RMC Sport
EXCLU RMC SPORT

NFL: une mère martiniquaise, une jeunesse difficile… Yannick Ngakoue, joueur des Colts, raconte son parcours

Yannick Ngakoue - NFL

Yannick Ngakoue - NFL - AFP

Defensive end des Indianapolis Colts, Yannick Ngakoue présente des origines françaises, par sa mère, qui l’ont poussé à porter un casque aux couleurs de la France. Pour RMC Sport, il raconte son parcours.

"Est-ce que je dois dire de rien ?" Yannick Ngakoue articule quelques mots de français pour démarrer l’interview. Il est midi à Indianapolis. Le defensive end des Colts prépare un déplacement à Tennessee pour affronter les Titans ce dimanche à 19h (heure française). Le défenseur a été le seul joueur de NFL à arborer un drapeau français sur son casque lors des deux week-end internationaux. Sa mère, le point d’ancrage de sa vie, est Martiniquaise. Ce joueur de l’escouade défensive est téléguidé par le quarterback adverse qu’il doit plaquer. Après 7 saisons, Ngakoue compte déjà 58 sacks sur le stratège adverse. Déjà sélectionné une fois au Pro Bowl, il s’est sorti d’une jeunesse commencée dans le dénuement. Sa mère l’a sauvé lui et son frère d’un père violent et d’un appartement rempli de cafards et de rats. Pour RMC Sport, il raconte cette jeunesse et sa volonté farouche d’être un homme bien, d’aider sa famille et les autres.

Yannick Ngakoue, quels sont vos liens avec la France, avec la Martinique d’où est originaire votre mère ? Est-ce que vous connaissez quelques mots ?

C’est une longue histoire. Ma mère a grandi en Martinique. Puis elle est venue dans le Sud de la France à l’université. J’ai encore de la famille dans le Sud. Tous les jours de ma vie, j’ai entendu parler français à la maison.

Vous avez des expressions favorites en français ? Des mots…

J’aime copier ma mère. Quand elle est énervée et qu’elle jure en français c’est hilarant. Il y a un mot qu’elle avait l’habitude d’utiliser quand quelque chose n’allait pas, c’était merde. Vous voyez ce que je veux dire, c’est comme 'damned' en anglais. Il y a quelques mots comme ça, bonsoir, à demain.

Et la culture française, la musique, les films, la nourriture ?

J’aime la France. Je dirais que j’aime l’Europe en règle générale. J’aime l’afrobeat. De Paris tu vas à Londres qui n’est qu’à une heure. Pour la nourriture, tu peux avoir des soucis avec les croque-monsieur (en français) et les crêpes (rires), mais aussi la nourriture des Antilles. J’aime beaucoup de choses.

A quel moment avez-vous compris que vous viviez dans une famille qui n’était pas comme les autres ?

Tous les jours, je voyais que ma mère n’était pas heureuse. A ce moment-là, je me suis dit que quelque chose n’allait pas. Tu n’as pas les bonnes fournitures ou il manque à manger dans le frigo. Là tu te dis que ça cloche.

Pouvez-vous nous raconter la vie avec votre père ?

Je ne dirais pas que c’était difficile. C’est davantage le fait de ne pas recevoir de conseils, de ne pas être là dans le présent. Ma mère était à la fois ma mère et mon père. Elle m’a montré l’exemple, m’a donné les standards, comment bien me comporter en tant que jeune homme dans ce pays.

Il y a eu de la violence physique et verbale de votre père envers votre mère ?

Ça a eu lieu deux fois. Grâce à Dieu ça n’a pas eu lieu trop de fois. On a déménagé au bon moment. Ma mère a pris mon frère et moi sous son bras et on a quitté cet appartement (pour le Maryland).

Qu’a fait votre mère pour que vous et votre frère ayez la vie la plus normale possible ?

Elle a fait le meilleur ou du moins le mieux qu’elle pouvait. Elle a abattu un sacré boulot. Je suis vraiment content de pouvoir l’appeler maman.

Qu’est-ce que ça faisait d’aller à l’école le ventre vide ou sans les bonnes affaires, avec votre frère ?

C’était différent (des autres). Pour moi c’était la norme. Cette période m’a permis d’être la personne que je suis aujourd’hui. Vous ne pouvez rien prendre pour acquis. Vous ne pouvez pas savoir comment les choses vont évoluer, elles peuvent même empirer. Je dis que ça ne doit pas être une excuse si vous devenez une mauvaise personne. Au contraire, c’est une opportunité d’être quelqu’un de bien, s’en sortir et devenir fort.

Pouvez-vous nous raconter l’anecdote du sandwich, pendant vos années de fac à Maryland

Je devais m’acheter à manger. La carte bleue de ma mère a été refusée. J’ai laissé le sandwich et je suis rentré dire à ma mère que ça carte ne passait pas. Je suis content que cette histoire me soit arrivée. Elle m’a permis de creuser plus profond. Je me suis dit que je devais changer à tout prix cette situation financière pour que ma mère ne souffre plus jamais.

Vous viviez dans une maison remplie de cafards, de rats. J’ai même lu qu’un jour vous aviez retrouvé un opossum dans le frigo ! C’était l’enfer !

