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XV de France: "Il ne faudra pas laisser les Anglais espérer", estime Jauzion

En 73 sélections, Yannick Jauzion a remporté trois Tournois des VI Nations (2004, 2007, 2010), dont deux Grands Chelems (2004, 2010). L’ancien centre du Stade Toulousain, que d’aucuns considéraient à l’époque comme le meilleur au monde à son poste, avait battu les Anglais lors de la dernière journée en 2010. Et il sait ce qui attend la nouvelle génération des Bleus samedi au Stade de France.

Douze ans après, quel souvenir vous reste du Grand Chelem 2010 ?

La cohésion d’un groupe. Car l’année d’avant, avec le même groupe, nous n’avions pas fait un bon Tournoi (3e avec trois victoires et deux défaites, ndlr). En 2010, c’était flagrant. Il y avait une dynamique, une stimulation. C’est le souvenir que j’ai. Comme quoi on peut arriver à avoir une performance complètement différente, en ayant une meilleure cohésion.

Y a-t-il des similitudes, ou des différences, entre 2010 et 2022 ?

Des similitudes, il y en a probablement. Je parlais de la cohésion du groupe… Après, l’équipe d’aujourd’hui est vraiment différente. Ça n’a rien à voir, ce n’est pas du tout la même histoire, le même passé. Toujours est-il que quand on est sur le terrain, il y a toujours cette nécessité d’avoir un collectif solide, la confiance qui règne au sein du groupe et puis avoir envie de dominer l’adversaire tout simplement.

Vous ressentez cette cohésion actuelle chez les Bleus ?

Là, forcément. Ils sont dans une dynamique plus que positive. C’est porteur. Ils ont cette ambition de pouvoir accrocher quelque chose samedi prochain. Et oui, forcément, c’est palpable.

Avec la défense en point fort ?

Les succès de l’équipe de France ont toujours été basés principalement sur la défense. La conquête et la défense. Et ça le sera toujours d’ailleurs. Là, ils ont été accompagnés par quelqu’un de spécialiste (Shaun Edwards) qui a beaucoup apporté. Et on sent qu’ils maîtrisent. Car ce qui a été impressionnant au pays de Galles, c’est qu’ils ont beaucoup défendu, mais avec très peu de pénalités sifflées contre eux. Et à partir de là, ils peuvent mettre en avant toutes les individualités qu’ils ont. Par rapport à nous en 2010, c’est ce qu’ils ont en plus: de grosses individualités, des joueurs techniques qui sont capables de varier le jeu.

Est-ce que ces quatre victoires de suite, sept même si on remonte aux tests de l’automne, vont donner une confiance énorme aux Français ?

Oui. L’enchaînement de victoires donne une confiance, apporte un plus. Mais ceci dit, quand on rentre sur le terrain, c’est quand même en partie remis en cause. L’adversaire est là, il est de haut niveau et les scénarios de matchs sont compliqués. On l’a vu entre les Anglais et les Irlandais le week-end dernier. Une décision de l’arbitre peut faire basculer un match. Ça ne se joue à pas grand-chose à chaque fois. Donc oui, le potentiel y est, la confiance aussi.

Mais ça peut s’effriter aussi. C’est pour cela que l’équipe de France a progressé ces dernières années: elle est d’un niveau vraiment compétitif, mais il y a encore une marge de progression pour atteindre les meilleurs, les plus réguliers, comme les All Blacks, même si on les a battus à l’automne. Donc après, c’est dans la régularité qu’il faut travailler.

Ce dernier match n’est donc pas cousu de fil blanc… 

Non, non. Même si c’est les Anglais, ce n’est pas cousu de fil blanc (sourire). Et ce sera un match difficile, car les Anglais aiment ce genre de matchs. Ils n’ont pas été récompensés contre les Irlandais, par rapport à la mission qu’ils avaient.

