Boxe: pourquoi Usyk va se battre pour plus que des ceintures contre Joshua

Dis-moi pourquoi tu combats, je te dirai qui tu es… Si la motivation et le feu intérieur d’un boxeur jouent un rôle clé dans ses performances, ce qui peut s’entendre, on souhaite d’avance bon courage à Anthony Joshua (24-2, 22 KO; 32 ans). Le combattant britannique va tenter de reconquérir les titres IBF-WBA-WBO des lourds ce samedi à Jeddah (Arabie Saoudite) face à l’homme qui lui a arraché – sans discussion possible – en septembre dernier, Oleksandr Usyk (19-0, 13 KO; 35 ans).
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Avec en prime pour cette revanche en forme de plus gros combat de l’année dans la catégorie reine la promesse pour le vainqueur de recevoir la prestigieuse ceinture The Ring, tout juste abandonnée par Tyson Fury. Mais pour l’Ukrainien, il n’y a pas que le prestige sportif en jeu. Très loin de là. L’ancien champion incontesté des lourds-légers, qui peut devenir le premier homme de l’histoire à remporter le titre The Ring dans ces deux divisions (Evander Holyfield aurait pu le faire mais la ceinture du magazine américain avait été retirée pendant une partie de ses règnes), va se battre pour sa légende pugilistique mais aussi et surtout pour envoyer un message au monde.
Celui d’un Ukrainien sur le toit de la planète alors que sa nation est enlisée depuis des mois dans une guerre suite à l’invasion russe. Vite revenu au pays suite au déclenchement du conflit, via la Pologne puis avec un long voyage en voiture, Usyk s’est ensuite engagé dans l’armée de réserve du côté de Kiev. La revanche contractuelle pour Joshua était alors mise en pause. Mais depuis, le garçon qui reconnaît logiquement avoir "eu du mal à se concentrer sur la boxe ces derniers mois" a décidé de combattre et le ministère de la Défense lui a accordé l’autorisation de quitter l’Ukraine pour se préparer. Avec tout un peuple derrière.
"Il a pris sa décision dans ces circonstances après avoir reçu un soutien massif de ses compatriotes ukrainiens, explique Alexander Krassyuk, son co-promoteur. Il était en contact avec des officiels haut gradés de l’armée, il a rendu visite à des combattants blessés dans des hôpitaux, il a aussi parlé avec beaucoup de fans, et dans chaque conversation, on lui donnait de la bénédiction et du soutien pour prendre ce combat. Les gens voulaient qu’il combatte, qu’il gagne, que le drapeau ukrainien flotte dans l’air, que l’hymne ukrainien retentisse à travers la planète." Une idée également soutenue par deux légendes locales de la boxe: les frères Vitali et Wladimir Klitscho, anciens champions du monde des lourds très engagés dans la défense de leur pays (Vitali est le maire de Kiev).

"J’ai discuté avec eux et les deux m’ont soutenu dans ma décision de prendre ce combat, racontait Usyk début avril sur la chaîne YouTube Blockasset. Ce n’était pas facile mais j’ai fait ce choix." Et il compte bien profiter de cette exposition planétaire pour marquer le coup. "Peu de champions peuvent partager leur expérience de la guerre avant d’aller dans le ring défendre leur couronne, rappelle Krassyuk. Le monde doit savoir que l’Ukraine est un pays de liberté, de transparence, de puissance, de spiritualité et de gens développés. Peu de gens peuvent faire passer ce message à des centaines de millions de personnes mais Usyk peut le faire à travers la boxe. L’histoire jugera combien cet homme est bon."
"Il y a des pours et des contres, c’est tout sauf facile, mais voir le drapeau ukrainien être brandi, notre hymne national être joué et avoir un des ambassadeurs du pays devant les yeux du monde avec le bon état d’esprit peut se révéler bien plus positif que négatif, estimait Wladimir Klitschko il y a quelques semaines. Nous avons besoin de soutien car nous défendons les principes démocratiques de liberté et la liberté de choix." Il suffit d’imaginer Usyk après une deuxième victoire de suite sur Joshua, micro en main, drapeau sur l’épaule, ceintures autour de la taille, critiques de Vladimir Poutine à la bouche, pour comprendre combien ses paroles dans un tel cadre porteraient.
"Un message très important peut être envoyé avec un tel événement, appuyait Vitali Klitschko. Nous ne savons pas ce qui va se passer pour notre pays dans un futur proche. Je vais donner des conseils à Oleksandr sur le genre de message qu’il peut faire passer." Les derniers jours avant le combat ont rappelé que sa motivation n’avait pas bougé. Lors de l’entraînement ouvert au public, ce mardi, Usyk a débarqué avec un t-shirt bleu et jaune (drapeau ukrainien) orné de quelques mots: "Les couleurs de la liberté".
Pour la dernière conférence de presse, ce mercredi, il est arrivé en costume traditionnel cosaque – peuple originaire de l’Ukraine et de la Russie utilisé par le pays en guerre comme représentation nationale à travers la figure du Cosaque Mamay – avant d’entonner après le face-à-face Oy U Luzy, Chervona Kalyna, chanson de l’Armée populaire ukrainienne qui se battait pour l’indépendance du pays, vers la fin de la Première Guerre mondiale, chant patriotique redevenu populaire depuis l’invasion russe grâce notamment au chanteur du groupe ukrainien Boombox, Andriy Khlyvnyuk, qui en avait repris le refrain a cappella kalachnikov à la main avant de partir au front (le groupe avait annulé sa tournée européenne pour prendre les armes).
Le groupe Pink Floyd a même mis en musique la vidéo postée par Khlyvnyuk afin de récolter des fonds pour l’Ukraine. Usyk, qui balade partout une peluche de Bourriquet (personnage de Winnie l’Ourson) donné par sa fille comme "un talisman" qu’il doit "toujours garder près de (lui)", a également fait en sorte que la diffusion télé de ce deuxième combat contre Joshua soit disponible gratuitement pour tout le monde en Ukraine.
Médaillé d’or olympique chez les amateurs en 2012, toujours invaincu chez les pros et champion unifié dans deux catégories, Oleksandr Usyk – qui ne parle plus que l’ukrainien et refuse désormais de dire des mots en russe – a déjà sa place au chaud parmi les meilleurs boxeurs de sa génération voire de l’histoire. Mais cette fois, Joshua ou pas, ceinture The Ring ou pas, le plus important se passe en dehors du ring: "Par rapport à la guerre, la boxe est un jeu d’enfants". "Quand on regarde les images de son camp d’entraînement, on dirait un cyborg, pointe Krassyuk. Il n’a jamais été aussi déterminé de toute sa vie." Bon courage, Anthony Joshua.