Ah oui ! On a eu droit à tout ! C’était fou. Vous savez je ne suis pas la seule personne à avoir traversé ça. Aujourd’hui encore, les gens de ce quartier (à Washington) peuvent vivre je genre de choses. Je suis béni d’avoir trouvé le moyen de sortir de là.

Comment fait-on pour vivre quand on entend le bruit des rats le soir ?

C’est comme ça quand tu grandis dans ces endroits-là. Comme je viens de le dire, des personnes de ma ville et dans toutes les villes vivent dans des mauvais endroits, des maisons insalubres et ils n’ont pas de quoi se payer les affaires pour vivre comme le reste de la société.

A quel moment vous êtes-vous dit ‘je veux partir, je veux donner à ma mère et à mon frère la meilleure vie possible’ ?

Dès l’enfance. Je voulais rendre ma mère heureuse, prendre soin de ma famille. Cette envie-là est en moi depuis très petit.

Cette période de votre vie vous a donné de l’appétit, de la rage de devenir joueur en NFL ?

Oui, absolument. C’est un petit personnage sur ton épaule qui te permet de contrôler ton agressivité. Tout ce que tu as vécu tu le gardes en toi. Et tu le ressors le dimanche quand tu joues au football.

Au lycée ou à l’université, avez-vous pensé que vous n’étiez plus qu’à quelques marches de sortir votre famille des ennuis ?

A ma dernière année de lycée à la Friendship Collegiate Academy (Washington D.C.), j’ai vu qu’il y avait l’opportunité de jouer dans une université qui est dans Division-I. J’ai senti que si j’arrivais à passer cet écueil j’aurais une chance de devenir joueur professionnel.

Quand vous êtes drafté en 2016 par Jacksonville, en 69e position, ça y est vous pensez premier contrat, avec l’argent ce sera la fin de tous les soucis de famille ?

Oui. Ma mère (infirmière militaire) a vraiment arrêté de travailler en 2020. Elle bosse encore mais rien à voir avec les horaires et l’intensité de travail qu’elle avait avant ça.

Avez-vous de la colère sur vos débuts dans la Ligue ?

J’ai adoré mes 4 ans à Jacksonville. J’ai adoré les moments partagés avec mes coéquipiers aux Jaguars. Les choses n’arrivent pas par hasard. Je suis à Indianapolis maintenant. Je n’ai que 27 ans, il me reste encore beaucoup de temps à jouer. Je ne regarde pas dans le rétroviseur.

Avant Indianapolis vous avez évolué dans quatre franchises (Jacksonville, Minnesota, Baltimore, Las Vegas). Avec laquelle avez-vous le plus de regrets ?

Je n’ai pas de regrets du tout. Je suis béni. Je me suis sorti d’une situation de base difficile.

Pas de revanche avant d’affronter les Raiders le 13 novembre lors de la 10e journée (leader de l’équipe en sacks après une saison il avait été envoyé à Indianapolis) ?

Non je n’y ai passé qu’une saison. Ce n’est pas comme avec Jacksonville (4 ans). Ca ira.

Vous venez d’arriver aux Colts. Vous pensez qu’à cet instant de carrière vous êtes dans la bonne franchise, au bon moment ?

J’ai des sacrés joueurs avec moi. On se rend tous meilleurs les uns les autres.

Avant d’affronter Tennessee ce dimanche, les Colts sont à 3 victoires, 2 défaites et 1 nul. Quels sont vos rêves collectifs et personnels avec cette franchise ?

Je souhaite que l’équipe continue de gagner et ça conclura à des réussites individuelles.

Quelle est votre relation avec Frank Reich, l’entraîneur en chef ?

C’est un super gars. Il est très humble. Il t’apporte beaucoup de sagesse. Il te permet d’être toi-même. Je l’aime beaucoup.

J’ai lu quelque part que vous comptiez votre nombre de sacks et que vous mesuriez le chemin à parcourir pour finir avec le record c’est vrai ?

En fait, le plus important à mes yeux c’est que l’on se souvienne de moi comme un grand joueur et une encore meilleure personne. Comme l’un des meilleurs à mon poste de defensive end. Je ne suis pas le plus costaud, le plus fort mais je sais ce que je dois faire pour arriver au quarterback adverse.

Comment vous présenteriez-vous à quelqu’un qui ne vous a jamais vu jouer.

Un gars explosif qui vient d’un côté, qui peut traverser la ligne. Et en tant que personne l’une de celles qui a le plus les pieds sur terre. J’aime rester à la maison avec ma famille, ou me balader.

Qu’est-ce que vous choisissez entre une victoire au Superbowl et une entrée au Hall of Fame ?

Je prends le Superbowl parce qu’il t’aide à entrer au Hall of Fame.

Vous parlez souvent de devenir une bonne personne. Vous venez régulièrement en aide aux mères seules avec des enfants, des parcours qui ressemblent au vôtre.

Oui ! vous voyez la connexion. On en a parlé au sujet de ma mère. Elle a traversé les mêmes épreuves. Avec ma plate-forme j’essaye de renvoyer cet amour aux mamans de la région de Washington qui vivent les mêmes choses que j’ai traversées.

Propos recueillis par Morgan Maury