
Mondiaux de biathlon: Martin Fourcade raconte Emilien Jacquelin, sa personnalité et ses qualités
Emilien Jacquelin est de retour en piste ce mercredi aux championnats du monde de biathlon à Pokljuka, en Slovénie. Trois jours après avoir conservé son titre mondial de la poursuite, le Français dispute l’individuel 20km (14h30). Un format qui ne lui a jamais réussi, puisque c’est la seule épreuve où il n’est jamais monté sur un podium de Coupe du monde. Contrairement à son illustre aîné Martin Fourcade, qui en avait fait son royaume avec quatre titres mondiaux et l’or olympique en 2014 et... qui sera présent ce mercredi à Pokljuka pour assister à la course. Le quintuple champion olympique est resté très proche d’Emilien Jacquelin, avec lequel il s’est entraîné pendant plusieurs années dans le Vercors. Les deux biathlètes vivent dans la même région. Et Martin Fourcade, le retraité, a partagé plusieurs séances d’entraînement avec Emilien Jacquelin sur la période de préparation avant ces Mondiaux. Il raconte.
Pas vraiment bluffé par son tir de dimanche
"Non je n’ai pas été bluffé parce que je sais qu’il en est capable. Après, c’est exceptionnel d’arriver à faire aux championnats du monde, le jour J, le jour où on l’attend sur cette poursuite qu’il avait cochée et dont il était champion du monde en titre. Ça, c’est une énorme performance. Impressionné, ça voudrait dire que je n’y croyais pas un petit peu avant et ce n’est pas vrai."
Du Fourcade chez Jacquelin ?
"Non, justement il n’y a pas de rapport parce qu’on a des approches très différentes. On en a beaucoup discuté avant les Mondiaux et Emilien est un tireur d’instinct qui a besoin de cette attaque, qui aujourd’hui ne maitrise pas encore d’autres facettes du tir pour y arriver. Il a besoin d’attaquer à l’extrême comme ça, chose que je savais moins bien faire que lui. On a vraiment deux styles de compétition très différents. Je suis tellement heureux qu’il ait réussi, au-delà des aspects techniques sur lesquels je m’attarde à tenir simplement la barre. C’est quelque chose de mental."
C’est qui Emilien pour Martin ?
"C’est un homme qui est plein de paradoxes. C’est vraiment dur de dire qui il est, autant il y a des personnes qui sont assez faciles à définir, autant Emilien est quelqu’un d’assez pluriel. Il est éclectique. Il va aimer aussi bien le classique que le rap, le ski de fond que le basket. Ça en fait quelqu’un qui est assez difficile à cerner et je crois qu’en tant que biathlète, c’est un peu pareil. C’est quelqu’un qui peut dégager une confiance en lui énorme, comme lors de la poursuite, mais qui aussi au quotidien est pétri de doutes. Et c’était par exemple le cas lors de sa préparation aux Mondiaux. C’est cette alliance de ces facettes qui le rendent riche. Je trouve que c’est quelqu’un qui est très agréable, qui est franc, avec lequel il n’y a pas de calculs. C’est ce qui fait qu’on a bien accroché de suite avec Emilien. Il n’y a pas de filtres, on se dit les choses. Et ça nous permet de partager plein de choses."
Leurs moments passés ensemble avant les Mondiaux
"J’ai senti qu’il avait besoin d’un peu de sérénité. Et je crois que j’ai beaucoup appris moi pendant ma carrière avec Stéphane Bouthiaux sur ce volet-là. Stéphane était toujours là, à m’accompagner positivement et à me conforter dans ce que je faisais. Emilien, c’est un athlète qui doute beaucoup, qui remet beaucoup de choses en questions. Et j’avais envie de me servir un peu de l’expérience qu’a pu m’apporter Stéphane dans les derniers jours avant la compétition pour pouvoir lui permettre de juste pointer le doigt et lui faire comprendre que ce qu’il fait est bien. Après ses deux médailles individuelles, tout doute est levé pour lui, mais je le vivais aussi comme ça à l’approche des Mondiaux. C’est souvent une grande remise en question, beaucoup de doutes. Si j’ai pu l’aider ne serait-ce que 0,001% sur cette course à gagner en confiance, c’est toujours ça de pris et c’est aussi ce qui fait basculer les courses du bon côté. Je ne sais pas si c’était important pour lui, mais j’ai senti qu’il en avait besoin et c’est pour ça que je me suis prêté au jeu avec grand plaisir. Mais avec beaucoup d’humilité parce que je n’étais pas sur la piste à sa place pour réaliser le 20 sur 20."
Jacquelin, crack en construction
"Ce qu’il est arrivé à réaliser sur la piste, c’est fantastique, et il est déjà un très grand biathlète. Mais je suis persuadé que pour être un immense biathlète, il devra compléter son jeu. Aujourd’hui, il gagne avec ses courses à l’attaque comme il l’a fait l’an dernier et cette année. Ce dont il va avoir besoin, ce n’est pas d’aller contre sa nature, mais de diversifier son jeu pour pouvoir s’adapter à toutes les situations. Aujourd’hui, il ne le fait pas assez et ça se voit sur ses courses depuis le début de saison où il a parfois été excellent et parfois un peu moins bien. Pour gagner en régularité et optimiser ses chances de répondre présent le jour J, il doit avoir dans ses cartes ce panel et cette diversité. Sur ces dernières semaines, il n’a pas réussi à le mettre en application, et revenir à ce qui fonctionne bien chez lui a été la clef de sa réussite aux Mondiaux."