RMC Sport

Natation: "J'espérais une ambition plus grande pour les équipes de France", les regrets de l'ancien DTN

placeholder video
Depuis le 1er mai il n'est plus le DTN de la natation française et a pris ses fonctions de directeur technique national de la fédération de canoë-kayak. Julien Issoulié a passé huit ans à la tête de la direction technique de la Fédération Française de Natation. Alors qu'il avait indiqué continuer sa mission à l'issue des Jeux de Paris, il a finalement décidé de partir. Sa décision a surpris en interne. Il explique son choix de quitter la FFN.  

Julien Issoulié, votre départ a surpris, pourquoi avoir décidé de finalement quitter votre poste ?

Julien Issoulié : Ça a été un processus en plusieurs étapes. Après les Jeux on était tous très fatigués et on savait qu'il y allait avoir le temps électoral (les élections à la tête de la fédération ndlr) même si chez nous il y avait pas trop de surprises (Gilles Sézionale, seul candidat, a été réélu ndlr). On avait besoin de tous se poser et réfléchir. En parallèle je me posais la question de savoir comment on allait pallier le départ de Jacco (Verhaeren), quelle nouvelle dynamique il allait falloir mettre en place. On a commencé à revoir l'organisation avec Denis Auguin (directeur des équipes de France) et avec les autres entraîneurs nationaux pour essayer justement de garder le bon équilibre qu'on avait et la bonne dynamique de travail du staff. La deuxième partie c'était de se demander ce qui nous manquait, où est-ce qu'il fallait que l'on soit meilleur. Et tout ce travail-là ce n'est pas juste lié à l'organisation, c'est aussi lié aux moyens que tu peux consacrer et à la stratégie plus globale de valorisation des nageurs, des coachs, etc... Et là j'avoue que je ne voyais pas trop les choses avancer.

Quand tu ajoutes à ça qu'au final, avec les élus, on n'a pas vraiment eu de discussion sur le bilan des Jeux... Il est pas mal, mais on est tous d'accord qu'on aurait pu faire un peu mieux. On est tous contents vu d'où on revient d'avoir fait ça. C'est quand même bien, mais il y avait quand même de la marge pour faire mieux et la possibilité de construire un truc plus solide pour l'ensemble des disciplines. Mais on n'a jamais eu cette discussion. Au bout d'un moment ça a commencé à me peser. En janvier je me suis dit que finalement, c'était peut-être à moi de laisser la main à quelqu'un d'autre. Et à quelqu'un d'autre de prendre cette responsabilité-là parce que moi je ne voyais plus trop les possibilités d'avancer.

La Fédération Française de Natation s'est un peu trop contentée de ce qui s'était passé à Paris ?

Je crois que ça a fait du bien à tout le monde d'avoir fait ces Jeux. On a fait des médailles, on en a loupées quelques-unes. Et au final, par exemple, que la natation artistique termine 4ème au lieu de 3, sachant que là il va y avoir un gros turn-over de l'équipe, c'est un point de vigilance. Qu'est-ce qu'il faut qu'on fasse, où faut-il qu'on investisse ? En natation course on peut être super content des médailles, mais tu sais aussi que maintenant il va falloir qu'il y ait un renouvellement. Comment les jeunes, notamment ceux qui sont aux US, vont revenir et comment on les accompagne vers les médailles ?

Comment un gars comme Maxime (Grousset) on lui remet un projet olympique, parce que je suis sûr qu'il a de la marge encore pour 2028. Comment on construit ça ? Quand tu additionnes tous ces petits détails, pareil en plongeon, en water-polo où t'es à la fin d'une génération. Il y avait quand même pas mal de sujets sur lesquels il fallait prendre le temps de se poser et d'investir. Mais on ne m'a jamais vraiment demandé comment faire. J'ai l'impression que c'était : "de toute façon ils ont réussi à faire un truc, ça va continuer comme ça". Et moi ce n'est pas trop ce que j'espérais.

