Boxe: comment le choc Davis-Garcia a réussi à se monter

Des années qu’ils se chauffent. Des années qu’on veut les voir l’un contre l’autre. Et cette fois, on y est. Les invaincus Gervonta Davis et Ryan Garcia vont s’expliquer ce week-end dans le ring de la T-Mobile de Las Vegas pour régler leur rivalité dans l’un des combats de boxe les plus attendus de l’année. Dans un milieu où monter les gros chocs ont trop souvent du mal à se monter, à l’image de Tyson Fury-Oleksandr Usyk chez les lourds ou Terence Crawford-Errol Spence Jr chez les welters, ou s’organisent trop tard, comme Floyd Mayweather-Manny Pacquiao en 2015, voir deux superstars dans leur vingtaine et qui n’ont jamais connu la défaite chez les pros accepter de s’affronter sans aucun titre mondial en jeu relève de l’exploit.
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Mais quand on veut vraiment quelque chose, on peut l’obtenir. Même en boxe. "J’ai réalisé pendant tout ce processus qu’il y avait moyen de travailler sur son ego, confie Garcia à Insider. Tu peux mettre sur pied n’importe quoi si tu l’acceptes, et c’est ce que j’ai fait. J’ai souvent vu ce problème mais personne ne fait rien pour le régler. Ils ne font qu’en parler. Mais je voulais transformer mes paroles en actes et ne pas laisser tomber les fans." Si ce combat a lieu en avril 2023, les deux se titillent depuis longtemps par micros interposés et un accord verbal avait été trouvé il y a déjà deux ans. Invité du podcast de Mike Tyson, Garcia se retrouve connecté à Davis via téléphone. Et "Tank" (surnom de Davis) accepte de l’affronter, ce qui pousse "King Ry" (surnom de Garcia) à se lancer dans une petite danse de joie.
Problème? Quelques jours après la diffusion de cette vidéo, alors qu’il doit bientôt affronter Javier Fortuna, le Californien annonce se retirer quelques temps des rings pour soigner sa santé mentale. Il fera son retour aux affaires pugilistiques en avril 2022. L’année où les négociations entre les deux camps vont vraiment prendre corps. Les obstacles sont pourtant nombreux. Chacun a son promoteur, Premier Boxing Champions pour Davis, Golden Boy Promotions (Oscar De La Hoya) pour Garcia, et son diffuseur, Showtime Sports pour "Tank", DAZN pour "King Ry". Le cocktail parfait pour faire capoter l’affaire dans le noble art. Mais la volonté commune de croiser les gants va l’emporter.
Leonard Ellerbe, patron exécutif de Mayweather Promotions, la société de Floyd que l’Américain a quittée il y a quelques mois, rencontre à plusieurs reprises le président de Golden Boy Promotions, Eric Gomez, à Los Angeles pour "des discussions profondes" afin de trouver une base de travail commune. Une fois un accord trouvé, des dirigeants de Showtime et DAZN vont à leur tour se retrouver autour de la même table pour discuter de la diffusion de l’événement en pay-per-view, qui sera menée par Showtime et reprise en parallèle par DAZN. Les choses avancent mais un contrat n’est toujours pas signé. Et la justice menace de faire capoter l’affaire.
Un retrait de plainte bienvenu
En décembre, quelques jours avant son combat contre un autre Garcia (Hector), Davis est arrêté pour violence conjugale. La femme impliquée retire vite sa plainte et explique sur les réseaux sociaux que son appel aux forces de l’autre n’était "pas nécessaire". Il y a aussi l’affaire de novembre 2020, quand le gars des quartiers chauds de Baltimore grille un feu rouge et provoque un accident de voiture avant de quitter la scène sans aider la femme enceinte et les trois autres blessés impliqués dans la voiture en face. Davis plaide coupable en février dernier. Le procès, qui pourrait au pire pour lui le mener en prison aura lieu début mai et n’empêchera donc pas le combat contre Garcia.
Toujours en février, alors que Garcia n’a pas caché sa frustration de voir Davis prendre ce combat d’attente contre Hector Garcia quelques semaines plus tôt, ESPN explique que les discussions sur une possible revanche empêchent l’officialisation du combat. En gros, on s’écharpe sur qui contrôlera un éventuel deuxième combat. Les différents promoteurs et diffuseurs restent confiants sur le fait que la chose se fera "à 99% ou plus". Mais Garcia ne peut s’empêcher de s’interroger. "La vérité, c’est que j’ai tout de suite été chaud pour faire ce combat. Mais parfois, j’avais quelques doutes!"
Davis a dicté les termes
Un des points d’achoppement concerne le poids auquel se disputera le choc. Davis combat dans la catégorie des légers, à 135 livres, mais le dernier combat de Garcia (Fortuna en juillet 2022) a été réalisé à la limite supérieure, celle des super-légers, 140 livres. L’accord de base prévoit des retrouvailles autour de 137 ou 138 livres. Mais Garcia va recevoir un coup de fil du clan de son rival. Face A du combat, comme dit l’expression consacrée en boxe, Davis compte dicter ses termes. "On m’a dit qu’il fallait le faire à 136 livres", raconte Garcia. Qui accepte. Comme il approuve la clause de réhydratation de 10 livres qui limite le poids auquel il pourra se présenter le jour du combat.
"Ils ont essayé de me décourager à prendre ce combat, s’amuse Garcia. Ou alors ils sentaient qu’ils avaient besoin d’un tel avantage. Il pense qu’il m’enlève de la force mais elle ne vient pas de mon poids. Elle vient de l’intérieur. Et il va vite le découvrir." Prêt à tout pour obtenir ce comba, Garcia a également dit oui au partage à 60-40 en sa défaveur sur les gains tirés des ventes de pay-per-view et de billetterie. Et à une bourse garantie quatre fois moins importante que celle de Davis. "C'est grâce à Ryan que ce combat a eu lieu, pas à son promoteur", confirme Leonard Ellerbe, qui continue de collaborer avec Davis même si ce dernier a quitté Mayweather Promotions.
Il faut enfin décider du lieu qui accueillera un tel choc. L’Allegant Stadium, stade des Las Vegas Raiders en NFL et qui peut réunir plus de 70.000 spectateurs en configuration combat de boxe, va un temps rester dans les discussions. Mais les deux camps se rendent compte que cette enceinte générerait sans doute moins qu’une plus petite dans laquelle on peut vendre chaque ticket beaucoup plus cher. Avec sa salle de 15.000 places, le MGM Grand est candidat et tente de convaincre les organisateurs pour s’assurer un spectacle qui garantit des milliers de personnes pouvant dépenser dans son casino le soir du combat.
Mais la T-Mobile Arena, où sont organisés les gros événements de l’UFC à Las Vegas, va se montrer "très agressive dans sa proposition" (dixit Stephen Espinoza, président de Showtime Sports) et empocher la mise. Tout est enfin calé et l’affiche peut être officialisée. Avec autour une attente énorme. "J’ai été inondé de demandes de célébrités ou de sportifs depuis que le combat a été annoncé", affirme Espinoza. "C’est le plus gros combat que la boxe actuelle peut organiser", conclut Garcia. Il ne dit pas forcément vrai. Mais on n’en est pas loin. Comme une preuve que le noble art ne donne pas seulement lieu à des fantasmes. Quand deux boxeurs souhaitent vraiment s’affronter et régler leur rivalité dans le ring, trouver un moyen de s’arranger en coulisses est toujours possible. Question de volonté.