, ex-médaillé européen en -66kg et féru de techniques d’entraînement. Elle ne se rend dans le bois de Vincennes que pour les randoris. Un focus particulier a été mis sur les gauchères et le travail au sol, en se rendant chez le spécialiste de jiujitsu brésilien Olivier Michailesco. Son retournement (Reiter) étant strictement contrôlé par les arbitres, un nouvel enchaînement a été débuté.
Boukli tête de série numéro un
Le plus gros travail a effectué sur les rythmes d’entraînement comme le détaille Kilian Le Blouch. "C’est quelqu’un de très explosif qui n’a pas besoin de la même dureté. Elle a besoin de gros volume mais on a fait en sorte que ses intensités soient mieux réparties dans ses semaines. L’idéen ce n’était pas de la changer mais de renforcer ses points forts et de rajouter des détails. Comme tous les gains marginaux, c’est fastidieux, ça demande du temps pour ancrer ces changements."
Avec Romane Dicko (+78kg), Boukli est la seule Tricolore tête de série numéro un sur ces Mondiaux. Un privilège à prendre avec des pincettes. A Tashkent l’an passé, la Kazakhe Abuzhakynova l’avait surprise au deuxième tour. Depuis son déboulé sur la scène internationale senior fin 2020 avec le premier de ses deux sacres européens, Boukli n’a jamais été classée aux Mondiaux en deux participations. Elle a passé presque tout le tableau à la moulinette de ses mouvements de hanche. Elle n’a pas trouvé la faille face à la Japonaise Natsumi Tsunoda sur leur seule confrontation. En quart de finale, elle est potentiellement opposée à la petite Wakana Koga qu’elle a déjà envoyée valser. "Je suis à fond, je suis focus, répète Boukli, tel un boxeur. Je me suis un peu éloignée de tout. Ça m’a fait du bien, d’être dans ma petite bulle, un peu dans l’ombre. C’est ce que j’avais besoin, je veux arriver à fond quand personne t’attend. Gagner le tournoi de Paris ça arrivera, mais d’abord il y a les Mondiaux. Et moi je préfère les titres." Après l’ombre, la lumière ?
Dentiste, tapis, photos... Les trois passions de Blandine Pont
Numéro trois mondiale des moins de 48 kilos après des victoires à Paris, Tel-Aviv et Antalya, la Montpelliéraine s’épanouit en-dehors du tatami. Etudes de dentiste, photographie et fabrication de tapis, la touche à tout de l’équipe de France raconte ses passions. Future dentiste, elle va entamer sa 5e année d’études.
"On a une partie théorique que je fais à distance. Je rattrape les cours seule. Il y a une partie pratique où faut aller travailler à l’hôpital. Je le fais tous les mercredis. Je passe toute la journée à l’hôpital et ensuite je vais à l’entraînement le soir à Champigny-sur-Marne (Val de Marne). Je vais aussi parfois courir avant. On a une responsabilité. On traite des gens, il faut donc être focus, avoir de la concentration. C’est assez fatiguant. Parfois le mercredi soir je suis éclatée mais c’est passionnant."
Toujours avec son appareil photo, elle a documenté le stage des Bleues au Japon. "Je cherche de l’émotion. Quelque chose que je vois et j’ai envie de le montrer au travers de ma photo. Au dernier stage j’ai pris les filles en photo en judogi avec un objet qui les représente en dehors du tatami pour monter l’athlète et la femme, j’ai trouvé ça super. Ce qui est bien dans l’argentique c’est de ne pas avoir le résultat tout de suite. Tu l’as 2-3 semaines après et ça te fait revenir au moment où tu as pris cette photo. Parfois la photo est ratée, parfois elle est super, c’est comme un gosse qui attend un cadeau."
Le soir, elle dessine et conçoit ses propres tapis. "Quand j’ai envie de m’évader, je mets de la musique dans mes oreilles et je fais des tapis. Je m’imagine le tapis et ensuite je le dessine. Puis, je le fais sur ma tablette, et enfin je le mets sur ma toile. Je tisse ça mets de nombreuses heures. C’est trop cool d’avoir un objet concret que j’ai fait moi-même. Ca m’évade ça me fait penser à plein de choses. J’ai des commandes maintenant, ça devient cool. Les gens aiment bien.