L'édito de l'After: La thérapie du docteur Cazarre

Alerte, poésie de tribune Auteuil (à chanter sur l’air des Bronzés) : “les Marseillais c’est des pédés dar la dir la dada; des fils de putes, des enculés, dar la dir la dada; et par les couilles on les pendra, dar la dir la dada; oui mais des couilles, ils en ont pas, dar la dir la dada”. La rime fonctionne, le chant est entraînant. Pour un hymne de supporter, c’est le minimum. Si en plus ça permet de chatouiller l’honneur des rivaux historiques — les supporters de l’OM — les adeptes ne se font pas prier.
Samedi soir dernier au Parc des Princes, lors de PSG-Strasbourg, ce chant a été entonné pendant plusieurs minutes par le Collectif Ultras Paris. Le speaker a bien tenté d’interrompre “Nous travaillons activement à bannir les comportements discriminatoires et à promouvoir un environnement respectueux”, en vain. Quelques minutes après le sketch, le nouveau ministre des Sports sortait de son armoire à sanctions et en rajoutait une louche “Le gouvernement sera intraitable dans la lutte contre toute forme de discrimination”. L’habituelle boucle de la provocation se répète : insultes-indignations-sanctions-nouvelles insultes-nouvelles indignations-nouvelles sanctions. Jusqu’ici rien n’avance.
Chant historique ?
“Ce n’est pas un chant considéré comme homophobe chez nous, répond le CUP dans L’Equipe de lundi. C’est un chant historique et une insulte envers les Marseillais, comme on pourrait dire n’importe quelle insulte”. On ne fait pas d’insulte sans casser des œufs. C’est vrai. Tel est d’ailleurs le paradoxe de l’insulte : plus on s’indigne, plus elle fonctionne. Car elle n’a pas pour objet de dire la vérité (encore heureux) mais de réduire son destinataire à une particularité qui serait méprisable (ici les pratiques sexuelles).
Sur la forme, le CUP a raison. Ce chant a bien été entonné pendant des dizaines d’années au Parc des Princes sans que personne ne l’écoute. Mais l’époque a changé. Les campagnes de sensibilisation ont fonctionné et désormais on écoute ce qu’on chante. Sur le fond, le CUP a donc doublement tort. D’abord, parce que nul ne peut plus se prévaloir d’une tradition de la haine. Ensuite, parce que si l’homophobie perdure, elle a changé de nature. Elle ne se réduit plus à entonner un chant homophobe pour se moquer de son rival. Non, est homophobe l’attitude consistant à poursuivre son refrain alors qu’on sait pertinemment qu’un chant ne choque plus que ceux à qui il n’était pas destiné.
Ordonnance
Enfonçons une grande porte ouverte : un groupe ultra se rapproche davantage d’une classe de collégiens turbulents que d’un colloque de métaphysiciens. Il convient donc de placer nos attentes à cette juste hauteur. Je vous vois venir. Faut-il pour autant renoncer à châtier les chants homophobes ? Bien sûr que non. Mais le registre disciplinaire ne suffit pas. On ne guérit pas du grégarisme et de la bêtise à grand coup de déclarations catastrophées ou d’interdiction de stades. Une autre méthode est indispensable: “châtier les mœurs en les riant”. Cette loi de la comédie résume en une phrase le rôle historique des humoristes (et des philosophes) : se moquer de nos travers pour nous dissuader de récidiver.
Afin d’enrayer la machine à indignation, il est donc urgent de suivre la thérapie de choc du docteur Julien Cazarre illustrée dans une vidéo — malheureusement entre temps sacrifiée sur l’autel de la bienveillance : se planter devant un parcage des South Winners micro à la main et jouer le chef d’orchestre de ses propres insultes. “Julien Cazarre, Julien Cazarre, Julien Cazarre c’est un pédé !” En arrêtant de tout prendre au tragique, d’un coup, la bêtise des propos est retournée aux envoyeurs et le mépris est corrigé en éclats de rire. Il ne s’agit plus de dominer ou d’humilier mais de parier sur l’intelligence de celui qui écoute. Médecin, humoriste ou supporter, notre ordonnance tient en une seule maxime : “Inversons le sens du crachat”.