Vous regrettez de ne pas avoir été entendu par vos dirigeants, eux vous reprochent votre départ alors que vous leur aviez dit dans un premier temps rester...

Je leur ai dit, je reste après les Jeux parce que je pensais qu'il y avait des choses à faire. Mais si tu ne vois pas les choses aller dans le bon sens, après on est tous libres de pouvoir faire ce qu'on veut. J'ai été placé par la ministre pendant huit ans pour faire cette mission-là, ça a été fantastique. Si nos points de vue ne sont plus exactement alignés, qu'on n'a plus les mêmes ambitions, qu'on n'a pas forcément les mêmes attentes sur certains sujets, je crois que ça ne sert à rien de s'entêter. Autant se séparer et chacun fera sa route dans son coin.

Vous attendiez plus d'ambition de la part des dirigeants ?

Je ne sais pas si j'attendais plus d'ambition, mais j'attendais que le projet sportif des disciplines et des équipes de France prenne plus de place dans la stratégie globale de la fédération. Et ça ce n'est pas qu'en termes budgétaires où déjà c'est quand même en proportion beaucoup moins que dans d'autres fédérations. J'espérais que l'on puisse avoir une ambition un peu plus grande sur les équipes de France et avoir un peu plus de moyens."

En quasiment huit ans au poste de DTN, qu'est-ce que vous gardez de votre passage ?

On a la chance d'avoir un athlète exceptionnel (Léon Marchand) donc on peut se dire que c'est un peu biaisé. Mais on a battu le record de nombre de finales aux JO et même largement. Donc ça montre qu'il y a aussi une densité qu'il n'y a jamais eue à ce niveau-là. Même si ce n'est pas satisfaisant parce que ce ne sont pas médailles, ça veut dire qu'il y a quand même de la qualité chez les entraîneurs, les clubs et les athlètes pour arriver à ce niveau et qu'il y a encore du travail à faire. On est tous conscients de ça. Je suis content de ce niveau sportif qui est retrouvé, je suis content qu'on ait réussi à le faire dans l'olympiade sur toutes les disciplines. Toutes ont montré qu'elles pouvaient être performantes. Dans une fédération qui a plusieurs sports, c'est toujours compliqué d'avoir cet équilibre. Quand il y a des bonnes personnes aux bons endroits, on peut y arriver, sans avoir des moyens de dingue ça marche quand même. Le travail et une bonne organisation ça paye. Je suis très content sur une discipline qui à la base n'est pas la mienne que l'on ait réussi à fédérer un nombre d'acteurs assez important.

Julien Issoulié quitte la natation et rebondit à la fédération de Canoë-Kayak.
Julien Issoulié quitte la natation et rebondit à la fédération de Canoë-Kayak. © Icon Sport

Que ce soient les entraîneurs, des staffs, des scientifiques qui ont augmenté ce qui a été fait pour accompagner les projets sportifs. Je suis assez fier de cette organisation-là. Et je vois que ça avance sans ma présence et c'est bien. Le système est prêt et construit pour que les gens soient un peu en autonomie et organisent, ce qui n'était pas forcément le cas il y a quelques années.

Et puis il y a toutes les mini réussites qu'on a pu avoir en termes de stratégies pour le haut niveau comme l'appart de Léon (le Toulousain bénéficiait d'un appartement loué par la fédération à quelques mètres de la Paris La Défense Arena pour lui éviter les longs allers-retours au village olympique avec son programme de courses chargé ndlr), comme certaines optimisations de la performance sur des analyses de données. Pas mal de petits détails comme ça qui font que cette expérience professionnelle est assez incroyable. Ça reste une vraie histoire et un travail collectif qui pour moi restera vraiment gravé dans ma tête."

Quel est pour vous l'héritage des Jeux pour la natation ?

Une chose est sûre, c'est que les gens ont vu en presque huit ans qu'on pouvait travailler ensemble. Qu'on pouvait avoir des temps d'action en commun, qu'on pouvait faire des stages en commun, faire des compétitions ensemble, que les coachs pouvaient travailler ensemble et même travailler avec différents sportifs et que ça fonctionne. Ça je crois que c'est vraiment à garder.

