Boxe: Christian Mbilli, le destructeur en salle d’attente mondiale qui rêve de Canelo

On adore les boxeurs français mais il faut se rendre à l’évidence. Dans notre pays, le noble art ne s'affiche plus avec le grand monde. Il ne compte plus qu’un seul champion planétaire, Arsen Goulamirian, détenteur de la ceinture WBA des lourds-légers, qui défendra son titre le 19 novembre en France – Paris ou Le Cannet – face au Russe Aleksei Egorov après près de trois ans sans boxer pour diverses raisons. Pour le reste, on attend. Les yeux tournés vers la "Team Solide" des Jeux olympiques de Rio en 2016.
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Si Mathieu Bauderlique a échoué dans sa demi-finale mondiale contre Callum Smith, si Tony Yoka a fait reculer sa "conquête" avec sa défaite face à Martin Bakole, si Souleymane Cissokho continue de grimper sans faire de bruit, son représentant le plus proche du Graal planétaire se nomme aujourd'hui Christian Mbilli. En route pour être le premier de la bande à disputer un championnat du monde. Machine à KO, 19 sur ses 21 victoires (aucune défaite) chez les professionnels, le destructeur tricolore qui arrache la tête des adversaires remonte sur le ring ce vendredi soir à Montréal face à l’expérimenté Américain DeAndre Ware (15-3-2; 34 ans). Un challenge largement à la portée de celui qui reste sur un KO tonitruant face à un autre Français, Nadjib Mohammedi, en mars dernier, candidat crédible au KO de l’année.
Troisième du classement WBC des super-moyens, cinquième du prestigieux classement The Ring de la catégorie, "Solide" n’est plus loin de frapper à la porte d’une chance mondiale. On espérait donc un défi plus relevé. Lui-même ambitionnait plus haut, avec un certain Saul "Canelo" Alvarez – champion unifié et incontesté des super-moyens – dans le viseur à long terme. "Le plan parfait, expliquait-il en avril dernier dans le RMC Fighter Club, ce serait Daniel Jacobs ou John Ryder (qui venaient de s’affronter, victoire du second sur décision partagée, ndlr). Si tu me donnes un des deux en septembre, je prends et je le tape. Derrière, on on peut faire un David Benavidez ou un Caleb Plant et le combat d’après, on est prêt pour Canelo. Ce serait l'idéal car on monterait crescendo."
Mais la boxe reste la boxe, surtout quand beaucoup de potentiels rivaux préfèrent vous éviter vu votre talent et le peu d'argent pour l'instant accolé à votre nom. "Christian est une menace pour sa catégorie et tout le monde le sait, pointe Camille Estephan, patron de Eye Of The Tiger Management, la société qui gère désormais la carrière du boxeur né au Cameroun et arrivé en France à 12 ans. Pour beaucoup de combattants, la balance risques-bénéfices est un problème face à lui. Ça ne vaut pas le coup de relever un tel challenge." La prochaine étape se nomme donc Ware, sur 10 rounds avec en jeu les ceintures (mineures) WBC Continental Americas et WBA International. Face à qui Mbilli devra gagner, et avec la manière, pour consolider sa position et se rapprocher du statut de challenger officiel et obligatoire pour la WBC, ce qui lui garantirait une chance mondiale.
"Combien de combats avant de me battre pour une ceinture? Je ne saurais pas vous dire, répond le combattant de 27 ans quand on lui demande s’il est encore loin de son rêve. La boxe est assez compliquée comme sport. Il ne suffit pas de performer, il y a aussi le côté business derrière. J'aurai beau gagner, il y a toujours un facteur qu'on ne maîtrise pas. On se donne comme objectif maximum fin 2023. De mon côté, je continue à rester performant et à m'entraîner. Après ce combat, en plus de la WBC, je devrais être minimum dans le top 10 de la WBA donc on va diversifier les possibilités par rapport à plusieurs championnats du monde."
