Mondiaux de ski: pourquoi l’équipe de France féminine est très loin des grandes nations

"On ne va pas faire dix médailles, on le sait, mais on est là pour jouer nos chances". La phrase signée Alberto Senigagliesi, juste avant le début des Mondiaux de ski à Cortina d'Ampezzo, résume presque à elle seule l'état d'esprit général des troupes. Car si le directeur des équipes de France féminines ne se fait que peu d’illusions sur la capacité des Bleues à briller lors de cette quinzaine italienne, il n’en garde pas moins un optimisme de façade nécessaire pour insuffler un semblant d’ondes positives à ses ouailles, composantes fébriles d’une équipe très resserrée, faute de prétendantes suffisamment performantes à sélectionner, notamment après les retraites surprises en plein milieu de saison des descendeuses Jennifer Piot et Joséphine Forni.
En effet, à l’exception de Tessa Worley en slalom géant, il est aujourd’hui difficile d’imaginer, dans quelque discipline que ce soit, une Française se mêler à la lutte pour le podium lors de ces Mondiaux. "Chez les filles, on est en difficulté depuis quelques années, déplore ainsi le président de la Fédération française de ski Michel Vion. Donc on essaye de reconstruire avec des plus jeunes et on cherche à leur faire prendre de l’expérience."
Incarnation dans les épreuves de vitesse de cette nouvelle génération lors des championnats du monde à Cortina, Tifany Roux (23 ans) a obtenu sa première sélection alors qu’elle n’a pas encore pris dix départs en Coupe du monde. Elle n’est même pas qualifiée pour la descente de ce samedi matin. Sa coéquipière Laura Gauché, également sélectionnée pour la première fois pour des Mondiaux, en est déjà à 82 départs (Coupe du monde, Jeux olympiques et Super G de jeudi), mais n’a jamais fait mieux qu’une douzième place, lors du combiné alpin des JO de PyeongChang en 2018.
Troisième sélection pour des Mondiaux en revanche pour Tyffany Gauthier, dont l’émotivité et les multiples blessures ne lui ont pour l’instant jamais permis de faire mieux que trois quatrièmes places en 65 départs au plus haut niveau. "Tiffany a été plusieurs fois à quelques centièmes du podium cet hiver, et à chaque fois il y a eu de petites erreurs, explique Alberto Senigagliesi. Elle se met beaucoup de pression, mais il faut juste l’amener dans les meilleures conditions de confiance et de tranquillité pour qu’elle fasse ses meilleures courses." Une sérénité qu'elle a semble-t-il encore une fois peiné à trouver jeudi lors du Super-G, 21e à 2’20 de Lara Gut-Behrami. Elle est arrivée les yeux rougis par la déception en zone mixte pour répondre aux questions des journalistes.
Plus un podium en vitesse depuis 2013
Si le constat dressé peut sembler un peu dur, il convient malgré tout de le tempérer légèrement. Car il est vrai, l’équipe de France féminine n’a pas été vernie par le sort ces derniers mois. Que ce soit en vitesse avec Romane Miradoli (blessure) ou en technique avec Clara Direz (embellie pulmonaire), elle a vu partir à l’infirmerie cet hiver ses deux valeurs les plus montantes. Deux filles en pleine progression dont Michel Vion imagine volontiers qu’"elles auraient pu jouer le podium lors de ces Mondiaux" dans leurs disciplines respectives.
Mais même avec des circonstances atténuantes, les Bleues semblent encore très loin du top niveau. En 2013, aux Mondiaux de Schladming, les filles de l'équipe de France avaient rapporté deux médailles d’or à la délégation française, avec Tessa Worley en géant et Marion Rolland en descente. Depuis, la vitesse féminine française n'a obtenu qu'un seul podium, toujours en 2013, par le biais de Marie Marchand-Arvier, troisième d'une descente à Méribel. Et si l'on regarde encore plus récemment, une statistique est particulièrement éloquente : 19 des 20 derniers podiums français en Coupe du monde féminine ont été obtenus par la seule Tessa Worley, dont trois cette saison.
D'anciennes championnes françaises ont proposé leur aide, en vain
Alors comment expliquer cette disette structurelle chez les Bleues ? L’une des raisons avancées viendrait du manque d’expérience global des filles de l’équipe de France. Car si "elles s’entraînent bien et bossent beaucoup", précise Florence Masnada, ancienne descendeuse française et double médaillée olympique, "il n’y a pas d’émulation entre les générations comme chez les garçons". "A part Tessa, il n’y a pas de filles qui ont de grands résultats, un palmarès, une expérience sur laquelle les jeunes peuvent s’appuyer et prendre des repères. Or, en vitesse particulièrement, ça compte beaucoup", explique-t-elle. Pourtant, selon nos informations, d’anciennes grandes championnes françaises spécialistes de la vitesse ont proposé leur aide à la Fédération française de ski pour apporter aux jeunes leurs retours d’expérience. Sans suite.
Une bizarrerie, quand on sait que ce genre de procédé peut porter ses fruits. "Chez les garçons, il y a une vraie dynamique, admet par exemple Michel Vion. On a des anciens qui mènent tout ça comme Yo Clarey en descente, des leaders aussi comme (Alexis) Pinturault, et des jeunes comme Clément Noel qui arrivent. Ça donne une équipe bien compacte avec trois générations performantes qui la composent." Et des résultats régulièrement à la hauteur, que ce soit en vitesse ou en technique, avec déjà dix podiums en 27 courses de Coupe du monde cette saison et la présence quasi systématique (sauf lors de la descente de Val Gardena et du Super-G de Bormio) d’au moins un skieur tricolore dans le top 10.
Faire comme les Suisses il y a quelques années
Mais Florence Masnada ne désespère pas de voir les filles y arriver. "Il peut y avoir un déclic sur une course ou deux, explique-t-elle, louant au passage le travail des instances du ski français. La fédération essaye, il y a des entraineurs qui viennent de l’étranger (italiens notamment). Mais il nous manque quelque chose. Ce n’est pas explicable. Ça passera par le travail, l’engagement et la confiance. Quand on n’a pas de résultats, si on se base sur les sensations, ça ne suffit pas. C’est un cercle vicieux."
Ce genre de tourbillon que Michel Vion aimerait voir se briser au plus vite, prenant l’exemple des garçons suisses qui ont également connu un (petit) creux générationnel avant les Mondiaux de Saint-Moritz en 2017, puis ont réussi à retrouver une équipe aujourd’hui très compacte avec des jeunes qui montent comme Loïc Meillard ou Marco Odermatt. "Il faut être mieux organisé, se concentrer sur quelques talents, sur la qualité plutôt que la quantité, selon le président de la FFS. Il faut mettre ça en place pour retrouver rapidement des filles au niveau avant les Jeux olympiques de Pékin en 2022 et les Mondiaux en France en 2023."
En attendant, dans cette équipe de France féminine, vitesse et technique confondues, Tessa Worley a parfois tendance à se sentir un petit peu seule. "Ce n’est pas de la pression supplémentaire sur les épaules, confie-t-elle, mais c’est une situation qui dure depuis quelque temps. La relève, c’est compliqué, c’est difficile d’atteindre le plus haut niveau mais on garde le cap et j’ai bon espoir que chacune à son rythme parvienne à ses objectifs." Sur le Super-G jeudi, la skieuse du Grand-Bornand a encore été la meilleure Française, se classant 13e dans une discipline dont elle n'est pas spécialiste.