Je crois vraiment que c'est leur capacité maintenant à réussir à rester solidaire et à ne pas tomber dans des petites querelles inutiles. Il y en aura toujours, mais en tout cas les gens n'ont pas besoin de se faire la concurrence pour y arriver, et en travaillant ensemble ils y arrivent. J'espère que ça pourra perdurer dans le temps parce qu'on a vu que ça permettait de travailler dans un environnement agréable et d'avoir quand même un chemin vers des performances. Donc autant ne pas se faire de mal et voir les choses positives.

Êtes-vous surpris de la situation actuelle de la Fédération Française de Natation qui n'a toujours pas de DTN pour vous remplacer, et qui est en conflit ouvert avec le ministère ?

Je trouve que c'est dommage de se mettre en conflit avec le ministère parce que c'est quand même grâce au ministère qu'on arrive à faire plein de choses aujourd'hui. La fédération dispose de 64 cadres techniques, d'un certain montant d'aide à l'année sur les projets. Donc même si on peut toujours se dire qu'avec plus ça serait mieux, ce n'est quand même pas anodin et je trouve que c'est dommage d'en arriver à ça. Et en plus que ça devienne public. Qu'il y ait des divergences de points de vue, ça arrive tous les jours et c'est aussi dans notre travail de ne pas être toujours d'accord. Mais que ça fasse une publicité, du bruit autour de ça, ce n'est pas du tout ce que j'espérais. J'espérais que la transition se ferait le plus facilement possible.

Je vous avoue que j'imaginais qu'on aurait un ou une DTN avant mon départ. J'imaginais même pouvoir travailler avec de manière à pouvoir bien donner les informations. Alors je les ai données à Denis (Auguin nommé DTN par intérim) qui va faire l'intérim, mais ce n'est pas pareil. Je trouve ça dommage parce qu'il n'y a pas trop de temps à perdre et il faut avancer. Il n'y a plus que trois ans maintenant pour vraiment préparer les jeux de Los Angeles.

La natation française doit faire face à l'exil vers les États-Unis de quelques-uns de ses nageurs, comme Léon Marchand.
La natation française doit faire face à l'exil vers les États-Unis de quelques-uns de ses nageurs, comme Léon Marchand. © Icon Sport

Même si les équipes techniques sont en place, tu perds du temps de remettre les gens bien alignés sur les projets. Tout le monde se questionne un peu sur qui sera nommé, quelles vont être les priorités, est-ce que moi ça impacte mon travail ? Ça crée de l'incertitude qui dans ces environnements-là n'est jamais hyper sécurisante et hyper confortable pour tous les acteurs. On perd un peu de temps et j'espère qu'ils vont trouver quelqu'un très rapidement.

Vous débutez une nouvelle mission dans un sport, le canoë-kayak, que vous allez découvrir...

C'est assez excitant de démarrer dans une autre fédération. J'ai un peu connu ça avec le passage du water-polo à la natation course où je ne connaissais pas tous les acteurs. Là, c'est quand même très différent. Je ne connais vraiment personne pour le coup, mais j'arrive quand même dans une fédération qui a une culture de la performance régulière, qui a toujours eu des champions. Certains champions sont devenus encadrants donc il y a un terreau qui est propice à faire du bon travail. Il y a quand même des chantiers comme sur la course en ligne qui a un vrai sujet de restructuration pour retrouver des performances. Pour le slalom, comment on peut arriver à continuer ce qui a été bien fait et peut être arriver à faire mieux. Et puis il y a aussi le tout ce qui est paralympique que moi je n'avais pas vraiment appréhendé sur la natation et c'est assez excitant. C'est aussi une fédération qui est tournée sur l'écologie, le milieu naturel et tout ce qui est en rapport avec l'eau. C'est assez excitant et enthousiasmant.

Julien Richard