J’ai l’impression qu’ils sont bien physiquement dans ce Tournoi, ils ont un dix (Marcus Smith) qui leur apporte une autre façon de jouer qu’auparavant et ils auront envie de démontrer. Les Anglais, ils veulent dominer. Alors oui, je pense qu’on sera très solides en défense, mais il ne faudra pas les laisser espérer.

Vous avez connu ce même final en 2010 face à eux, avec un match très serré également (12-10).

En 2010 je me souviens très bien du match. Ils étaient venus avec beaucoup d’engagement. Comme en mission… et d’ailleurs, ils auraient mérité de gagner. Je me souviens de la physionomie du match et je sais qu’ils joueront comme ça samedi, avec beaucoup d’engagement. Alors même si des fois on s’y prépare, on est parfois surpris de l’intensité qu’ils mettent. C’est ça qui est assez bluffant. Alors parfois ça ne dure pas tout le match. Mais attention, parce qu’à mon avis, ils vont démarrer fort.

Comment aborder cette dernière semaine, ce dernier rendez-vous ?

Je ne suis pas manager de l’équipe de France, et certes c’est vrai il faut la victoire pour ce Grand Chelem en jeu, mais ce qui est important c’est de regarder le contenu. Quand on est près de l’objectif, on n’a envie de ne penser qu’à ça, mais il y a quand même la Coupe du monde dans pas longtemps.

Donc il faut travailler sur le contenu pour que les joueurs puissent se régaler et avoir des repères, des actions références. Parce que si on joue petits bras, ça n’amène pas forcément grand-chose. Donc ne pas se concentrer que sur l’objectif peut être une solution pour bien aborder ce match. Mais le préparer comme ils l’ont fait pour les autres. Mais je ne pense pas qu’ils seront anéantis par l’évènement, loin de là. Au contraire, ils seront galvanisés.

Comment se matérialise cette pression ?

C’est le fait de beaucoup en parler dans la semaine, il y a toujours un peu de pression supplémentaire et inconsciemment, ça joue. Mais c’est plutôt positif, on n’a pas le couteau sous la gorge. Ce n’est pas un match couperet de Coupe du monde, non. Là, ce n’est que du bonheur. Donc je pense qu’ils vont en profiter.

Vous, l’ancien trois quart centre (73 sélections), avez vu débuter Gaël Fickou à vos côtés au Stade Toulousain. Et samedi il va vivre sa 71e sélection à seulement 27 ans…

À 27 ans, c’est énorme. Gaël est quelqu’un de très régulier, très en jambe, qui ne se fait jamais déborder. Avec ses qualités athlétiques, il a la classe internationale. Il est dangereux avec sa vitesse, sa puissance et en plus il apporte son expérience. Alors oui, plus de soixante-dix sélections à son âge, s’il continue, il peut battre un record.

Voyez-vous un éventuel Grand Chelem comme un tremplin pour la Coupe du monde ?

Eux, groupe, staff, doivent le voir comme ça. Ça permet de mettre une pression sur les adversaires. Tous les médias font aussi ce travail. Et ça, c’est important, car ça se joue dans l’inconscient. Et puis après pour l’organisation de la Coupe du monde, pour les supporters, pour le rugby. Donc oui, ce serait forcément porteur.

Remarquez-vous que les discussions tournent de nouveau autour des Bleus ?

Oui, on parle du rugby français. Les gens sont contents de voir que l’équipe de France est à la hauteur, à son niveau, par rapport à ce qu’elle faisait il y a quelques années. Donc c’est sûr qu’à un an de la Coupe du monde, c’est forcément intéressant, ça apporte une émulation. Et on le voit au niveau des jeunes, dans les écoles de rugby.

Les gamins sont contents de leur équipe de France, ils ont comme référence les joueurs de l’équipe de France et non pas les joueurs étrangers. Il y a de très bons joueurs étrangers, mais c’est bien d’être un peu chauvin (sourire).   

Propos recueillis par Wilfried Templier