Il faut ronger son frein. "Je dois être patient pour atteindre mon but mais je sais cela va arriver à un moment." Facile à dire mais pas toujours à faire quand on sait qu’on a déjà le niveau. "Je dois améliorer ma patience, ne pas vouloir tout démolir trop vite car j’en néglige ma défense. Mais je suis prêt à être champion du monde. Il me reste du travail mais je boxe à un niveau mondial en ce moment." Dans un milieu où la visibilité et monter son "nom" compte tant, sa carrière va prendre une orientation importante. Car Eye Of The Tiger Management, qui a notamment renforcé la communication autour de lui, a signé un partenariat avec Top Rank et le diffuseur américain ESPN. "Je me dois d'être spectaculaire car on va être visionné par 200.000 personnes aux Etats-Unis et que c'est là-bas que ça se passe."
Et "Solide" de rajouter sur le site du magazine The Ring: "Je dois être impressionnant dans mon combat, me présenter au monde de la boxe, m’assurer que les gens parlent de moi et que ça me donne une chance d’avoir les bons combats. C’est pour ça qu’il est très bon d’avoir mon combat diffusé sur ESPN." "La visibilité sur ce combat va aider à cimenter son statut, complète Camille Estephan. Nous sommes convaincus que Christian peut devenir un champion du monde dominant. Ce n’est qu’une question de temps. Bientôt, il n’y aura plus d’endroit où courir ou se cacher."
En contrepartie, les chances de le revoir boxer en France, où il a déjà combattu sept fois chez les pros via les soirées de Brahim Asloum, s'amenuisent encore un peu plus: "On doit des combats à l'année avec ESPN vu mon contrat actuel". Installé au Canada après les JO de Rio, où il avait été sorti en quart de finale, le boxeur coaché par Marc Ramsay manque d’un gros promoteur pour le faire grimper plus vite. Mais aucun regret sur son choix tant rester dans notre pays aurait pu être pire. "J'ai pris une bonne décision. En France, le buzz post-JO s'est estompé. Il n’y a plus de galas organisés par les chaînes de télé. On est dans une phase descendante de la boxe en France. Je ne regrette pas ma décision d'être parti, surtout quand je parle avec les boxeurs qui sont restés. La boxe en France ne s'est pas assez professionnalisée selon moi. Il y a beaucoup de talents mais pas assez de structures."
Le public français "(lui) manque", il sait qu’il y a "une demande pour (l)e voir" et qu’il est "dommage" de ne pas la satisfaire, mais le garçon doit penser à lui et jouer sa carte. Cela passe par Ware ce vendredi, pour lequel son camp d’entraînement "s’est bien passé". "Il a un style que je n’ai pas encore vraiment rencontré, un style américain, détaille Mbilli. Il a un très bon jab, il est patient, il contre-attaque bien, il profite des failles. Mais sa patience peut aussi être un défaut. Il aime analyser. Je ne veux pas le laisser s'installer mais l’étouffer." Et le boxeur qui dit préparer "tous (s)es combats comme des championnats du monde" de conclure: "Je pense être meilleur que lui mais je dois rester concentré tout le combat".
Huit jours plus tard, en cas de nouvelle victoire en patron, il aura les yeux tournés vers Las Vegas et le troisième volet de la trilogie entre Canelo et Gennady Golovkin avec toutes les ceintures des super-moyens en jeu. Et l’espoir de retrouver un jour dans le ring la star mexicaine, qu'il voit s'imposer "assez facilement" face à un GGG "trop vieux" et dont il pourrait bientôt devenir le challenger WBC, même si son manque de notoriété à l’international joue pour l’instant en sa défaveur pour accrocher celui qu'il définit comme "le meilleur boxeur du moment" (malgré sa récente défaite pour le titre WBA des mi-lourds face à Dmitry Bivol), superstar à la recherche d'affiches "vendeuses".
"Je veux être le meilleur donc je veux l’affronter", martelait le boxeur français en avril. Avant de rajouter sans se cacher et sans retenir son punch: "Quand tu le vois sur le ring, il impressionne, il est puissant. Il est passé d’un style démolisseur à un style puncheur et certains ont des doutes sur les produits qu’il prend, surtout quand on se rappelle l’histoire la viande mexicaine qu’il avait mangée il y a quelques années… Il doit bien travailler, il est rigoureux, il fait des sacrifices, mais Canelo ne me fait pas peur." Quelques mois plus tard, le discours n'a pas changé: "Tous les combattants veulent Canelo. C’est ma cible désormais." On espère pour lui que Christian Mbilli aura l’occasion de la toucher un jour. S'il continue sur sa lancée, le destructeur l'aura bien mérité.