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Mondiaux de judo: "Le plus important, c'est d'être championne olympique", confie Agbégnénou

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Dix mois après son accouchement, Clarisse Agbégnénou visera une médaille mercredi lors des championnats du monde de judo à Doha. Dans la catégorie des -63 kg, la Française sait qu'elle pourra être inquiétée mais pense déjà aux JO de Paris.

Clarisse Agbégnénou, vous avez disputé beaucoup de championnats du monde, vous en avez gagné. Est-ce que le monde d’emploi est le même maintenant que vous êtes maman?
J’ai le mode d’emploi. Par contre, c’est le même mode d’emploi mais sans avoir les mêmes ingrédients. C’est compliqué car il me manque pas mal de choses. C’est dommage d’avoir ces championnats du monde avancés au mois de mai (contre au mois d’août d’habitude, NDLR)). Si ces Mondiaux avaient eu lieu en octobre ç’aurait été parfait pour moi. Il faut faire avec les armes qu’on a. A l’heure qu’il est (l’entretien a été réalisé début avril), je peux faire une médaille. Pour gagner il va me manquer un petit peu. Un championnat du monde est tellement différent pour les uns et les autres que ce sera peut-être le moment où je serais libérée; et qu’au contraire les autres ne le seront pas, je vais y aller et pouvoir accrocher la médaille d’or. Par rapport à mon expérience en championnat du monde, je sais qu’il m’en manque un petit peu. Quand j’étais championne du monde la première fois en 2014, il me manquait aussi un petit peu. On verra ce qu’il peut se passer. Dans ma tête, je veux accrocher la médaille. Si je suis dans un bon jour et que tout se passe bien, je vais y aller pour davantage. Je donnerai tout ce que j’ai pour accrocher la médaille d’or.

Un championnat réussi serait de repartir avec une médaille individuelle, c’est ça ?
Je suis consciente du changement que j’ai eu. La grossesse et tout ce que ç’a impliqué, des efforts que je suis en train de faire. Je veux être championne olympique. Si je fais une médaille ou pas, et que derrière je suis championne olympique, je n’y penserai plus.

Dans votre première carrière, vous étiez quasiment invincible. Dire ça, à ce moment, c’est montrer une faiblesse à vos adversaires ?
Je leur dis ‘allez-y mais je serai là, si vous voulez essayer c’est le moment’. Le plus important c’est d’être championne olympique. Si c’est le moment de me battre, elles seront contentes d’être championnes du monde. Mais si c’est pour perdre à Paris, je pense qu’elles auraient préféré l’inverse. Je leur laisse les Mondiaux et plus rien derrière!

Vous avez perdu contre l’Australienne Haecker et la Kosovarde Fazliu lors de votre seul tournoi, à Tel-Aviv (7e). Elles étaient folles de joie de vous battre. Ca prouve à quel point c’est un événement pour ces judokas de parvenir à vous dominer mais aussi combien vous avez dominé les débats avant votre grossesse.
J’ai bien senti ça. ‘Attends je reviens d’une grossesse’. Ces filles sont restées sur la Clarisse que j’étais avant. J’ai eu le temps de m’entraîner. Elles devront se dire ‘elle était costaud à Tel-Aviv, elle a eu le temps de travailler donc il faudra s’en méfier’. C’est bien. Ca me fait une petite pique psychologique.

Vous êtes une bonne technicienne mais vous construisiez aussi vos succès grâce à votre physique. Avez-vous senti lors de votre retour que les filles réagissaient moins à votre impact physique?
Il me manquait beaucoup de quantité judo. Je n’avais travaillé que 3 semaines après une blessure au genou à l’automne (6 semaines d’arrêt).J’ai beaucoup fondu. J’ai travaillé en musculation. Ca commence à revenir. J’ai le temps d’être prête sereinement. Je leur concocte aussi des petites surprises au sol.

On vous voit souvent vous entraîner avec Olivier Michailesco, l’un des meilleurs spécialistes français de jujitsu brésilien. Il vous fait travailler votre judo au sol, le ne-waza. Vous semblez y avoir trouvé du plaisir et un axe de progression important?
Oui! J’aime beaucoup travailler avec Olivier. C’est top de travailler le JJB. On apprend. C’est une autre pensée. C’est un apprentissage. Il donne son cœur, il donne tout pour que je puisse y arriver. C'est bien de se sentir accompagnée, à la recherche de nouveautés. On travaille sur de nouvelles choses pour que ça paye. J’ai hâte de montrer ça aux championnats du monde.

Pendant votre grossesse, avez-vous continué à suivre attentivement le judo mondial ou alors avez-vous rouvert le livre en même temps que votre retour? On parle des autres filles mais aussi de l’arbitrage.
J’ai ouvert le livre en même temps que je suis revenu. J’ai vu certaines règles mais c’est lorsqu’on y est confrontée qu’on se rend compte. J’ai été très surprise à Tel-Aviv à ce niveau. Je suis en train de m’y remettre. Il y a des jeunes judokas qui arrivent. D’autres anciennes sont toujours là. On est pas mal. C’est bien, il y a de la diversité. Ca montre que ça évolue.

Votre carrière est faite. Vous n’avez rien à perdre à revenir sur ces Mondiaux ou en faites-vous une question d’honneur de performer en revenant de maternité ?
Ca serait bien s’il y une petite médaille que je suis toujours là. Je serais déçue sur le moment s’il n’y a pas de médaille mais ce n’est pas une fin en soi. C’est très bien d’être où j’en suis, faire un championnat du monde 10-15 mois après une grossesse. Je tiens à dire que je reviens pour les JO à Paris. S’il y a des ajustements à faire en attendant Paris je les fais, du moment que je suis championne olympique en 2024!

Le judo est un sport de combat. En face, la fille veut vous faire mal. Maintenant, vous avez un enfant à la maison. Il y a le risque de rentrer amochée. Peut-être que l’on met la pédale douce. Vous pensez à ça?
Ca peut m’arriver mais je suis à l’écoute de mon corps. Je ne me suis pas beaucoup blessée dans ma carrière. Je suis toujours concentrée en compétition. Je fais des choses précises, je suis affutée. C’est vrai qu’il y a un manque de sommeil donc ça peut arriver. Quand je me suis blessée au genou je n’ai pas poussé. Je ne vais pas faire la ‘warrior’ à dire ‘c’est un championnat du monde tu y vas’. Il y a autre chose, il y a des JO. Je préfère faire marche arrière parce qu’il y a ma fille et les Jeux Olympiques derrière.

Quels sont les messages qui vous ont fait le plus plaisir pendant votre maternité ?
Ce sont ceux des coéquipières qui ont fait les Jeux Olympiques avec moi à Tokyo et qui continuent sur Paris 2024. Elles me disent ‘tu vois tu continues, c’est top, tu as l’air en forme, tu as moins de cernes que moi, la petite a l’air vraiment bien.’ Quand tu entends ça tu te dis que tu as fait le bon choix. Lors du stage au Japon, je voyais que toutes les filles étaient fatiguées. C’est que le judo est dur tout simplement.

Etes-vous privilégiée d’avoir pu faire un enfant et reprendre votre carrière? Vous êtes numéro une, championne olympique, championne du monde. Une numéro 2 comme Manon Deketer, qui rêve de vous dépasser pour aller aux Jeux ne peut pas se le permettre car elle perdrait du temps à passer leader.
J’en suis consciente. Si j’avais été à la place de Manon je me serais de continuer ma carrière jusqu’à Paris. J’en ai parlé avec des judokas brésiliennes. Elles me disaient que j’étais folle, que je risquais de couper ma carrière alors que je gagne tout. J’ai répondu que mon envie était plus forte. Je n’ai pas envie qu’on me dise ‘j’ai ma place’. J’ai envie de la mériter. C’est aussi pour ça que je veux faire une médaille aux Mondiaux. L’an passé, Manon a terminé 3e des Mondiaux. Elle était là et d’un coup je prends sa place. Je suis une compétitrice. J’ai envie de prouver que j’ai pas ma place et que je ne la prends pas parce que j’ai été championne olympique et du monde il y a 2 ans.

Vous allez retrouver l’une de vos grandes adversaires, la Japonaise Takaichi (ex-Tashiro). Elle a vaincu une dépression et s’est mariée. Ca fait saliver de vous retrouver face à face.
On va se retrouver. J’espère que ça ne sera pas dans les premiers tours car je ne suis pas bien classée. Ce serait bien en phase finale de s’affronter. On se retrouve encore après s’être arrêtées pour changer de vie. J’ai hâte. C’est avec ces filles comme ça qu’on augmente notre niveau. C’est grâce à ce genre de fille qu’on fait bien parler du judo. 

Djalo, le moment de confirmer

Il est le masculin français le mieux classé en arrivant à Doha. Le Parisien pointe au 5e rang mondial de la jungle des moins de 81 kilos. Mérité pour Djalo qui vient d’enchaîner quatre podiums consécutifs sur de gros tournois (Tokyo, Masters, Paris, Antalya) et en battant quelques jolis scalps. Sa progression entamée depuis les JO, où il était absent, se poursuit de manière linéaire.

Prochaine étape ? Confirmer en championnat du monde : "J’ai senti que je progressais, j’ai pris de l’assurance, je prends beaucoup plus de risques mais je suis plus intelligent dans mon judo. On me prend au sérieux aujourd’hui. Maintenant c’est le Alpha qui fait des beaux combats mais peut les gagner."

L’an passé aux championnats du monde, en outsider, il avait été sorti au deuxième tour par le Géorgien Grigalashvili, celui qui devait triompher au final. Djalo a déjà battu le mammouth géorgien. Demain, il sera dans le quart de tableau du Brésilien Schimidt et du Japonais Nagase, champion olympique. Plus rien qui ne l’effraie.

Morgan Maury